« La crise ukrainienne aura un impact sur l’ordre mondial. Il y aura un nouvel ordre géopolitique qui va certainement avoir des conséquences sur la région de la Méditerranée, le Moyen et le Proche-Orient voire peut-être l’Afrique. C’est à ce titre-là que la Tunisie pourrait éventuellement être impactée. Je considère que le danger pour nous se situerait essentiellement en Méditerranée. Le danger est de voir un jour une militarisation de la Méditerranée dont les conséquences seraient désastreuses sur la stabilité et la sécurité de toute la région et particulièrement sur le sud de la Grande Bleue», explique Hatem Ben Salem, ancien ministre de l’Education nationale, ancien secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, ancien ambassadeur et expert dans les négociations stratégiques.

Sur le plan des approvisionnements, c’est le secteur énergétique qui sera le plus touché, avec les prix du baril de pétrole qui ont grimpé à plus de 100 $.

A ce propos, l’Arabie saoudite a confirmé, dimanche 27 février 2022, dans un entretien avec le président français Emmanuel Macron, par la bouche du prince héritier, Mohamed Ben Salman, son attachement à l’alliance OPEP + avec la Russie. Les 23 membres de l’OPEP tiendront éventuellement, dans les jours qui viennent, une conférence afin d’augmenter la production et stabiliser les prix.

La Tunisie a pendant longtemps adopté une politique de stockage pour au moins 6 mois, cette politique n’existe plus, à cause du manque de moyens financiers

L’augmentation des prix du baril de pétrole dans un pays où le prix, lors des prévisions budgétaires, a été fixé à 75 $ aura certainement des conséquences sur la croissance économique du pays, relève Hatem Ben Salem, sans oublier l’approvisionnement du pays en céréales dont la provenance est principalement l’Ukraine.

« Les prix des céréales vont flamber. En l’espace de quelques semaines, ils ont augmenté de +15% dont 6% dernièrement. Est-ce que la Tunisie a fait des commandes ? Et auprès de qui ? Ces commandes sont-elles déjà en route ? Ont-elles été payées ? Ma préoccupation principale n’est pas liée à l’approvisionnement, mais plutôt à l’éventualité de l’absence de réserves stratégiques en céréales et une grande faiblesse dans notre pays. La Tunisie a pendant longtemps adopté une politique de stockage pour au moins 6 mois, cette politique n’existe plus, à cause du manque de moyens financiers, et c’est pour moi le plus grand danger, pas seulement pour les céréales mais aussi pour nombre d’autres produits. Il faut s’attendre à de fortes pressions sur l’agroalimentaire dans le monde ».

Hamed Dali, DG de l’Observatoire national de l’agriculture, tient, lui, un autre son de cloche, affirmant que la Tunisie a clôturé ses commandes de céréales bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et que les stocks de céréales pourraient satisfaire aux besoins du pays jusqu’au mois de juin 2022.

Fadhila Rebhi, ministre du Commerce et du Développement des exportations, affirme, pour sa part, que les réserves céréalières du pays lui permettront de tenir 3 mois.

La question de la sécurité alimentaire de notre pays est l’une des questions les plus importantes à mettre sur la table aujourd’hui

La Tunisie pèche par l’absence d’une politique de valorisation du secteur agricole et de toutes les activités y afférentes y compris les industries agroalimentaires.

« Du temps où je dirigeais l’Institut des études stratégiques (ITES), nous avions élaboré, en partenariat avec le Programme mondial de l’alimentation (PAM), une étude complète sur la sécurité alimentaire en Tunisie, et j’étais parmi ceux qui disaient clairement qu’il y avait des dysfonctionnements structurels en matière de sécurité alimentaire dans notre pays, et parmi ces dysfonctionnements, une production qui ne satisfait pas aux besoins du pays alors que le potentiel existe. Ceci conjugué à un secteur agroalimentaire incapable de réussir comme il se doit la transformation des produits agricoles pour une autosuffisance alimentaire nationale depuis la production jusqu’au stockage, en passant par la transformation. La question de la sécurité alimentaire de notre pays est l’une des questions les plus importantes à mettre sur la table aujourd’hui ».

Nous pouvons élaborer toutes les études du monde, si on ne trouve pas les compétences adéquates pour les traduire en actions concrètes et réalisables afin de changer notre réalité économique, elles ne serviront qu’à meubler les banques de données des centres d’études stratégiques et des think tanks.

Grands temps pour la Tunisie de repenser ses politiques et stratégies économiques et d’accorder au secteur de l’agriculture l’importance qu’il mérite afin de réduire la dépendance du pays en matière de produits alimentaires de base.

Amel Belhadj Ali