Malgré leur forte contribution à la production agricole nationale et leur apport en matière de sécurité alimentaire, les petites exploitations agricoles font face à des défis importants d’ordre économique, social et environnemental, selon une étude réalisée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).

Du manque de spécialisation et de mécanisation, au faible accès au financement et au foncier à la grande vulnérabilité face aux changements climatiques, ces défis mettent à mal le secteur de la petite agriculture qui compte plus 550 000 exploitants agricoles, selon les dernières statistiques disponibles qui datent de 2005.

Les défis économiques

D’après cette étude sur ” Les petites exploitations agricoles “, l’un des défis économiques consiste en le mode de gestion familial dominant, puisqu’il représente plus de 80% de l’emploi agricole en Tunisie. Il se traduit souvent, par des pratiques traditionnelles à tous les niveaux (économiques, techniques), ce qui constitue un frein important au développement et à la productivité, en raison de la faible introduction des méthodes et des outils de modernisation.

Le manque de spécialisation est également, un défi de taille qui réduit la productivité de la petite agriculture. Les petits exploitants ont souvent tendance à multiplier les activités qui incluent le plus souvent, l’arboriculture (oliviers), la culture des céréales, des fourrages et des légumineuses ainsi que l’élevage. Cette diversification permet dans une certaine mesure, d’assurer une sécurisation de la continuité de l’activité et des revenus, mais ce manque de spécialisation impacte négativement, les performances et la productivité des fermes.

Le faible accès au crédit des petits exploitants est un autre facteur qui les rend encore plus vulnérables. La faiblesse et le caractère aléatoire des revenus des petits agriculteurs font qu’ils s’abstiennent de recourir au crédit, de peur de ne pas pouvoir arriver à la fois à rembourser leurs dettes et subvenir aux besoins de leur famille. D’autre part, ce facteur fait qu’ils sont exclus des canaux classiques de financement bancaire.

Le faible accès aux canaux traditionnels de la finance justifie les formes alternatives de financement pour les petits exploitants avec le microcrédit, les crédits clients, l’emprunt après des familles, ou d’autres formes d’emprunt solidaire. Toutefois, les structures de microcrédits imposent des taux d’intérêts souvent excessifs alors que les crédits clients augmentent la dépendance des petits agriculteurs et limitent les perspectives de développement de leurs ventes à travers d’autres canaux.

Par ailleurs, les petits exploitants font face à un capital foncier de plus en plus limité. L’héritage (80%) représente la principale source de propriété des parcelles exploitées et se traduit souvent par un morcellement des terrains, impactant leur productivité.

Le faible degré de mécanisation est un autre défi de taille qui s’impose aux petits exploitants. La faiblesse de l’accès au crédit à l’investissement fait que les petites exploitations sont très peu dotées en équipement. Le manque d’équipements mécaniques et de motorisation a des impacts négatifs directs sur la productivité.

Il maintient un niveau élevé de pénibilité du travail, augmente les temps de travail, le coût de production et limite les capacités de transport lourd, qui sont une condition d’amélioration de la fertilité et de la mise en place d’une bonne gestion des ressources naturelles.

Les petits exploitants ont, en outre, de grandes difficultés à accéder aux marchés.

Le manque de fonds de roulement les oblige généralement, à vendre au moment de la récolte, lorsque les prix sont bas pour faire rentrer de l’argent. Ceci a une incidence directe sur leurs revenus. Les agriculteurs traitent aussi souvent avec des intermédiaires qui maîtrisent mieux les circuits de distribution et qui ont des marges beaucoup plus importantes que celles des agriculteurs.

Cette situation est aggravée par l’isolement géographique des petites exploitations agricoles et la quasi-absence d’infrastructures routières convenables et le manque de moyens de transports adéquats.

Les défis sociaux

Comme principal défi social, l’étude du FTDES épingle la pauvreté des exploitants agricoles. En Tunisie, la majorité des petits exploitants vivent dans la pauvreté, qui constitue un obstacle au développement de leur activité. Les politiques de développement menées depuis l’indépendance ont faiblement impacté cette catégorie qui figure parmi les groupes les plus désavantagés et vulnérables en Tunisie.

Le vieillissement des agriculteurs et la faible attractivité du secteur pour les jeunes serait également une menace majeure pour la pérennité de la petite agriculture. La proportion des exploitants âgés de plus de 60 ans est passée de 21% au début des années soixante à 37% en 1994 pour se situer en 2004 à 43%. Cette catégorie d’exploitants détient 46% de la superficie agricole totale.

Les conditions difficiles dans lesquelles évoluent les petits exploitants agricoles, font que les jeunes boudent de plus en plus l’agriculture et favorisent la montée de l’exode des zones rurales vers les villes, ce qui engendre une pénurie importante de la main d’œuvre agricole.

L’étude du FTDES évoque aussi, le faible niveau d’instruction des exploitants agricoles. En effet, le niveau d’instruction des exploitants agricoles est particulièrement bas. Seuls 3% (environ 17 mille) d’entre eux ont un niveau supérieur (ex : ingénieurs) mais ce sont surtout des exploitants qui gèrent de grandes parcelles.

Près de 85% des exploitants agricoles n’ont pas dépassé l’enseignement primaire. Le taux d’analphabétisme chez les exploitants agricoles est estimé à 46%, selon les gouvernorats ce taux est très souvent supérieur à 40% et atteint le pic de 67% dans le gouvernorat de Tataouine. Cette situation caractérise surtout les petits exploitants agricoles. La tendance au vieillissement est un facteur qui contribue au faible niveau d’instruction des exploitants.

Le manque d’accès aux infrastructures et services de base est un autre facteur inhibant la petite agriculture. Les petites exploitations sont généralement situées dans des zones rurales assez éloignées, parfois dans des montagnes, ce qui réduit considérablement l’accès aux infrastructures telles que les routes et aux services de base : eau potable, communications, l’électricité, l’irrigation, l’éducation, la santé, et l’assainissement.

Les faibles initiatives de regroupement des petits agriculteurs et les difficultés auxquelles font face les groupements existants (faible accès marché, faible taux d’encadrement, etc) et les fortes disparités genre qui caractérisent la petite agriculture ont aussi été mentionnées dans l’étude du FTDES.

Les estimations en 2017 indiquent, en effet, que le nombre total de femmes cheffes d’exploitations est de 44 000 contre 438 000 hommes. Les femmes représentent ainsi 8% du nombre total des exploitants et elles détiennent moins de 5% des superficies agricoles globales. La situation des femmes est encore plus difficile dans les petites exploitations agricoles où elles interviennent plus comme des ” employées agricoles ” non rémunérées car considérées comme aide-familiales.

Les défis environnementaux

Les changements climatiques ont des impacts grandissants sur la production agricole en accentuant un ensemble de risques liés aux organismes nuisibles et aux maladies.

La variabilité accrue du climat réduit les marges et augmente la volatilité des prix. Les petites exploitations agricoles sont plus impactées par ces phénomènes car elles dépendent en majorité des précipitations. Les petits agriculteurs sont d’autant plus vulnérables aux changements climatiques qu’ils n’ont pas les moyens techniques pour les prévenir ou y répondre.

L’autre défi environnemental menaçant la petite agriculture c’est l’usage non encadré de pesticides. L’utilisation de pesticides à usage agricole doit être encadrée par des vulgarisateurs des CRDA. Or, le manque de vulgarisateurs fait que les petits agriculteurs sont livrés à eux-mêmes dans le choix des pesticides auprès de vendeurs qui les conseillent sur les produits.

De plus, ils doivent souvent se fier aux recommandations de ces derniers sur les doses ou estimer eux-mêmes les doses nécessaires. Cette situation particulièrement fréquente chez les petits exploitants, est aggravée par le niveau d’instruction faible de ces derniers qui exposent leur santé et leurs exploitations à de grands risques en utilisant des quantités incontrôlées de pesticides.

Cette recherche, lancée par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), fait partie du projet “Réduire les inégalités dans la chaîne de valeur huile d’olive” mis en œuvre par OXFAM en partenariat avec l’ATFD, l’AFTURD, l’UGTT, et le FTDES.