La récession que va connaitre la Tunisie, de loin la plus grave depuis l’indépendance, entraînerait, selon les dernières évaluations du FMI, une moins value de 5,2 milliards de dinars au niveau des ressources propres du budget de l’Etat.

En fait, la moins value risque d’être encore beaucoup plus importante. Outre les contraintes de la distanciation sociale qui amènent de nombreuses entreprises à travailler avec un effectif réduit, la loi des finances initialement adoptée fin 2019 comportait d’importantes fragilités notamment au niveau des recettes fiscales, dont les prévisions sont établies sur la base du maintien de la pression fiscale relativement élevée de 2019 (25,4%) due en partie à l’effet de l’amnistie fiscale et à la suppression du mécanisme de crédit d’impôt, mis en place par le passé pour servir une partie des augmentations de salaires dans la fonction publique.

Du coté des dépenses, les nouvelles urgences sanitaires et sociales se traduisent par des charges additionnelles importantes pour soutenir les familles et les ménages.

Les enveloppes annoncées, totalisant près de 3 milliards de dinars en tenant compte des garanties accordées, seraient probablement révisées à la hausse en relation avec les factures croissantes du chômage partiel et éventuellement du lancement de grands chantiers d’utilité publique.

De même, les engagements additionnels de l’Etat pourraient être encore plus élevés dans le cas où les entreprises publiques, soumises pour la plupart à d’importantes baisses de leur chiffres d’affaires n’arrivent pas à honorer leurs engagements se rapportant particulièrement aux remboursements des prêts extérieurs bénéficiant de la garantie de l’Etat.

Le seul bémol qui peut, à ce stade, être avancé c’est la baisse attendue des subventions allouées au secteur énergétique en relation avec la chute des cours mondiaux du pétrole.

Certes, la marge de manœuvre à court terme est très limitée compte tenu de la rigidité des dépenses de l’Etat, constituées à hauteur des deux-tiers par le paiement des salaires et du service de la dette publique, d’une part, et de la situation sociale et économique particulièrement difficile de l’année 2020, d’autre part.

L’Etat ne pourra, a priori, que réviser à la hausse le déficit budgétaire ainsi que le recours aux emprunts intérieurs et extérieurs et assumer, par voie de conséquence, une forte aggravation de la dette publique.

Selon les dernières évaluations du FMI, celle-ci fera « un bond à 88 pour cent du PIB » à fin 2020 contre 72,3 pour cent en 2019.

Il n’en demeure pas moins que, tout en assumant la lourde facture du Covid-19, il est vital de se préparer à engager, dès que la relance économique se profile, de vastes programmes de réformes et de restructuration des finances publiques.

Au préalable, il est important de renforcer les efforts déployés en matière d’amélioration de l’analyse et de la gestion des risques budgétaires en élargissant le cadre étroit du budget de l’Etat tel qu’il est élaboré actuellement afin d’avoir une vision globale des engagements prenant en compte les établissements publics à caractère non administratif, les fonds spéciaux, le coût des exonérations publiques et les garanties accordées par l’Etat ainsi que les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale.

Il importe, en second lieu, de relever que les prélèvements obligatoires ont considérablement augmenté durant les dernières années.

Le taux global des impôts et des cotisations sociales est passé de 26.4 pour cent du PIB en 2005 (année d’achèvement du programme de démantèlement tarifaire avec l’UE) à 34,6 pour cent en 2019 soit un taux dépassant de 0,3 point de pourcentage la moyenne de l’OCDE et dépassant de loin pratiquement tous les pays à économie émergente.

De la sorte, la fiscalité demeure un important chantier dont il importe d’accélérer la finalisation dans le sens du renforcement de l’équité fiscale et de la confiance des contribuables ainsi que de la préservation de la compétitivité de l’entreprise.

Il importe enfin d’engager une importante rationalisation des dépenses publiques ayant comme socle :

1. Le redéploiement du personnel de l’Etat sur la base d’un audit des différentes administrations centrales et régionales en vue de déterminer, en fonction d’une clarification des missions qui leur sont dévolues, les plans de charges requis, les programmes de formation nécessaires et les logistiques qu’il importe, graduellement, de mettre en place et ce concomitamment à la réduction graduelle de l’effectif de la fonction publique en maintenant la règle de remplacement d’une personne sur 4 départs à la retraite.

2. La rationalisation de la politique de subvention en exploitant les facilités qu’offrent les nouvelles technologies pour repenser l’intervention de la caisse générale de compensation.

Le remplacement du système de subvention en place par un transfert bancaire ou postal au profit de tous les ménages à faible revenu est désormais possible grâce à l’expérience acquise en matière de distribution de l’aide sociale décidée pour aider une partie de la population à faible revenu confinée, grâce aussi et surtout à la mise en place d’une plateforme de paiement mobile donnant la possibilité pour chaque ménage de disposer d’un compte virtuel pour recevoir l’aide à laquelle il a droit.

3. La restructuration des entreprises publiques dans le cadre de contrat programmes en concertation avec les structures consultatives et syndicales, précisant les redéploiements du personnel requis, le reprofilage, si nécessaire, de leur endettement, la clarification de la mission de service public qui leur est assignée et repensant les systèmes de gestion et de contrôle dans le sens d’un rapprochement avec ceux en vigueur au niveau des groupes privés.

Dans l’attente, des plans d’actions urgentes devraient être élaborés pour leur permettre d’honorer leurs engagements particulièrement à l’égard de la petite et moyenne entreprise ainsi que pour faire face aux urgences en matière de maintenance de leurs équipements.

Il est important de relever à ce niveau que la situation de la plupart des entreprises publiques est réellement critique.

Les quelques informations disponibles font état de lourdes pertes et de graves problèmes de trésorerie. C’est le cas notamment de Tunisair dont les pertes cumulées s’élèvent à près de 900 millions de dinars à fin 2017, et de la STEG qui enregistre, en 2018, un déficit de 2 milliards de dinars.

Conclusion

La crise que vit la Tunisie est à la fois porteuse de graves problèmes qu’il importe de résoudre et d’importantes opportunités qui doivent être exploitées et optimisées.

A court terme, des pertes considérables sont inévitables. L’on ne peut que les assumer en s’efforçant d’en limiter l’impact sur les familles à faible revenu et sur la petite et moyenne entreprise tout en veillant à ne pas hypothéquer l’avenir.

A moyen et long termes, d’importants gains peuvent être engrangés à condition toutefois d’en réunir les conditions en tête desquelles la résorption des goulots entravant la liberté d’initiative, l’élimination des distorsions source de gaspillage dans l’allocation des ressources, la convergence des efforts sur des secteurs et des activités présentant des avantages comparatifs significatifs sur les plans régional et international ainsi que la valorisation de la position géographique de la Tunisie en approfondissant les accords déjà conclus et en les étendant à d’autres pays sur des bases mutuellement profitables.

La Tunisie doit, à cet égard, renforcer le potentiel de veille et d’anticipation pour pouvoir se positionner à temps et exploiter les importantes mutations de l’économie mondiale après le Covid19 afin de créer davantage de richesses sur des bases inclusives et durables.

Plus rien ne sera comme l’avant coronavirus sur le plan des tissus économiques. De nombreuses productions n’auront plus la place qu’elles avaient par le passé.

D’autres, par contre, sont appelées à connaitre un important essor au cours des prochaines décades. Ce sera le cas, très probablement, des secteurs de la santé, du numérique et de l’environnement, dans lesquels la Tunisie dispose de sérieux atouts pour en faire des pôles d’excellence, ayant d’importants effets d’entrainement du reste de l’économie pour accéder à des paliers supérieurs.

La Tunisie doit s’y engager fortement dans le cadre de stratégies globales, créant une synergie entre les secteurs publics et privés, impliquant la convergence entre les politiques de l’enseignement, de la formation, de la recherche scientifique avec celles de l’aménagement du territoire et des incitations fiscales et financières.

Plus rien ne sera comme l’avant coronavirus sur le plan des relations internationales. Les appels sont de plus en plus nombreux réclamant la relocalisation des industries stratégiques après les importantes ruptures d’approvisionnement entravant la production de biens essentiels.

De même, les appels se font, de plus en plus, entendre sur la nécessité de repenser les relations commerciales mondiales pour que les règles de la concurrence que l’OMC s’attache à faire respecter intègrent à côté de la lutte contre la contrefaçon et le dumping commercial, le dumping environnemental et le dumping social.

La Tunisie doit, également, essayer d’exploiter ces nouvelles tendances dans les relations extérieures en valorisant davantage l’insertion de son économie dans l’espace euroméditerranéen et en s’engageant résolument dans la labellisation de ses produits en tant que produits respectueux de l’environnement et de l’équité sociale.

Forum Ibn Khaldoun pour le développement le 20 mai 2020