Les TPE-PME, qui constituent 80% du tissu économique de la Tunisie, souffrent, depuis une décennie, du non accès à des financements adaptés à leur capacité de remboursement, et ce en dépit de la disponibilité de lignes de crédit mises à leurs disposition par des partenaires étrangers, parfois en monnaie locale (dinar).

Ce sont pour la plupart de financements “liés“ accordés à des conditions concessionnelles de 12 à 15 ans de maturité avec des délais de grâce allant jusqu’à 5 ans, et des taux fixes aux alentours de 6,5%.

Lignes de crédits cherchent désespérément preneurs

Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, ne rate aucune sortie en public sans communiquer là-dessus. Il rappelle à ceux qui veulent l’entendre qu’au moins cinq lignes de crédits dédiées aux PME-TPE sont rétrocédées au secteur bancaire pour financer leurs projets.

Succinctement, il s’agit :

– d’une ligne de crédit italienne de 50 millions d’euros accordée dans le cadre du Programme d’appui au secteur privé et à l’inclusion financière dans les domaines de l’agriculture et de l’économie sociale et solidaire) ;

– d’une ligne de crédit espagnole de 25 millions d’euros dédiée aux opérateurs tunisiens et sociétés mixtes tuniso-espagnoles pour financer les importations des biens et services d’origine espagnole ;

– d’une ligne de crédit française de 30 millions d’euros pour financer des biens et services d’origine française.

Il s’agit également d’un Programme de financement du commerce interarabe de 220 millions de dollars (revolving) destiné à financer des transactions commerciales. Mais aussi d’une ligne de crédit allemande (KFW/TPME II) de 140 millions d’euros destinée à financer les TPME pour la promotion de l’emploi.

Quid de la gestion de ces crédits ?

La grande question qui se pose dès lors est de savoir pourquoi les PME-TPE boudent ces lignes de crédit. Des institutions multilatérales, régionales et locales ont essayé de répondre à cette question. Trois d’entre elles méritent qu’on s’y attarde.

La première est à l’actif de l’Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE). Dans une étude publiée en 2013, sur l’évaluation des lignes de crédit destinées aux PME tunisiennes, l’OCDE avait alors déploré l’inefficience de ces crédits et recommandé «une gestion des lignes moins complexe, moins longue et plus souple en simplifiant les processus d’instruction, et la mise in fine en place d’une véritable stratégie de communication avec des moyens adaptés».

La deuxième réponse est fournie par les bailleurs de fonds, lesquels estiment que bien qu’ils soient disposés à fournir des financements adéquats aux PME-TPE tunisiennes, ils n’ont pas été capables, ces dernières années, de fournir des lignes de crédits gérées par les banques et rétrocédées aux entreprises tunisiennes.

A l’origine du problème : le risque de change. Ce risque entre l’euro et le dinar est couvert par un fonds public géré par le ministère des Finances. Seulement, la couverture de change, en raison de la dépréciation du dinar, a explosé. Même les financements en dinars fournis par la BERD par exemple ne peuvent pas être utilisés par les banques.

Conséquence : le prix du taux de couverture est aujourd’hui à un niveau beaucoup plus élevé pour rendre les crédits des bailleurs de fonds attractifs et intéressants pour les banques, lesquelles ne peuvent pas les concéder aux PME.

Cela pour dire que le problème de la couverture de change empêche les bailleurs de fonds de jouer pleinement leur rôle de soutien aux PME-TPE.

Les PME-TPE autonomes, les dernières à en profiter  

Pour ces mêmes bailleurs de fonds, l’enjeu consiste à trouver une solution à cette problématique de couverture de change et à développer, à la limite, de nouveaux instruments en la matière.

La troisième réponse a été apportée, en janvier 2023, par Abderrazek Houas, porte-parole de l’Agence nationale des petites et moyennes entreprises (ANPME). Se référant à des statistiques, il estime que les lignes de crédit disponibles ont profité plus aux grands groupes qu’aux PME-TPE autonomes.

La tactique suivie par les grandes entreprises est simple. Pour profiter des crédits, ces groupes, forts d’une logistique efficiente, sont les premiers à déposer leurs dossiers au nom de leurs PME-TPE (filiales), et ce tout en respectant les conditions imposées par les cahiers de charge et les critères d’éligibilité exigés.

Résultat : ces groupes auraient donc vampirisé la grande partie de ces lignes de crédit ne laissant que des miettes pour les véritables PME-TPE qui, affectées de plein fouet par la pandémie de Covid-19 et par la guerre russo-ukrainienne, en ont le plus besoin.

Toujours d’après Abderrazek Haouas, «seules 2% des PME et TPE autonomes ont bénéficié des lignes de crédits précitées».

Il faut reconnaître que cette pratique n’est pas nouvelle. Elle est exercée depuis longtemps avec la complicité d’une administration souvent laxiste. C’est même un sport national. L’administration ne se soucie que de la conformité aux procédures et cahiers des charges, rarement de l’efficience de l’affectation des crédits à leurs véritables bénéficiaires.

C’est ce qui explique l’énormité des dégâts. Selon le porte-parole de l’ANPME, «environ 130.000 PME-TPE ont fait faillite, tandis que 750.000 employés se sont retrouvés au chômage».

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