L’indépendance a cimenté l’unité nationale. Cette dernière semble à la recherche d’un deuxième souffle. Viendrait-il d’une discipline populaire patriote ?

Vent debout, le peuple de Tunisie a fait corps pour se réapproprier sa souveraineté. Et l’indépendance a été recouvrée, il y a de cela soixante quatre ans Cet élan a fait lever la dynamique de l’unité nationale. Celle-ci, a largement soutenu le chantier patriotique et l’édification de l’Etat.

Puis le vent a tourné. Et, elle a été durement malmenée par certains choix politiques inconséquents et plus tard par les tribulations de la transition. Et on constate que l’irruption de la ferveur idéologique est venue la fissurer.

A l’heure actuelle, la collectivité nationale, durement secouée par l’errance de la transition affronte, dans la peine, l’épidémie du Coronavirus. Celle-ci, est tout aussi invasive que le protectorat et tout aussi corrosive. Le pays saura-t-il refaire son unité pour transcender cette épreuve pénible et ravageuse.

Il faut savoir que cela ne se fera pas par de simples recommandations de bon sens. Il faut trouver la voix d’appel au génie national. Dommage ! Celle-ci, pourrait manquer, faute de leadership. Alors, la seule bravoure du bon peuple peut elle y suffire ?

L’unité nationale, la ligne de démarcation

Le 20 mars 1956, Tahar Ben Ammar, alors président du conseil, signait l’indépendance totale de la Tunisie, opprimée, soixante quinze années durant sous le joug du protectorat français. Sur cette même lancée d’émancipation le 17 avril de la même année Habib Bourguiba prenait la relève et mettait en marche la construction de l’Etat national.

La passation entre les deux leaders s’est opérée dans une logique de course de témoins. Tous deux se soumettaient à leur engagement face à l’Histoire, qui consistait à couver la flamme de l’unité nationale. L’un et l’autre, chacun à sa manière, ont participé à la cultiver. Ils ont trouvé la force de l’inculquer aux tunisiens de tous bords, de toutes conditions, de tous âges. Et elle a fini par s’enraciner dans la conscience des tunisiens qui ont su endosser l’habit de citoyen d’un Etat en devenir.

Et, un Démos national a fini par émerger. La dissidence, de gauche ou nationaliste, était minime et n’a pas pu entraver ce projet. Elle a été marginalisée par la marche du temps et l’aspiration unitaire. Une année plus tard, le souffle républicain est venu la submerger scellant un pacte social, une sorte de charte patriotique. Le deal était que le peuple et l’Etat se mettent en rapport fusionnel. Il s’en est suivi, une transformation, en profondeur, de la société tunisienne et de la physionomie politique de la nation.

Elle n’a toutefois pas éteint les démons des idéologies. Ceux-ci, ravivés par la confusion démocratique, ont fini par retrouver tous leurs ressorts défiant l’idéal de l’indépendance. Piteux revers de l’histoire. En viendrons-nous à bout ?

Le révisionnisme démocratique

L’ennui est que la marche forcée de l’Etat de l’Indépendance a succombé à ses incohérences. L’onde de choc de l’indépendance, a dévié des choix politiques du mouvement national. A-t-elle tourné court ? L’a-t-on sabordée ? Peu importe, ceci devient un souci d’historien. La réalité est là, elle a fait naufrage. Cela a remis en cause la vision d’ensemble et on a connu la déroute.

Des compagnons du premier cercle de Bourguiba, le président Beji Caid Essebsi et Mansour Moalla en tête, ont désavoué ce forfait de la trajectoire du pays. Le parcours naturel vers les libertés et la démocratie fut stupidement trahi, dévoyé. L’unité nationale a été dépravée, car on a cherché à la remplacer par un monolithisme politique regrettable et destructeur, fut-il désigné sous le paravent du despotisme éclairé. Un seul parti, une seule voie. Autant dire, pas de voix, du tout.

La marche à rebours

Pendant vingt trois ans, une embellie économique, fut usurpée et détournée. On découvre un certain 14 janvier 2011 que l’on nous a caché un projet rampant et sournois de mercantilisation du service public, dans ses œuvres phares à savoir l’éducation et la santé.

Et même le reste n’a pas été épargné. L’unité nationale minée de l’intérieur, de manière sourde, a subi un processus pernicieux de dislocation. Le pays profond est devenu la Tunisie d’en bas. Les classes rivalisaient d’intérêt et la cause nationale n’était plus la motivation patriotique dominante.

Le Guet apens idéologique

La transition a emporté nos vœux les plus chers. L’édification de l’Etat institutionnel a été chaotique au point que l’on ne sait plus où va le pays. Le désenchantement s’est emparé des esprits. L’idéologie a fait irruption et les sentiments antagoniques ont refait surface. Le socle républicain est secoué et l’opinion fragmentée.

Pourtant le peuple est toujours dans l’attente de la réhabilitation du lustre de l’Etat et nourrit l’espoir de la résurgence de la puissance publique. Bien qu’occultée par les querelles partisanes, la cause du peuple peut reflamber.

Le crash test du coronavirus, nous laisse devant un pouvoir éparpillé et le fait que le pays ne parle pas d’une seule voix est déstabilisant, en soi. Ailleurs, le slogan fédérateur est venu du sommet de l’Etat, hissons-nous à la hauteur de l’évènement, a-t-il été dit.

La solidarité a joué à fond la caisse et l’Etat a pris les devants. C’est à ce prix que l’on donne un coup de punch à la cohésion nationale pour refaire l’unité populaire. La cause sanitaire n’est pas, à défaut d’une riposte publique ferme et vigoureuse, peut-elle favoriser le rebond de l’Etat ?

Il faut bien se dire que le peuple est face à ses responsabilités. Est-il en mesure d’observer, une gouvernance patriotique spontanée ? Une unité par la discipline permettrait au peuple de se ressouder autour de l’idéal d’un Etat. Ce rempart servirait de brise lame à tous les desseins politiques malveillants.

On vivrait une régénération spontanée d’un idéal que nos parents ont payé par le prix du sang. Un capital de vaillance et de bravoure, nous servirait de planche de salut. Et l’idéal de l’indépendance prendrait cette fois la couleur de l’engagement citoyen. Un peuple sans chef, un chef d’œuvre patriotique ou une utopie ?