Le président de la République, Kaïs Saïed, a chargé, mercredi 29 septembre, Najla Bouden Romdhane, de former un gouvernement, conformément au décret présidentiel n°2021-117 en date du 22 septembre 2021 relatif aux mesures exceptionnelles.

Cette décision intervient deux mois après l’activation de l’article 80 de la Constitution et l’annonce d’une série de mesures dont le gel des activités de l’Assemblée des représentants du peuple, la levée de l’immunité parlementaire et la révocation, le 25 juillet 2021, du chef du gouvernement, Hichem Mechichi.

Le décret présidentiel n°2021-117 émis la semaine écoulée a maintenu les mesures précitées et suspendu toutes les indemnités et avantages accordés au président du Parlement et ses membres.

Il a, en outre, énoncé que le préambule de la Constitution ainsi que les chapitres 1 et 2 (principes généraux et droits et libertés) et toutes les dispositions constitutionnelles qui ne s’opposent pas à ces mesures exceptionnelles restent en vigueur.

Il a également été décidé la suppression de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (qui devait jouer le rôle de Cour constitutionnelle).

Le président de la République se charge, dans le cadre de ce décret, de l’élaboration de projets d’amendements relatifs aux réformes politiques, avec le concours d’une commission qui sera également créée par décret présidentiel.

Selon l’article 22 du décret 117, ces projets de révisions ” doivent avoir pour objet l’établissement d’un véritable régime démocratique dans lequel le peuple est effectivement le titulaire de la souveraineté et la source des pouvoirs qui les exerce à travers des représentants élus ou par voie de référendum.

Ce régime repose sur la séparation des pouvoirs et l’équilibre réel entre eux. Il consacre l’Etat de droit et garantit les droits et les libertés publiques et individuelles et la réalisation des objectifs de la révolution du 17 décembre 2010 relatifs au travail, à la liberté et à la dignité nationale. Ces projets de révisions sont soumis par le Président de la République au référendum pour approbation. ”

Concernant le pouvoir législatif, le décret prévoit la promulgation, par le président de la République, de textes sous forme de décrets-lois après réunion du conseil des ministres. Le président exerce le pouvoir exécutif avec l’aide d’un gouvernement présidé par un chef de gouvernement.

La nouvelle phase politique en Tunisie a ainsi été enclenchée le 25 juillet dernier après le recours du président de la République à l’article 80 de la Constitution qui stipule qu’ ” en cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception “.

Dès l’annonce de ces mesures, les rues de Tunisie ont été envahies par une population en liesse qui a manifesté son soutien au président de la République.

Le 23 août, Kaïs Saïed a décidé, par décret présidentiel, la prolongation des mesures exceptionnelles jusqu’à nouvel ordre.

Au plan politique, les réactions des partis face aux décisions présidentielles ont divergé.

Plusieurs formations politiques ont estimé que ces décisions s’inscrivent dans le cadre de la Constitution et permettront de remettre sur les rails le processus de la Révolution et une véritable démocratie.

Le mouvement Ennahdha et ses alliés, dont la coalition al-Karama, ont pour leur part qualifié les décisions de Saïed de “coup d’Etat contre la Révolution et la Constitution”. Ils ont appelé à amorcer un dialogue national dans le but d’apporter des solutions à la crise multidimensionnelle qui a frappé le pays.

Les acteurs politiques, les organisations nationales et la société civile ont également appelé le chef de l’Etat à hâter la formation d’un gouvernement restreint en vue de trouver une issue à la crise économique et sociale dans le pays.

Ils ont, aussi, demandé au président de la République de clarifier la feuille de route adoptée, de se prononcer sur le sort du parlement et de dévoiler les réformes à instaurer dans tous les domaines.

S’agissant des appels à la tenue d’un dialogue national, Kaïs Saïed a affirmé à plusieurs reprises “qu’il est hors de question de revenir en arrière”, soulignant que le Parlement constitue une menace qui plane sur le pays.

Le président Saïed a pris une série de décrets présidentiels mettant fin aux fonctions de certains ministres et gouverneurs. Il a, en outre, nommé deux ministres chargés de la gestion des ministères de l’Intérieur et des Finances. Cependant, le vide ministériel aux départements de la Justice, de la Défense et de l’Agriculture n’a pas été comblé.

Le 9 septembre courant, le conseiller du président de la République Walid Hajjem a déclaré que Saïed pourrait s’orienter vers le changement du régime politique probablement par la voie de référendum. Cela suppose, a-t-il dit, de suspendre la Constitution et d’opter pour une organisation provisoire des pouvoirs publics.

Ces déclarations ont suscité des condamnations de la part de certains partis politique qui ont appelé Saïed à clarifier sa position au sujet de la suspension de la Constitution.

Kaïs Saïed a alors réaffirmé, lors d’une visite nocturne à l’avenue Habib Bourguiba, qu’il agit dans le cadre de la Constitution, et n’a pas exclu d’y apporter des amendements.

De son côté, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a publié une feuille de route comportant des propositions et des dispositions à entreprendre à la lumière des mesures exceptionnelles annoncées par le président de la République. Il s’agit notamment de la formation, dans les plus brefs délais, d’un gouvernement restreint de compétences nationales qui ne sera pas concerné par les prochaines élections.

La centrale syndicale a également proposé de fixer un délai au terme duquel l’état d’exception devra prendre fin. Il importe aussi, selon l’UGTT, de trancher définitivement le sort de l’Assemblée des représentants du peuple.

Sur le plan diplomatique, plusieurs délégations étrangères ont visité la Tunisie et rencontré le président de la République.

Le Haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell, a déclaré le 10 septembre à l’issue de l’entretien avec le Chef de l’Etat, lui avoir transmis “les appréhensions européennes par rapport à la préservation de l’acquis démocratique en Tunisie”. Il a ajouté que ” Le libre exercice du pouvoir législatif et la reprise de l’activité parlementaire font partie de cet acquis et doivent être respectés “.

Le président Saïed a également rencontré, le 5 septembre, une délégation du Congrès américain et réaffirmé à cette occasion que les mesures prises le 25 juillet s’inscrivent dans le cadre de la Constitution, reflètent la volonté du peuple et visent à préserver l’Etat.

Dans une déclaration conjointe publiée le 7 septembre, les ambassadeurs des pays du G7 en Tunisie ont insisté sur la nécessité d’un “retour rapide à un cadre constitutionnel dans lequel un parlement élu joue un rôle significatif”.

Ils ont souligné “le besoin urgent” de nommer un nouveau chef du gouvernement pour former une équipe ministérielle “apte à faire face aux crises économique et sanitaire”, et de “créer un espace inclusif de dialogue sur les réformes constitutionnelles et électorales proposées”.

Par ailleurs, Alger et Le Caire ont affirmé, début août, avoir ” convenu d’accorder un soutien total au président Kaïs Saïed, ce qui est de nature à concrétiser la volonté et les choix du peuple tunisien, et à préserver la stabilité et la sécurité du pays. “