Imminentes, pressantes et urgentes, les législatives de décembre 2022 s’imposent avec force en tant qu’évènement majeur qui va tamponner, peu ou prou, bon gré mal gré, le paysage politique tunisien pour des années durant.

Raison pour laquelle, piégés entre le marteau d’un échéancier embêtant et l’enclume d’un avenir incertain, nombre de partis politiques se sont empressés à afficher leurs couleurs, à dire leur mot et à prendre leurs positions face à une échéance électorale qui donnera vie à un Parlement post-25 juillet.

Post-25 juillet. Une date charnière qui marquera de son sceau un processus qui a démarré tambour battant le 25 juillet 2021 lorsque le président de la République, Kaïs Saïed, en vigile sourcilleux du fonctionnement régulier et normal des institutions de l’Etat, a acté l’article 80 de la Constitution de 2014 pour décréter une salve de mesures d’exception, dont notamment la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), avant la fin de la législature.

Des réactions mitigées

Post-25 juillet, c’est aussi le signe annonciateur d’un foisonnement d’idées, de vues et de positions. C’est ainsi que, depuis cette date, la scène politique tunisienne n’a cessé de nous offrir un florilège de réactions mitigées balançant entre un ” Oui ” catégorique pour ces décisions et un ” Non ” nuancé voire chromatisé.

Pour les tenants du ” Oui “, souvent souverainistes de penchant, le 25 juillet est venu dépeindre avec force un avenir politique où la souveraineté revient au peuple et où les revendications sociales auront leur beau jour.

Pour les partisans du ” Non “, fervents adeptes du légalisme constitutionnel, le post-25 juillet n’est autre qu’un ” affront criard à la Constitution “, un ” processus congénitalement déformé “. Les décisions, mesures et actes y découlant sont nulles et non avenues. Elles sont frappées ” de l’illégalité pure et dure “.

Perplexité et d’inquiétude 

Ces réactions souvent disparates et inconciliables ont fait insuffler un brin de perplexité et d’inquiétude sur l’avenir du paysage politique post-25 juillet, sur la participation des partis politiques réticents et sceptiques, sur la cartographie politique du nouveau Parlement. Somme toute, sur le devenir d’un paysage politique en pleine mutation où les contestataires ne sont plus des plus minimes.

Il suffit de faire monter le temps, il y a quelques jours, pour s’en rendre compte de cette appréhension légitime. Lors d’une conférence de presse, fort d’une coalition de partis venant de tous bords, allant du mouvement Ennahdha, Kalb Tounes, la coalition Al Karama et bien d’autres partis et anciens députés indépendants, le Front du salut a annoncé à cor et à cri, sans équivoque, qu’il va officiellement boycotter les législatives de décembre 2022.

Pour Ahmed Nejib Chebbi, président de ce Front, cette position est justifiée par la démarche unilatérale empruntée par le président Saied qui, a-t-il dit, s’arrogeant des pleins pouvoirs, s’acharne à agir en cavalier seul lors de l’élaboration de la loi électorale.
D’ailleurs, a-t-il ajouté, la décision de partir en élections législatives n’est qu’un ” choix pervers ” qui survient dans un contexte d’un ” coup d’Etat contre la légalité constitutionnelle “.

Aussi, dans une foule de déclarations à l’agence de TAP, une frange de la Coordination des partis sociaux-démocrates, une coalition regroupant le Courant démocratique, ” Ettakatol “, le Parti républicain, le Parti travailliste et ” Al Qotb “, ont affiché leur boycott “de principe” des élections législatives.

Pour cause, selon le secrétaire général du Parti républicain, Issam Chebbi, ” plus besoin de s’aligner sur un processus déviant et erroné. Plus besoin encore de prendre part à des élections s’apparentant plutôt à ‘une parodie’, à une ‘mascarade’ où tout laisse à dire que tout est ‘fictif et illusoire’”.

De son côté, le secrétaire général du Courant démocratique, Ghazi Chaouchi, a annoncé dans un communiqué publié récemment que son parti ne participera pas aux élections législatives qui seront organisées le 17 décembre. ” C’est un processus qu’il importe de rejeter d’emblée. C’est un processus inconstitutionnel et illégal”, a-t-il martelé.

Dans le même sillage d’idées, le secrétaire général du Parti des travailleurs, Hamma Hammami, s’est exprimé sur un ton clair et décisif à propos de la feuille de route tracée par le chef de l’État.

Décidément, il ne participera pas aux prochaines élections législatives, appelant en contrepartie à ” parachever le processus révolutionnaire et à renverser le système tout entier “.

Du côté du parti ” Ettakatol “, Khalil Zaouia, a déclaré à l’agence TAP que la Coordination des partis démocrates (anti-Saied) annoncera la semaine prochaine sa position officielle sur les prochaines élections.

Si le rejet catégorique était la réaction attendue des anti-processus 25-juillet, il n’en est pas de même pour d’autres partis qui sont plutôt dans l’expectative. Il en est ainsi pour le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi, pour qui la participation de son parti demeure tributaire de la teneur de la nouvelle loi électorale.

” Si les informations circulant dans le public sur un Législatif usurpé par le président de la République s’avèrent justes, le PDL dira non aux élections et va nécessairement les boycotter “, a-t-elle tranché.

Idem pour d’autres partis à l’instar de Afek Tounes et Machrou Tounès qui ont préféré reporter leurs décisions ultimes sur les prochaines élections à une date ultérieure.

Quid des partis pro-25 juillet?

Face à ce flot de réactions disparates et peu homogènes, de l’autre camp, du côté des pro-25 juillet, tout laisse à dire qu’il y a un consensus général à appuyer et booster le processus politique amorcé par Saïed le 25 juillet 2021.

Il en est ainsi des partis du courant populaire, du mouvement Baath et de la coalition pour la Tunisie et de Harak Tounes. Ensemble, ils ont exprimé sans équivoque, leur intention de prendre part aux prochaines élections législatives.

Interrogé sur cette diversité troublante, l’historien et professeur d’université, Abdellatif Hanachi, a précisé qu’il est communément admis que le paradigme électoral est le seul mécanisme démocratique fiable et crédible pour accéder au pouvoir. Il a critiqué l’attitude des boycotteurs, soulignant que les urnes sont le seul moyen de changer le pouvoir.

Et l’expert d’ajouter que dans le champ politique, les réactions et les positions sont souvent ” versatiles et mouvantes “, estimant qu’il est ardu à l’heure actuelle de déchiffrer les contours de l’échiquier politique.

Revenant sur les raisons de ce déficit de confiance en le processus électoral, Hanachi a cité la ” médiocritisation ” de la vie politique depuis l’Assemblée nationale constituante (ANC) en 2011, la marginalisation du rôle des partis au lendemain de 25 juillet 2021 et l’obstination du pouvoir à refuser de prendre pour un interlocuteur avéré dans le cadre d’un dialogue national, autant de facteurs qui ont semé d’incertitude sur le rôle des partis ainsi que sur leur participation aux élections législatives.

Pour l’universitaire, le poids des partis pro-25 juillet est, toutes proportions gardées, “minime” au double plan quantitatif et qualitatif. ” Ces partis ne bénéficient pas de rayonnement au niveau local et n’ont pas réussi à tisser des relations internationales. Ce qui n’est pas le cas pour les boycotteurs qui ont une assise populaire et une présence sur la scène internationale”, explique-t-il.

” C’est dire, un imbroglio électoral qui laisse l’électeur tunisien indécis face à l’embarras de choix le jour du scrutin “, regrette Hanachi, pour qui ” l’apathie politique de l’électorat lors des prochaines élections serait identique à celle observée lors de la consultation électronique ou au référendum, ce qui va indéniablement compliquer la donne au niveau de la représentativité du Parlement “.

Le 25 juillet 2022, un référendum a eu lieu sur la nouvelle Constitution tunisienne. Ce texte a été plébiscité par 94 % des participants aux urnes, dont le nombre, selon les chiffres de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), a atteint 2,8 millions d’électeurs, soit 30,5% du nombre total des votants; le nombre des électeurs inscrits étant estimé à plus de 9 millions d’électeurs.

Conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution, une loi réglementant l’élection des membres de l’Assemblée des représentants du peuple ainsi que du Conseil national des districts et des régions verra le jour dans quelques jours.

Les élections législatives de 2019 ont fait ressortir un paysage politique émietté, déchiqueté et parcellisé où le mouvement Ennahdha a remporté 52 sièges, suivi du parti ” Qalb Tounes ” (38 sièges) devançant le Courant démocrate (22 sièges), la ” Coalition Al Karama ” (21 sièges), le PDL (17 sièges) et le Mouvement populaire (15 sièges).