Il faudra assurément renforcer, sinon ménager, nos capacités de résilience économique et sociale pour traverser la pandémie. Mais il importe que la relance soit activée à la faveur d’une Policy Mix ciblée.

Comment décrire la physionomie de l’économie mondiale ?

Hatem Zaara: Partant d’un simple constat qu’il est impossible de confirmer à ce stade de l’évolution des chiffres qui donnent toute la mesure de l’ampleur des dégâts et des répercussions économiques potentielles causés par le coronavirus, nous observons aujourd’hui au plan international une montée des craintes et des préoccupations des décideurs et des experts de tous bords et des acteurs économiques. Et ce chaque fois que la comptabilité macabre que nous scrutons tous les jours fait ressortir des chiffres en évolution quasi vertigineuse.

Le mouvement de panique s’est fait sentir particulièrement sur le marché des actions où les grandes banques centrales ont, comme à l’accoutumée en des circonstances dramatiques, usé de l’arme des taux directeurs à zéro ou presque et mis en œuvre une myriade de facilités de crédit pour sauver l’édifice du marché financier.

L’impact sur le long terme reste très difficile à prévoir. Pour ne pas sombrer dans le pessimisme, je suis plutôt pour le scénario d’une distorsion qui durerait environ 6 mois

Ceci dit, il faut admettre, au demeurant, que le recul du marché des actions n’est pas forcément une si mauvaise chose. Au contraire, il peut être considéré comme sain en raison du niveau très élevé de la plupart des valeurs.

A titre d’exemple, le S&P 500 a progressé sur 4 mois, depuis octobre, de 17%, ce qui représente une hausse annualisée de 51%. C’est énorme, et la correction technique, avec ou sans Corona, est inévitable. Elle allait se produire tôt ou tard, mais semble attendre qu’un événement souvent exogène majeur ait lieu pour se déclencher de façon brutale.

Quel scénario probable à l’échelle internationale se dessine-t-il à l’horizon ?

L’impact sur le long terme est, il faut le reconnaître, très difficile à prévoir. Il est tributaire du degré de propagation du virus dans le temps et dans l’espace, mais également du niveau des sacrifices consentis et de l’amplitude des mesures prises par des gouvernements déjà affaiblis pour la plupart par un encours d’endettement public très important oscillant entre 90% et 200% du PIB.

une crise sans précèdent depuis la grande dépression de 1929

Pour ne pas sombrer dans le pessimisme, je suis plutôt pour le scénario d’une distorsion qui durerait environ deux trimestres, relayée par un relâchement, salutaire et absolument nécessaire, des tensions commerciales et une reconstitution progressive et pénible des stocks.

Il est également évident que les banques centrales continueront, bien au-delà de cette période difficile, de se montrer conciliantes, tout comme les politiques fiscales et budgétaires, et ce, pour limiter les effets d’une crise sans précèdent depuis la grande dépression de 1929.

Quel sera le déclic qui fera repartir l’investissement ?

Il est improbable de voir la machine d’investissement reprendre après cette période pénible, car elle va devoir faire face aux répercussions profondes de la pandémie sur l’ensemble de la chaîne logistique et d’approvisionnement. Or l’investissement a horreur de l’opacité. Et même le crédit à taux zéro ne pourra pas suffire à lui seul, pour faire redémarrer une machine grippée.

L’OCDE a tenté d’apporter des éclaircissements sur la situation actuelle. Elle estime que pour chaque mois de confinement il y aura une perte de deux points de pourcentage de la croissance annuelle du PIB mondial.

Prions Dieu donc pour que cette période de repos forcé ne dépasse pas ce délai.

Comment se comporte le marché international du change ?

Sur le marché des changes, le plus important marché du monde avec plus de 6 500 milliards de dollars échangés par jour, les intervenants ont, semble-t-il, choisi leur camp.

En effet, après une brève remontée de l’euro face à son éternel rival en réaction à la double baisse précipitée des taux US, la monnaie américaine a fait valoir encore une fois son statut de monnaie refuge par excellence pour effacer toutes ses pertes.

la pandémie a eu un impact négatif sur les monnaies émergentes

En dehors du cercle des monnaies fortes, la pandémie a eu un impact très négatif sur les monnaies émergentes. Les plus touchées sont celles des pays limitrophes et voisins de la Chine ou encore les devises dites «monnaies matières premières» qui ont toutes pâti des retombées négatives des baisses importantes du rythme des commandes et d’approvisionnement chinois.

De même, les monnaies dont les économies sont fortement dépendantes du secteur touristique ont démontré une certaine fébrilité depuis le début de la crise.

Des pays comme la Thaïlande ou bien la Malaisie dont les entrées provenant du tourisme représentent respectivement 8% et 6% du PIB, seront certainement les plus touchées sur le change.

Le marché a, en outre, sanctionné les monnaies surévaluées comme le rand sud-africain et à un degré moindre le dirham marocain.

La crainte additionnelle est de voir la plupart des investisseurs en capital fuir en masse les pays émergents par crainte de voir et d’assister à un ralentissement brutal de leurs économies.

Sur la place de Tunis, le dinar s’apprécie contre euro et dollar US et les réserves de change remontent à 118 jours d’importation. Quelles perspectives pour le marché de change domestique ?

sur le marché de change tunisien une réduction de plus de 50% du volume moyen échangé quotidiennement

Au niveau national, le marché de change domestique a poursuivi son activité durant la période de confinement, mais avec un rythme très lent (une réduction de plus de 50% du volume moyen échangé quotidiennement).

Ceci étant, le fait d’afficher un niveau réconfortant de réserves de changes à plus de 118 jours d’importation a été un argument de taille pour rassurer les différents opérateurs et intervenants, avec un engagement de la Banque centrale d’assurer la liquidité en cas de besoin.

A la question de savoir si on peut préserver la durée de cette bonne tenue du dinar national, je dirais que ma seule conviction à l’heure actuelle et lors de la reprise normale de l’activité, est que le marché ne vivra plus les mauvaises expériences d’avril 2017 et de mai 2018 pour des raisons aussi importantes les unes que les autres, à savoir :

• Aussi bien la Banque centrale que les teneurs de marchés ont accumulé une très bonne expérience en matière de gestion de crise du change ;
• Les intervenants entreprises ont bien retenu la leçon des décisions précipitées de couverture du risque de change à des niveaux de prix irrationnels ;
• Le différentiel en matière de rendement au moins 7% a concilié les intervenants avec leur monnaie domestique ;
• La politique macro-prudentielle a eu finalement un impact profond sur la politique de gestion du taux de change ;
Si je puis me permettre des conseils à nos opérateurs et investisseurs, c’est que :
• Il ne faut plus céder à la panique et aux rumeurs infondées : il n’y a jamais eu de cours cible de l’euro/dinar, car nous ne sommes pas sur un marché spéculatif ;
• Il faut travailler de concert avec votre banquier conseiller sur le change et là notre place regorge fort heureusement de compétences confirmées dans ce domaine ;
• La couverture de change à terme doit être une décision stratégique mûrement réfléchie et programmée avec bien évidement des cours objectifs fixés en tout début d’année. Elle ne devra pas, de ce fait, être une action précipitée de dernier ressort pour limiter les pertes, ni encore moins, un instrument providentiel pour réaliser des gains.

Quid de l’après-Corona en Tunisie ?

Tout le monde espère que la période de confinement ne se prolonge pas au-delà de nos capacités de résilience économique et sociale.

Mais en attendant des jours meilleurs, il faudra absolument préparer la reprise et, partant, la relance dans les meilleures conditions possibles. Pour ce faire, je propose de déblayer le terrain et de rassurer nos investisseurs à travers les mesures ci-après, que j’estime, en toute modestie, être les bonnes :

• Un nouveau plan économique sur 5 ans prévoyant une visibilité particulière sur notre politique fiscale et budgétaire ;
• Adopter une politique monétaire généreuse en assurant en permanence la liquidité aux banques au moins jusqu’à la fin du 1er semestre 2021 ;
• Envisager au moins une nouvelle baisse du taux directeur, d’autant que nous disposons, fort heureusement, d’une marge de manœuvre suffisante grâce à laquelle il est possible d’alléger davantage le fardeau du report des échéances de 6 mois ;
• Accorder la garantie de l’Etat par la mise en place d’un nouveau fonds spécial dédié destiné à couvrir les crédits de soutien aux entreprises, qui en ont rudement besoin, pour assurer leur redémarrage dans le cadre de la nouvelle circulaire BCT 2020/06 énonçant les mesures anti COVID-19 ;
• Activer dans les plus brefs délais la mise en place des nouveaux établissements de paiement, de prélèvement et de virement ;
• Oser fixer une date dans le nouveau plan économique de passage généralisé et irréversible vers la monnaie digitale ;
• Activer la présentation de la nouvelle loi d’amnistie fiscale et de change ;
• Venir en aide au secteur sinistré de l’immobilier en suspendant pour 3 ans la TVA sur les ventes et proposer des plans de financement aux particuliers sur 30 ans ;
• Profiter de la baisse actuelle des cours du pétrole pour «hedger», dans la mesure du possible, nos besoins énergétiques via le mécanisme de couverture proposé par la banque mondiale ;
• Conclure avec les partenaires sociaux un pacte d’accalmie sociale pour une durée de 3 ans afin de permettre à la machine de production de redémarrer dans les meilleures conditions possibles ;
• Ne pas appliquer l’horaire d’été cette année et réduire les périodes de congés à un maximum d’une semaine ouvrable ;
• S’engager au plus vite sur un nouveau plan de financement avec le FMI sur la base de critères viables à réaliser et sur l’expérience accumulée de nos négociateurs avec cet organisme ;
• Se contenter d’une prime de couverture de 3% de péréquation de change pour faciliter l’utilisation des lignes de financement en devises.

Hatem Zaara
Directeur du Pôle Banque Corporate et Banque d’affaires, Groupe Amen Bank