Moult indices montrent que la centrale syndicale, l’UGTT, a mauvaise presse dans le pays. Sa notoriété en tant qu’organisation nationale qui a contribué à la réalisation d’acquis majeurs pour le pays (libération nationale, démocratisation du pays, Prix Nobel de la paix en 2015…), a tendance à se détériorer. De vives critiques formulées à son encontre fusent désormais de partout.

Abou SARRA

Globalement, d’importants pans de la société lui reprochent son corporatisme excessif et l’incohérence de ses revendications, et ce au regard des difficultés financières que connaît le pays et de la pauvreté extrême d’une bonne partie de la population tunisienne.

Les critiques les plus virulentes émanent des Tunisiens moyens, voire des usagers des services publics (éducation, santé, transport…). Ces derniers estiment qu’ils sont les principales cibles et victimes des grèves impopulaires déclenchées, dernièrement, par la centrale dans des secteurs sensibles (poste, sécurité sociale, fonction publique…).

Plus grave, ces mêmes Tunisiens moyens, pour la plupart des chômeurs, des travailleurs précaires et des personnes vulnérables avec zéro sécurité (4 millions de pauvres vivant en dessous du seuil de pauvreté), reprochent aux syndiqués de l’UGTT (700 000 environ sur un total de 4,2 millions de personnes actives) de bloquer des réformes structurelles. Ils sont convaincus que ces réformes, pour peu qu’elles voient le jour, peuvent soulager les finances publiques du pays et améliorer de manière significative leur quotidien.

Il s’agit notamment du retard qu’accuse le développement des énergies renouvelables par le secteur privé. En effet, les syndiqués de la STEG, qui refusent d’y adhérer et d’y contribuer, craignent, à tort, la promotion des énergies vertes par les privés et y voient un subterfuge pour privatiser leur entreprise.

La reddition de l’Etat devant la centrale syndicale

Les Tunisiens moyens et pauvres ne sont pas les seuls à regarder d’un mauvais œil cette dérive syndicale. Des intellectuels et hauts cadres sont récemment sortis de leur silence pour pointer du doigt accusateur la centrale syndicale, et percevant dans ses actions une entrave à l’évolution du pays. Nous en avons choisi les deux plus récents témoignages parmi les plus crédibles tant ils émanent de personnalités “indépendantes“.

Le premier n’est autre que l’universitaire et grand commis de l’Etat,  le juriste Sadok Belaid lequel, bien qu’il soit membre du Comité chargé par le président Kaïs Saïed pour rédiger une nouvelle Constitution, a osé dire, apparemment pour clamer haut et fort son indépendance, qu’il « se méfie de toute Constitution confectionnée sous la coupe du chef de l’Etat ».

Pour revenir à ce qu’il pense de la centrale syndicale, il considère que « l’actuelle UGTT de Noureddine Taboubi lui a paru jouer un jeu très dangereux. Elle fait semblant d’être la seule force dans le secteur social. En réalité, elle est l’otage de ses propres fédérations. Pour utiliser une image, c’est la queue qui remue le chien. Et ce n’est pas l’inverse. C’est inadmissible ».

Sadok Belaid : Je me méfie de toute Constitution confectionnée sous la coupe du chef de l’Etat

Sadok Belaïd qui accordait une interview à un magazine de la place, relève une autre incohérence. « D’un côté, la centrale syndicale demande en toute priorité la discussion de l’augmentation des salaires de la fonction publique, tandis que de l’autre elle a en face d’elle des économistes du pays et des institutions financières internationales qui pensent que de telles revendications n’ont aucune chance d’aboutir parce que le gouvernement en place, avec des caisses de l’Etat pratiquement vides, ne peut ni les satisfaire ni s’engager à le faire ultérieurement comme cela s’est passé depuis dix ans.

Et l’universitaire d’ajouter : « Malhonnêtement, les gouvernements qui se sont succédé ont signé avec les syndicats des engagements qu’ils n’ont pas pu tenir. Ainsi, ils se sont engagés pour une paix sociale, laquelle s’est avérée ne pas en être une. C’est ce qu’on appelle la reddition des gouvernements devant l’UGTT ».

Les gouvernements successifs se sont engagés pour une paix sociale, laquelle s’est avérée ne pas en être une

Le second témoignage est à l’actif de l’économiste et ancien ministre des Finances, Hassine Dimassi – qui était, pour la petite histoire, un ancien syndicaliste.

Interpellé par une chaîne de télévision privée sur le rôle de l’UGTT dans la gouvernance des entreprises publiques, il a qualifié ces entreprises de « structures féodales aux mains des syndiqués de l’UGTT dont la préoccupation consiste à réclamer constamment des avantages et des augmentations salariales, à y recruter en priorité leurs enfants et à demander des fonds de l’Etat en cas de déficit ».

Entendre par-là que tous les enfants de syndicalistes postulant à un emploi sont automatiquement recrutés dans les entreprises et établissements publics où travaillent ou travaillaient des membres de leur famille. Des conventions sont mêmes conclues, à cette fin, entre les dirigeants des entreprises publiques et l’UGTT.

Quand tu crées un droit, il faut l’accompagner par un mécanisme disciplinaire

Cette pratique est particulièrement visible à Tunisair, au Groupe chimique tunisien (GCT), à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), à la STEG, dans les sociétés de transport…

La solution à prévoir dans la prochaine Constitution

Pour remédier à ce dérapage syndical, d’autres cadres suggèrent de mettre à profit l’élaboration d’une nouvelle Constitution pour mieux encadrer le droit syndical et le droit de grève. C’est le cas d’Abdelkader Boudriga, président du Cercle des financiers tunisiens.

Il estime que « les blocages générés, entre autres par les syndicats, sont dus au fait d’avoir adopté un régime de participation démocratique sans le doter de garde-fous. Nous n’avons pas pensé à accompagner la problématique de gouvernance par des mécanismes de contrôle et disciplinaires ».

Et Boudriga d’ajouter : « quand tu crées un droit, il faut l’accompagner par un mécanisme disciplinaire ».

Dont acte.