Presque 50% de travailleurs ne sont pas déclarés en Tunisie. Il y a ceux employés dans le noir et ceux travaillant pour leur propre compte, sans patente, sans registre du commerce, sans RNE et sans couverture sociale. Le décret-loi n°33 du 10 juin 2020 (JORT n°54) a donné naissance au régime de l’autoentrepreneur, soit un régime simplifié de l’entreprise individuelle accordé à toute personne physique exerçant une activité dans le secteur industriel, agricole, commercial, des services, de l’artisanat ou des métiers et générant un chiffre d’affaires inférieur à 75 000 dinars par an.

La loi de finances 2023 a prévu nombre de dispositions qui visent selon les auteurs, la lutte contre l’économie informelle ou parallèle et la protection de catégories socioprofessionnelles fragiles qui ne bénéficient pas des services de la CNSS et de la CNAM.

Le statut d’autoentrepreneur est accordé pour une durée de quatre ans, renouvelable une fois à la demande de l’intéressé pour une période supplémentaire de trois ans. Toute personne souhaitant s’inscrire au système des autoentrepreneurs doit déposer une demande d’inscription électronique au Registre National des Autoentrepreneurs. L’autoentrepreneur disposera d’une carte dite “carte d’autoentrepreneur“ recevable par voie électronique via la plateforme autoentrepreneur dans un délai maximum de 15 jours à compter de la date de dépôt de la demande.

l’opération en elle-même est géniale et c’est une excellente idée. Avant, l’idée de l’autoentreprenariat n’existait même pas en Tunisie. Il n’y avait pas de cadre légal pour l’autoentrepreneur.

L’autoentrepreneur bénéficie d’un régime fiscal et social particulier représenté par le paiement d’une cotisation unique à compter du 1er janvier de l’année suivante. L’inscription au Registre des Autoentrepreneurs est exonérée de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, de la taxe sur la valeur ajoutée et des droits et des autres taxes sur le chiffre d’affaires ainsi qu’au niveau des cotisations à la sécurité sociale.

La valeur de la contribution unique est de 200 dinars annuels pour les opérateurs relevant des agglomérations communales selon les limites territoriales en vigueur avant le 1er janvier. Un montant qui passe à 100 dinars pour les autres zones.

Les autoentrepreneurs sont exemptés du paiement de la TCL (Taxe sur les établissements à caractère industriel, commercial ou professionnel) au taux de 20% et ceci indépendamment des minimums mentionnés.

L’autoentrepreneur a droit à une carte de soins pour une validité trimestrielle, après avoir vérifié qu’il a bien payé les cotisations requises. La cotisation sociale sera prise en charge par le Fonds National pour l’Emploi et n’est pas exigée la première année à partir de la date d’inscription au registre des autoentrepreneurs.

La loi des finances 2023 encourage-t-elle l’autoentreprenariat ?

Pour Fayçal Derbel, expert-comptable, « l’opération en elle-même est géniale et c’est une excellente idée. Avant, l’idée de l’autoentreprenariat n’existait même pas en Tunisie. Il n’y avait pas de cadre légal pour l’autoentrepreneur. Nous avons commencé à y travailler à partir de l’année 2018, le décret est sorti du temps du gouvernement d’Elyès Fakhfakh, pour être promulgué en tant que décret-loi organisant le statut de l’autoentrepreneur, et dans l’ensemble c’était un beau texte ».

Mais, parce qu’il y a toujours un mais, il s’agit aujourd’hui d’évaluer la pertinence des mesures prises sur le terrain en relevant quand même que les autoentrepreneurs dont les revenus dépassent les 30 000 dinars tunisiens par an ne sont pas légion.

D’où la question : avons-nous une idée précise sur les revenus annuels des autoentrepreneurs ? Les dispositifs mis en place par la loi de finances ont fait en sorte que tout ce qui est du ressort de l’emploi et du suivi fonctionnel du régime autoentrepreneur soit du ressort du ministère de l’Emploi, et que tout ce qui se rapporte aux cotisations soit de celui du ministère des Finances chargé de verser les cotisations sociales à la CNSS.

la cotisation prévue dans le cadre de la loi de finances est un peu élevée par rapport à la normale. De l’ordre de 14% sur les deux tiers du SMIG

Reste que le fait que l’autoentrepreneur ne peut bénéficier de ce statut que sur 7 ans n’est pas rassurant. « Je pense que par ces mesures, on a limité le champ d’action et de manœuvre de l’autoentrepreneur. L’autoentrepreneur est un statut fragile. C’est le monsieur qui prend sa moto et va entretenir le jardin de X ou réparer le climatiseur ou la chaudière de Y, etc. Il ne déclarait pas ses revenus et ne bénéficiait d’aucune couverture sociale, il n’a pas de retraite et ne peut pas bénéficier des services de santé couverts ou remboursés par la CNAM. C’est cela le plus grave. Le nombre de personnes vivant au jour le jour en Tunisie frôle le 1 million, entre menuisiers, peintres, plombiers, électriciens, ferrailleurs, homme à tout faire et ainsi de suite. Il aurait fallu une imposition symbolique pour cette catégorie socioprofessionnelle et une cotisation symbolique aux Caisses de sécurité sociale ».

L’expert-comptable estime que la cotisation prévue dans le cadre de la loi de finances est un peu élevée par rapport à la normale. De l’ordre de 14% sur les deux tiers du SMIG. Et si le SMIG est à 500 dinars, cela fait 225 dinars par trimestre. Ce qui est beaucoup. Dans la catégorie des autoentrepreneurs, il y a ceux qui peuvent atteindre des revenus de 50 ou 60 000 DT par an et ceux qui ne dépassent pas les 15 000 DT. Ce sont des hommes payés à la journée. S’ils sont payés la journée 30 D, cela fait 750 D par mois, c’est très juste. Il aurait fallu prévoir une imposition plus clémente et plus correcte car avec les cotisations CNSS, pour ceux auxquels les revenus servent à survivre, le poids devient trop lourd.

Que faire alors ?

Maintenant le dispositif est là, on fait avec. « D’après moi, il faut inciter le maximum de gens à intégrer le régime d’autoentrepreneurs, même si beaucoup risquent de le bouder à cause des conditions de l’intégration. Des conditions qui ne sont pas aussi simples qui ne prévoient pas les impondérables tels des pandémies comme le Covid-19 ou encore les conditions climatiques et les difficultés financières que traversent les classes moyennes qui ne recourront plus automatiquement aux hommes de peine ».

Les dispositions de la loi de finances 2023 seront-elles trop générales et trop complexes pour être appliquées et adoptées ?

A voir les conditions de bénéficier du statut d’autoentrepreneur, on ne peut pas dire que c’est une sinécure.

A l’œuvre, nous connaîtrons la pertinence de l’artisan !

Amel Belhadj Ali