«Si les Aghlabides étaient, encore, vivants, ils auraient construit de nouveaux bassins», a déclaré, avec beaucoup d’humour, le président de la République, Kaïs Saïed, lors d’une récente visite à Kairouan (centre de la Tunisie).

Abou SARRA

Le chef de l’Etat, qui sermonnait ainsi les responsables centraux et régionaux pour le retard qu’accuse la restauration des bassins aghlabides et de la médina de Kairouan, en dépit de la disponibilité du financement du projet, voulait montrer combien nos ancêtres étaient meilleurs et plus ingénieux que nous.

Projet victime de la léthargie administrative

Pour mémoire, ce projet, financé par un don saoudien de 15 millions de dollars et qui date de 2013, a pour objectif de restaurer les monuments historiques de la ville de Kairouan (Grande mosquée Okba Ibn Nafaa, Médina, zaouias…) et de mettre en valeur une cinquantaine de bassins aghlabides classés patrimoines universels par l’Unesco.

Point d’orgue de ce projet : l’édification d’un grand musée qui sera consacré à la civilisation islamique et la création d’un parc archéologique.

Une dizaine d’années après l’annonce officielle, ce projet ne toujours pas l’objet d’une étude de faisabilité. Pour preuve, l’Institut national du patrimoine (INP), structure bureaucratique en charge de l’exécution du projet, n’a lancé un appel d’offres international pour “la réalisation de l’étude de restauration » que fin octobre 2020.

Abstraction faite de cette traditionnelle léthargie administrative tunisienne et ses conséquences néfastes dont les surcoûts générés par ce retard, tout montre que le chef de l’Etat était bien inspiré d’avoir établi un parallèle entre nos ingénieux aghlabides et leurs héritiers, de véritables flemmards assistés qui attendent que les solutions à leurs problèmes leur tombent du ciel.

Les hydrauliciens aghlabides étaient ingénieux

Est-il-besoin de rappeler que nos ancêtres carthaginois, aghlabides, fatimides et autres…, confrontés à l’aridité du climat et aux embargos et sièges imposés par les guerres, ont su s’adapter à la précarité des situations pour se faire approvisionner en eau potable.

En construisant des bassins d’une capacité de rétention globale de 53 millions de mètres cubes, l’équivalent d’un barrage moyen, dans une région si aride comme celle de Kairouan, les hydrauliciens aghlabides ont non seulement pu résoudre le problème de l’eau potable dans cette grande cité, mais également donner le bon exemple pour d’autres communautés du Maghreb (Marrakech au Maroc) et de la Méditerranée.

Les Fatimides qui ont succédé aux Aghlabides ont fait mieux. Sous le règne du calife fâtimide al-Mu’izz, en 961, on édifia un aqueduc qui approvisionnait les bassins en eau potable provenant de la Chréchira, située à 40 km à l’ouest de Kairouan.

Les Fatimides se sont également distingués par la réalisation, à Mahdia, leur capitale, de grandes citernes de collecte d’eau de pluie.

Cela pour dire que l’ingéniosité des hydrauliciens était constamment là pour remédier aux pénuries d’eau potable dans nos anciennes cités.

Le génie n’est pas héréditaire !

Par-delà ces exemples de réalisations grandioses de collecte d’eau de pluie, on constate malheureusement que la Tunisie contemporaine n’a pas su capitaliser et valoriser ce précieux savoir-faire.

Plus grave, les différents gouvernements du pays se sont efforcés à l’occulter, à l’oublier et même à l’abandonner au profit d’un système d’adduction d’eau soi-disant moderne mais défaillant, allusion ici au réseau de distribution d’eau de la SONEDE et aux fréquentes coupures d’eau.   

C’est malheureux d’assister, particulièrement durant la période estivale et partout dans le pays, au spectacle affligeant de routes coupées et de pneus brûlés par des sit-inneurs en colère réclamant de l’eau potable.

Ces mêmes manifestants qui, moyennant une assistance de l’Etat, auraient peut-être pu imiter leurs ancêtres carthaginois, aghlabides, fatimides… et collecter -même à titre individuel- l’eau de pluie. Le principe d’aménager une citerne domestique (majel) étant similaire à celui d’un bassin aghlabide (décantation + stockage).

C’est pourquoi, au regard de l’importance de l’eau dans la vie des gens et en prévision du stress hydrique qui sera de plus en plus marqué vers 2030, l’Etat tunisien est appelé à imposer, par la loi et des facilités d’accès aux crédits, la construction de citernes domestiques dans tous les foyers et bâtiments publics.

Obliger tous les foyers à s’équiper de majels

Il faut reconnaître que les pouvoirs publics ont déjà commencé à encourager la collecte et le stockage de l’eau de pluie, et à réglementer la construction de majels et bâches d’eau. A cette fin, deux textes réglementaires ont été promulgués, lesquelles demeurent toutefois limités voire inefficaces.

Le premier texte est le décret 1125 du 22 août 2016 qui permet aux personnes dont le revenu est inférieur à trois fois le SMIG de bénéficier d’un prêt du Fond national de l’amélioration de l’habitat (FNAH) d’un montant pouvant aller jusqu’à 10 000 dinars avec un taux d’intérêt de 3,5 % remboursable sur sept ans.

Quant au second décret (N° 171 du 19 février 2018), il oblige les promoteurs des bâtiments civils à construire des bâches de collecte des eaux pluviales. Ce texte réglemente également la construction et le fonctionnement de ces réservoirs de collecte et de stockage des eaux pluviales.

Néanmoins, compte tenu de l’urgence de pallier la pénurie d’eau et de satisfaire les besoins de la population en eau, l’idéal serait de généraliser l’équipement de tous les foyers du pays en citernes domestiques (majels), de promulguer à ce sujet une loi, d’instituer, à cette fin, des incitations et surtout d’assortir toute demande d’obtention du permis de bâtir, ou autre document administratif vital, à la disponibilité d’un majel chez soi.

Nous pensons que le résultat sera spectaculaire, en ce sens que si  une cité de quelques milliers d’habitants comme Kairouan, au temps des Aghlabides était parvenue à collecter, par le canal des bassins, 53 millions de mètres cubes d’eau de pluie, il faut imaginer le volume d’eau de pluie récupéré si toutes les agglomérations du pays s’engageaient à emmagasiner cette même eau de pluie laquelle présente, en plus, l’avantage d’être pérenne.