Souvent l’on s’accorde sur les objectifs du développement régional, rarement sur la méthode de le conduire.

Il y a l’art et la manière, dit-on. Cela vaut aussi en matière de développement régional. Et c’est bien ce qui ressort du récent forum de l’académie politique de la Fondation Konrad Adenauer, organisé à Tunis.

Le thème à débattre est ainsi exprimé “Investissement public et développement régional : rôle de l’Etat”. Cette problématique est de formulation simple. Il y va autrement pour sa formalisation qui serait plutôt complexe.

Il est établi que l’investissement public donne le ton. Après tout, c’est bien lui qui commande l’infrastructure. Cependant, quand l’Etat centralisé est seul à allouer les ressources, des disparités surgissent. Et elles génèrent des inégalités, ouvrant la voie à la contestation populaire. Dès lors, se pose le souci d’optimisation de l’investissement public en vue d’une équité de développement sur l’ensemble du territoire.

Afin de pallier cette dérive, faut-il aller vers la décentralisation ou la régionalisation ?

Dans le “Mood” du forum

La particularité du forum a été de veiller à matcher les compétences du monde politique ainsi que de l’administration à celles de l’université. Cela mettait d’un côté les retours d’expérience et de l’autre l’approche critique ainsi que la touche prospective. Il faut le reconnaître, ce panachage est tout aussi savoureux que fructueux.

Les racines du mal

Ce jour là, Abbes Mohsen, ancien gouverneur, partait du constat de déséquilibre flagrant et grandissant entre le littoral et les régions de l’intérieur. Il est ainsi revenu sur les grandes étapes de politique de développement dans notre pays à la recherche éventuellement d’une quelconque faille de stratégie.

On a d’abord initié le capitalisme d’Etat et la planification. Ensuite, et à la recherche d’une meilleure efficacité, on est allé vers le mix avec le capital privé. Et, les résultats ne sont toujours pas probants.

Rebondissant sur la question, Malte Gaïer, représentant-résident de la Fondation Konrad Adenauer, ajouta que le développement régional commande la prospérité nationale. Et de préciser que ses effets prennent un tout autre relief en situation de crise économique, comme celle par laquelle passe la Tunisie à l’heure actuelle.

Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie qui a été également président du Conseil d’analyses économiques, rappelle que de l’indépendance à 2011 le pays a vécu avec une moyenne de croissance annuelle de 5 %. Et qu’en cela la Tunisie surclassait tous les pays du monde. Seuls les dragons du Sud-est asiatique ont fait mieux. Et malgré cela le pays n’a pu éviter les déséquilibres entre régions.

Un plan de rectification a été entrepris afin de faire émerger dix projets structurants dans 8 gouvernorats  de l’intérieur et alors qu’il était en cours d’application le 14 janvier est venu interrompre le processus. L’ennui, soutient Afif Chelbi, est que les projections présagent d’un creusement de disparité accélérant le phénomène de la migration vers le littoral.

Il semblerait qu’à horizon de l’année 2045, près de 70 % de la population serait établie sur le littoral, un scénario catastrophe.

Zeineb Mamlouk, universitaire et modératrice du forum, mettra un point d’orgue méthodologique. Il faut établir au préalable une typologie des investissements publics et privés et planifier leur implantation. C’est d’abord et avant tout une affaire de volonté politique dit elle et d’ajouter que cela devient encore plus délicat quand la crise bat son plein.

A contre-pied

Pr Feryel Ouerghi, universitaire, sévère et incisive, prendra les intervenants, qui l’ont précédée, à contre-pied. Elle rappelle un principe de base, à savoir que le déséquilibre régional peut bloquer le développement sur le long terme. Sans le dire mais tout en le laissant sous-entendre, cela expliquerait la situation de dualisme territorial que nous vivons.

Devant cette situation critique, l’Etat est appelé à réparer ses contreperformances. Mais comment le ferait-il alors qu’il est en situation d’austérité, s’interroge-t-elle ?

Pr Houssem Chebbi, dans la même foulée, et à la manière de René Dumont*, soutient que le pays a pris un faux départ. Si le pays s’était préoccupé d’activer le système productif agricole, l’économie dans son ensemble aurait eu une meilleure cohérence. Dans cette voie, il aurait même pu préserver sa souveraineté alimentaire et certainement moins saigné ses finances publiques pour combler ses déficits agricoles par des importations de l’étranger.

Par ailleurs l’embryon de politique publique agricole a été inhibant car essentiellement basé sur la fixation des prix, ce qui a bloqué tout effort d’intégration et d’expansion du secteur.

Quel rôle pour l’Etat dans le développement régional ?

De même que le rappelait Abbés Mohsen, l’Etat demeure encore à la recherche de la formule idoine.

Pour sa part, Afif chelbi dira que l’Etat devra continuer à investir mais hors le champ des activités productives. Il privilégie l’affectation des ressources du titre II en priorité vers les services sociaux et les investissements d’appui aux entreprises. Afin d’accélérer le processus, la mise sur pied de la “banque des régions” serait d’un bon effet. Et au besoin si le pays manque de ressources, il recommande de recourir à un Plan Marshall qu’il a enserré en 8 points et sur lequel nous reviendrons.

Pr Feryel Ouerghi est intransigeante. Point de salut à moins de restaurer le service public de sorte à réactiver l’ascenseur social. Et pour cela le meilleur moyen est de faire converger les indices sociaux régionaux.

Houssem Chebbi recommande une nouvelle donne en vue de faire de l’agriculture le pivot du tandem croissance-développement du pays.

Quid de la régionalisation ?

Tous les intervenants ont assorti leurs recommandations d’un appel à une meilleure gouvernance dans la gestion des régions. Tous ont évoqué une préférence pour une économie mixte là où l’investissement public servirait de catalyseur à l’investissement privé en lui finançant les infrastructures attractives.

Nous regrettons que l’économie solidaire n’ait pas été reconnue comme un moteur actif de développement régional au même titre que les investissements public et privé. Durant le forum l’on n’a pas esquissé le profil d’Etat à préconiser.

Il faut bien reconnaitre que l’organe crée la fonction. Et  c’est la nature de l’Etat qui déterminera la cohérence de ses interventions. L’Etat centralisé a montré ses limites du fait de sa taille disproportionnée. Le moment n’est-il pas venu pour dégraisser le mammouth ?

Un Etat “slim” est difficile à trouver dans ce qu’on appelle l’Etat décentralisé. Le salut ne viendrait-il pas d’une décision courageuse d’aller vers une régionalisation nette et franche ?

 

*René Dumont, agronome et économiste français, au vu des résultats peu probants de la première décennie des politiques de développement des pays africains fraichement indépendants et qui ont privilégié l’industrie sur l’agriculture  a dit : L’Afrique est mal partie”.