Dans certaines économies avancées, la crise de la Covid-19 a réactivé les principales fonctions de l’Etat. On est loin du périmètre où l’enfermait la pensée néolibérale. On a vu l’Etat suppléer le marché. Il a préservé le système de financement de l’économie, maintenu en activité le système de paiement et protégé les plus démunis. L’Etat confirme la primauté de la voie sociale de marché.

L’économie s’est mise en veilleuse, durant le confinement. A quelques exceptions près, pays développés et pays en développement, tous se mettaient en régime maigre. Le marché étant en “stand-by“ programmé, l’Etat l’a suppléé, dans ses fonctions vitales. Il a relayé le financement de l’économie. De même qu’il a maintenu en activité le système de paiement. Et par-dessus tout, il a réactivé le service public, notamment le système de santé, bien trop négligé. De la sorte, il a empêché que se produise un coma systémique.

Cette globalité fonctionnelle réveille le débat sur le partage des rôles entre Etat et marché. Tout en confirmant le rôle prépondérant de l’Etat.

Le retour de l’Etat prépondérant

Sitôt le marché désactivé, les Etats, de par le monde, sont montés en première ligne prenant les choses en mains. Les plans de secours ont, à des degrés divers d’efficacité, relayé le cours de la vie. Les tenants du moins d’Etat en étaient à leurs frais.

Rappelons que la pensée néolibérale prône un Etat minimaliste. Comprenez un Etat réduit aux plus simples fonctions régaliennes, abandonnant tout l’espace d’échanges au libre jeu des forces du marché. L’univers anglo-saxon favorable à cette thèse a été le premier périmètre à éprouver l’insuffisance opératoire de ce modèle. Pour cela, il faut observer l’ampleur du plan de soutien à l’économie mis en place par la FED (la Banque fédérale américaine). Elle a mobilisé un peu plus de 10% du PIB des USA, en un seul coup.

Nous prenons cette intervention massive et énergique comme la preuve inégalable du pouvoir d’intervention de l’Etat dans son rôle de puissance publique.

De notre point de vue, c’est une exclusivité, indiscutable. Et, ce n’est pas loin d’être le cas en Europe. Les efforts nationaux ont été dans ce même ordre de grandeur. Il faut y ajouter le dernier coup de pouce de la Commission européenne avec la création du Fonds de relance communautaire.

Le concept du marché global, qui signifie, en définitive, que le marché est autonome et auto régulé, sera-t-il pour autant reconsidère ? Cela n’a pas été le cas après la crise financière de 2008. A l’heure actuelle, il montre des signes de résistance, en univers anglo-saxon. On peut comprendre qu’il cherche à esquiver. Après tout, cela renvient pour ses défenseurs à un désaveu. L’Union européenne, qui oscillait entre deux, semble se résoudre à la suprématie réaffirmée de l’Etat.

L’étendue du plan de sauvetage de la FED

Les Etats se sont montrés conséquents dans leur démarche de soutien à l’économie. Pour avoir décrété l’inactivité et le confinement, ils ont procuré des liquidités en quantité suffisante pour son financement. A titre d’exemple, l’Etat américain a injecté exactement 12% de son PIB en avoirs liquides, notamment pour empêcher que les entreprises tombent en faillite. Cela était fait sous forme de rachat de dettes par la FED. Il a de la sorte sauvé la mise aux « anges déchus » de Wall Street, entendez par-là les capitalisations majeures (Major Cap) de la Cote, tel Boeing ou Ford qui ont vu leur notation brutalement dégradée, au grade spéculatif (Junk Bonds). Grace à ces liquidités providentielles, ces entreprises, ont pu tenir le coup et faire face à leurs engagements immédiats, notamment pour le règlement des salaires.

Par ailleurs, les autorités américaines ont aussi volé au secours des entreprises de “MainStreet“, entendez les PME de la “Grande rue du Village“. Tout le tissu économique était sous parapluie public. Fortes de cette aide publique, les entreprises peuvent se tourner vers le marché pour emprunter davantage en évitant de payer une surprime. Ce qui est une mesure d’efficience. Au nom de la rationalité, prélude de l’efficacité économique, le marché aurait légitimé cette “surprime“ du fait de la qualité dégradée du risque des entreprises. L’Etat a cassé cet engrenage, prouvant que certains artifices de marché ne sont que des subterfuges qui ne disent pas leur nom.

Efficience contre rationalité, le choix est vite fait. Poussée jusqu’au bout, la logique du marché aurait causé des faillites en série, du fait du renchérissement du coût de la dette, jusqu’à l’étouffement. L’idée de la “destruction créatrice“ se trouve bien écornée.

L’au-delà du plan européen de relance

Légère démarcation par rapport à l’Amérique, les Etats européens ont activé leurs moyens propres en y associant le fonds de relance communautaire. On a vu l’Italie et l’Espagne  à la peine le temps que l’Europe se décide enfin en faveur d’un fonds de relance communautaire. Les entreprises seront perfusées ainsi que les couches sociales démunies.

La différence avec l’Amérique est que les Etats européens entendent reprendre la main sur le marché et infléchir la reprise vers la transition écologique, déviant de l’orientation néolibérale antérieure.

A tire d’exemple, le plan de sauvetage de la firme Renault, mis en place par l’Etat français, abonde en ce sens en privilégiant la voiture électrique. Ce qui est conforme aux exigences du développement durable. De plus, l’Etat français étant actionnaire dans des entreprises du CAC 40, tels Renault ou Total, entend donner de la voie pour peser sur la gouvernance de ces grands groupes les rapprochant de la voie de la transition écologique.

L’Etat et l’intérêt général

L’Etat peut déconnecter le marché et jouer son rôle, en situation d’urgence. Et il s’est montré plus prévenant à l’attention des agents économiques en difficulté, grands groupes ou populations démunies. En plus des mesures de prévenance de l’activité économique, l’Etat a ranimé le service public, rappelant l’importance de ce pan essentiel, indispensable à la vie sociale. Ce dernier était marginalisé car ne répondant pas aux exigences de la rationalité économique. Et cela s’est surtout vérifié dans les Etats où la République est restée puissante, imposant une supervision démocratique de la politique.

La thèse de Kenneth Joseph Arrow a bien montré que les préférences individuelles, guidées par la rationalité économique, devaient laisser la primauté aux choix collectifs. La raison en est simple : les choix collectifs préservent le corps social. Longtemps les tenants du dogme néolibéral ont soutenu que l’Etat devait se subordonner au marché. La crise du coronavirus a montré que l’Etat devait englober le marché sans toutefois l’engloutir, pour cause de supériorité fonctionnelle d’ensemble.

Perpétuer le principe de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits devient sans raison. Avec un Etat plus engagé dans la vie publique, allons-nous vers un monde moins inégalitaire ? La voie semble se dessiner, ce qui, malgré tout, ne nous exonère pas de militer dans cette direction.

Ali Abdessalam