Les dix failles dans l’interview d’Elyes Fakhfakh sur France24, d’après Adlen Kamoun

Par : Autres

Monsieur le chef du gouvernement tunisien,

J’ai dans mon réseau des gens qui vous sont proches et j’espère qu’ils auront le courage de vous transmettre ce message sincère. J’autorise évidement mes nombreux amis journalistes qui me suivent à utiliser ce post comme bon leur semble…

Je viens de voir avec sidération et étonnement sincère votre interview sur France 24. Je suis un professionnel de la stratégie, j’ai eu la chance de travailler pendant 20 ans avec les plus grands cabinets de conseil au monde et partout sur la planète. Je connais donc parfaitement les profils qui vous entourent. Mais bien que je vous désigne, mes propos s’adressent avant tout à vos équipes.

Je viens d’un monde où chaque réunion ou intervention se préparent durement. Les enjeux, les risques, les objectifs, les éléments de langage, le timing et surtout le fameux «next step». Il semble que vos équipes payées très cher n’aient aucune idée de ce dont je parle !

Vous avez eu la chance incroyable de représenter la Tunisie, tous ses citoyens (nes) et toutes ses entreprises devant France 24.

Je vous rappelle les enjeux de cette interview : France 24, ce sont quatre chaînes mondiales d’information continue (en français, en anglais, en arabe et en espagnol), émettant 24h/24 et 7j/7 dans 355 millions de foyers sur les 5 continents.

France 24 rassemble 61,2 millions de téléspectateurs hebdomadaires mesurés dans 67 pays et est la 1ère chaîne d’information internationale au Maghreb et en Afrique francophone.

Votre interview est aujourd’hui traduite dans les 4 langues, et sera rediffusée toute la semaine et disponible sur la chaîne youtube.

Un extrait est diffusé à chaque journal d’information, soit TOUTES les 20 minutes et régulièrement toute la semaine.

Ce discours apparaît sur la page principale du site France24

En résumé, le monde entier va voir votre prestation, des politiques, des investisseurs, des entreprises, des citoyens du monde, des touristes potentiels, des étudiants, des chercheurs, des fonds d’investissement, nos grands partenaires comme la BM, le FMI, l’UE, les ambassades et j’en passe.

Pourriez-vous me citer une seule phrase factuelle de votre discours? Vous nous enchaînez banalités sur banalités, aucune position claire, vous ne répondez pas aux questions, vous restez dans le flou total et, pire que tout, vous nous enchaînez des phrases hors sol qui pourraient être utilisées par tout le monde et qui ne relient en rien vos paroles aux enjeux de la Tunisie.

Quels étaient les objectifs de cette intervention ? 

Vous avez fait l’exploit de ne citer aucun chiffre, aucune mesure, aucun appel, aucune proposition, aucun remerciement, rien, LE NEANT absolu!

Alors que les pays les plus modernes du monde sont à genoux et croulent sous les ratés et les polémiques, il était simple de prendre le dessus et de gagner la guerre de l’image : il était si simple -si vous n’étiez pas entouré d’amateurs- de construire un discours sur les axes suivants :

1 – Les politiques mises en place en Tunisie nous placent parmi les meilleurs pays du monde en termes d’efficacité et de sûreté pour l’avenir. Vous auriez pu détailler les mesures et citer nos chiffres.

2 – Vous auriez pu jouer sur l’effet Raoult et dire que la Tunisie utilise et fabrique de la chloroquine, le peuple de France vous aurait applaudi. Vous auriez pu parler des recherches génétiques du laboratoire Charles Nicolle et annoncer que la Tunisie travaille sur un vaccin pour promouvoir notre recherche de pointe.

3 – Vous auriez pu mettre en valeur nos médecins et personnels de santé (EN LES REMERCIANT) et mettre en avant une image d’un pays « sûr et compétent ». Vous auriez pu citer Bourguiba qui a fait le choix de miser sur la médecine d’urgence, ce qui fait que nous avons sans doute parmi les meilleurs urgentistes et réanimateurs du monde. Vous auriez pu dire que des médecins tunisiens sont allés aider l’Italie, mais non. Le fait que nous avons un tourisme de santé qui aurait bénéficié de cette image ne vous a pas effleuré.

4 – Vous auriez pu citer nos agriculteurs qui se sont mobilisés et qui font que nous n’avons quasiment rien eu à importer alors que des pays annoncent des ruptures de stock et des famines. Vous auriez pu remercier les services de l’Etat et tous ceux et celles qui ont travaillés malgré les risques et annoncer des grandes réformes comme sur la digitalisation.

5 – Vous auriez pu mettre en avant notre image technologique et nos chercheurs et parler des robots dans les rues, des drones, de la désinfection par UV, des camions labo, de l’intelligence artificielle, des applications, etc. Il y avait tant a dire pour soutenir notre recherche et nos entreprises. Vous auriez pu lancer un APPEL à collaboration et aux investisseurs. Mais RIEN!

6 – La France est sous la polémique du manque de préparation et de la dépendance des masques avec la Chine : vous auriez pu parler des 150 ouvriers et ouvrières qui se sont enfermés dans leurs usines pour fabriquer des masques, et expliquer au monde que la Tunisie est le premier fournisseur de masques pour toute l’Afrique et les inviter à nous en commander et a réfléchir à des partenariats dans le temps.

7 – vous auriez pu parler des réflexions sur la mondialisation et expliquer que la Tunisie est prête a accompagne l’Europe dans la transformation des chaînes logistiques pour ne plus dépendre de la Chine et mettre en avant toute nos industries notamment pharmaceutiques, dans une nouvelle mondialisation plus humaine et plus régionale.

7 bis – Vous auriez pu parler de notre résolution commune avec la France à l’ONU et lancer un appel à soutenir cette résolution franco-tunisienne ! Cela ne doit pas vous sembler important mais en termes d’image, vous avez raté une occasion en or. C’est terrible !

8 – Nous sommes en mai et toute l’Europe et l’Afrique se posent la question des vacances et des transports, vous auriez pu mettre en avant la sûreté de notre pays et lancer un appel à la réouverture ciblée par pays des lignes aériennes en reprenant les excellentes propositions de votre ministre du Tourisme, Mohamed Ali Toumi, permettant de mettre en place des protocoles sûr et des Safe Zone. Vous auriez pu lancer un appel aux Algériens et aux Maghrébins en général qui regardent massivement cette chaîne !

9 – Vous auriez pu parler du retour de la nature en ces temps de migration pour les oiseux et être le premier homme politique à lancer un appel à un plan Marshall de l’écologie pour la Méditerranée qui permettrait de créer des milliers d’emplois et traiter les problèmes énergétiques  entre autres.

Vous me répondriez que vous avez autre chose à faire et que je prends beaucoup de temps à réagir à un épisode éphémère.

Je vous répondrais encore une fois que je suis un professionnel dont le métier est d’analyser les signaux faibles pour en tirer des prospectives et des stratégies.

Cette interview fait partie de ces signaux faibles qui trahissent une mentalité, un état d’esprit, une gouvernance et surtout un état de fait! Si vous n’avez cité aucun des points que j’ai mentionné plus haut, c’est qu’il ne sont pas affichés dans votre esprit comme des obsessions prioritaires qui vous hanteraient jour et nuit. Vous ne devriez même avoir besoin d’un conseiller pour y penser.

Semaine après semaine, nous ratons occasions après occasions permettant de tracer une ligne claire vers la lumière qui sortirait notre si beau peuple de la misère.

Il n’en est rien car vous et tout ce qui se revendique comme politique dans ce pays vous n’avez qu’une obsession, celle de vos intérêts premiers, de vos alliances de pacotille et celle de vos deals et intérêts cachés.

Continuez à vous tenir par la barbichette jusqu’à ce que, encore une fois, le valeureux peuple tunisien se lève et se rappelle à vous !

Vous parliez au monde !  Quelle occasion ratée pour placer la Tunisie au centre de l’après-Covid-19.

Adlen Kamoun