Interpellé le 8 août 2021 sur la crise survenue en Tunisie suite au “coup de force constitutionnel“, du 25 juillet 2021, lors d’une entrevue périodique avec la presse algérienne, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, l’a expliquée par le résultat naturel du « choix par la Tunisie d’un régime inadapté aux pays du tiers-monde ».

Abou SARRA

Le chef de l’Etat algérien semble dire que la Constitution adoptée en 2014 et qualifiée à l’époque « d’une des meilleures Constitutions du monde » par le président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), Mustapha Ben Jaafar, était trop évoluée pour les Tunisiens et n’était donc pas adaptée au degré de développement de la Tunisie qui demeure, d’après lui, un pays du tiers-monde. 

Lire entre les lignes, la Tunisie reste un pays pauvre avec toutes les caractéristiques d’un pays sous-développé du Sud, en l’occurrence : problèmes d’éducation, inégalités sociales, clientélisme, népotisme, économie de rente dépendante de l’étranger, surendettement, injustice, impunité, corruption, contrebande, tribalisme, clanisme…

Le chef de l’Etat algérien lève le voile ainsi sur un élément d’appréciation de la crise multiforme dans laquelle se débat la Tunisie, depuis le changement du 14 janvier 2011, élément que les politiques et experts tunisiens abordent rarement dans leur analyses.

 La Constitution de 2014 est inadaptée au contexte tunisien

En effet, au regard de ses résultats politiques et socioéconomiques, la Constitution de 2014, qui devait, en principe, favoriser l’amélioration de la situation des Tunisiens dans tous les domaines, a généré l’effet contraire. Elle a plutôt aggravé leur précarité et accentué leur sous-développement.

A titre indicatif, le pouvoir local institué par la Constitution de 2014 et concrétisé par les élections municipales en 2018, au lieu de consacrer sur le terrain « la démocratie délibérative » dont l’exercice commence au niveau des structures de base locales, a abouti au résultat non souhaité. Elles ont réveillé les démons du tribalisme et du clanisme au point que certains maires, comme celui de la ville du Kram (banlieue nord de Tunis), l’“ayatollah“ Layouni, se sont arrogés, sous prétexte qu’ils sont élus (3 000 voix sur un total de population de la ville de 94 000 pour le cas de Layouni), de se comporter comme des chefs de tribus indépendantes et de narguer, à maintes reprises, le plus souvent avec indécence, l’administration centrale y compris la présidence de la République.

En témoignent, également, au plan socio-économique, l’accroissement du chômage (18% de la population active et 40% parmi les jeunes), augmentation du taux de pauvreté à plus de 25% (1,7 million de pauvres), recul de plus de 60% de la production dans certains secteurs exportateurs (phosphate, hydrocarbures, tourisme…), surendettement (plus de 120% du PIB si on ajoute les dettes des entreprises et les garanties de l’Etat), déficit des entreprises publiques et des caisses de sécurité sociale…

Au plan politique, la Constitution de 2014, bien qu’elle soit en théorie largement conforme aux normes énoncées par la doctrine démocratique et libérale des droits de l’Homme universels, a entraîné, par l’effet de l’impossibilité de son applicabilité, de graves blocages institutionnels, dissuadant ainsi toute réforme structurelle dans le pays.

Plus grave, elle a été instrumentalisée, à la faveur de l’adoption de lois sur mesure, pour servir les intérêts exclusifs des “commerçants“ de la religion (islamistes cupides), des djihadistes terroristes protégés et une cinquantaine de familles makhzéniennes complices monopolisant toutes les activités économiques du pays.

Le tournant “salutaire“ du 25 juillet 2021

Face à une telle situation qui a poussé une population exacerbée à descendre dans la rue, il fallait réagir. C’est qu’a fait le président Kaïs Saïed en deux temps, le 25 juillet et le 22 septembre 2021, en limogeant le chef du gouvernement et en suspendant le Parlement.

Objectif avoué : sauver le pays d’une déliquescence totale.

En dépit des thèses des opposants sur cet acte audacieux, pour la plupart des makhzéniens embauchant des soi-disant intellectuels et constitutionnalistes formalistes, qui crient à gorge déployée à la naissance d’une nouvelle dictature, le tournant qu’a pris la Tunisie, ce 25 juillet 2021, vient consacrer certes, par excellence, un état d’exception mais constitue, en même temps, un commencement pour réinventer le pays sur la base d’un nouveau contrat social.

Ce nouveau contrat social, qui devrait mettre fin non seulement aux abus commis au cours des 10 dernières années par l’islam politique et ses acolytes parmi les partis centristes arrivistes (Nidaa Tounès, Qalb Tounès…), mais également à la confiscation du pouvoir, depuis l’accès du pays à l’indépendance en 1956.

Urgence de réinventer le pays

Il s’agit tout simplement de prendre une feuille blanche et de réinventer le pays sur la base de nouvelles valeurs partagées par la majorité des Tunisiens partout où ils se trouvent.

Ces valeurs, contrairement à celles parachutées dans la Constitution de 2014, sans aucun effort de pédagogie et de communication, doivent germer, dans les esprits des Tunisiens à la faveur de campagnes de sensibilisation et d’explication à entreprendre dans toutes les contrées du pays.

C’est seulement à ce prix que les Tunisiens, après avoir satisfait, dans les règles, leurs besoins essentiels (nourriture, sécurité, emploi, accès aux services publics de qualité …), peuvent prétendre qu’ils méritent de jouir des bienfaits de la démocratie – mais jusque-là fictive – concoctée dans la Constitution de 2014.

N’oublions pas qu’actuellement les Tunisiens, avec le travail de déstructuration et d’appauvrissement accompli par l’islam politique, sont au stade du premier niveau de la célèbre pyramide des motivations du psychologue humaniste américain, Abraham Harold Maslow.

Cette pyramide distingue, dans l’ordre, cinq niveaux de besoins : besoins physiologiques (la faim, la soif), besoins de sécurité et de protection (désir de disposer d’un toit…), besoins d’appartenance (volonté de faire partie d’une famille, d’un groupe, d’une tribu…), besoins d’estime de soi (qui permettent de se regarder dans le miroir le matin) pour les besoins psychologiques, et enfin, besoins de s’accomplir et d’atteindre la sérénité.

Cela pour dire que la démocratie demeure, de toute évidence, la moins mauvaise méthode de commandement des peuples. Elle reste un idéal à atteindre. Nous ne dirons jamais, comme certains seraient tentés de le dire, que la démocratie est impossible dans le monde arabo-musulman, mais simplement qu’elle s’apprend et qu’elle se prépare dès l’enfance, d’où l’enjeu d’agir, à cette fin, sur l’éducation.