Réclamée avec insistance depuis des années par les acteurs économiques (investisseurs, entreprises exportatrices, prestataires de services à l’étranger, startuppers et autres), la réforme de la politique de change serait incessamment engagée.

C’est ce qui ressort de récentes déclarations faites dans ce sens par les principaux monétaristes du pays, en l’occurrence la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi.

D’après certains observateurs, les monétaristes n’auraient pu oser faire de telles déclarations sans la sommation du Fonds monétaire international (FMI).  

Participant à une émission de la première chaîne de la Télévision tunisienne “Watania 1“ sur les dispositions de la loi de finances pour 2023, le 26 décembre 2022, la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, a annoncé qu’un projet de texte amendant la réglementation de changes en Tunisie a été élaboré par les services compétents du département et sera soumis pour consultation, à partir de la première semaine de janvier 2023, aux parties concernées dont la Banque centrale de Tunisie et le Conseil bancaire et financier.

Elle n’a pas révélé le contenu du projet, mais déjà, des rapports semi-officiels affirment que «l’assouplissement de la réglementation de changes en Tunisie est une nouvelle génération de réforme majeure sur le financement et l’attractivité des investissements».

Selon les mêmes rapports, il s’agit d’assurer la conformité de la Tunisie aux prérequis internationaux en matière de mise en œuvre d’un assouplissement de la réglementation de changes, dans la perspective d’une levée graduelle du contrôle des changes.

Quinze jours auparavant, Marouane Abassi a été plus précis, en déclarant que «la BCT est en train de finaliser le document relatif à la révision du code des changes en Tunisie», faisant remarquer que des concertations sur ce sujet seront lancées dans les prochains jours avec le gouvernement et les parties concernées.

Le gouverneur de l’Institut d’émission, qui participait, le 11 décembre 2022, à un panel sur la «souveraineté budgétaire et la sécurité des paiements» tenu à Sousse dans le cadre de la 36ème édition des journées de l’entreprise, a ajouté que « le code de change facilitera le travail de l’investisseur, qu’il soit tunisien ou étranger. Il comporte des procédures liées à l’octroi des autorisations et l’ouverture d’un compte courant, ainsi que d’autres points tels que la durée du séjour de l’investisseur et le change des devises ».

Mais que reproche-t-on au code de change en vigueur ?

Globalement, entreprises, experts, structures et organisations économiques et professionnelles estiment que les principaux obstacles érigés par ce code concernent « la fluidité des mouvements de fonds et des transferts surtout pour les investisseurs ».

D’autres, dont le Syndicat de l’e-Commerce et de la vente à distance (SEVAD), à titre indicatif, considèrent que « cette loi empêche, aujourd’hui, les opérateurs locaux d’acquérir facilement du trafic sur les plateformes internationales pour faire connaître leurs sites de vente en ligne ».

Pis, le même syndicat considère que « le plafond annuel de la carte technologique internationale “CTI” utilisée par les entreprises pour réaliser ce type de transactions reste dérisoire (100 000 dinars tunisiens) ».

Recommandations du Livre bleu

Au rayon des études et pistes à explorer sur ce sujet, nous pensons que le Livre bleu de l’initiative Econ4 Tunisia intitulé “Sauver l’économie pour réussir la transition démocratique“ est le plus exhaustif en la matière.

Ce livre de 150 pages, élaboré en 2019 par 70 économistes tunisiens, propose en ce qui concerne la politique de change, moult solutions.

Il s’agit entre autres «d’abandonner les mesures contraignantes auxquelles les investisseurs tunisiens font face, d’instaurer un climat de confiance pour les résidents comme pour certaines catégories des étrangers en leur donnant la possibilité d’ouvrir des comptes en devises».

Il s’agit aussi de tout faire pour intégrer, dans le circuit formel, les milliards de devises qui circulent sur le marché parallèle et aux frontières avec la Libye et l’Algérie. Cette action, si elle réussit, «permettra, selon le Livre bleu, d’alimenter raisonnablement le stock de réserve de change et de renforcer les capacités d’intervention de change de la BCT en cas de besoin».

Les prérequis à tout flottement de change

Point d’orgue de ce Livre, le document met en garde contre certains risques. Ses auteurs estiment que «le flottement du taux de change souhaité doit être précédé par un certain nombre de préalables».

Au nombre de ceux-ci, ils évoquent «la consolidation du cadre macroéconomique, l’assainissement des finances publiques, la modernisation du système bancaire et l’approfondissement du marché financier».

À court terme, «la première mesure concernerait la stabilisation de change ». En effet, note le Livre, «il est impératif que la BCT exige une cession d’une partie des devises détenues par les entreprises exportatrices, limite les importations superflues et impose la contractualisation en devises pour toute prestation ciblant les non-résidents. Ce qui va améliorer les stocks des réserves en devises et faciliter les interventions sur le marché de change».

Les autres mesures proposées dans le Livre bleu concernent notamment la modernisation de la gestion de couverture de change associée à une mise en place de nouveaux produits de couverture contre le risque de change, et la mise en place de produits de placement adaptés à la diaspora afin d’augmenter et de diversifier les transferts des résidents à l’étranger.

À celles-ci, propose le document, « s’ajoutent la création de mécanismes de garanties de change à long terme au profit des grands industriels, le desserrement des restrictions sur le contrôle des flux de capitaux pour que l’économie se développe et que le secteur financier se renforce ».

A rappeler que les lignes de crédit que les bailleurs de fonds mettent à la disposition des PME et TPE tunisiennes ne sont pas décaissées, du moins pas en totalité, à cause justement du taux de change. Autrement dit, par l’effet de la forte dépréciation du dinar, la couverture de change, assurée par un fonds public géré par le ministère des Finances, est devenue trop onéreuse. Son coût a carrément explosé surtout en cette période où les finances publiques connaissent de sérieuses difficultés.

In fine, l’objectif majeur de toutes ces mesures serait, d’après les auteurs du Livre bleu, d’instaurer un climat de confiance pour les opérateurs économiques. «Un tel climat favorisera l’investissement et contribuera à booster la croissance».