“La situation financière de la STEG est très difficile et nécessite la prise de mesures rapides, pour éviter un risque de cessation de paiement et des conséquences négatives que cela pourrait avoir sur la société”. C’est le constat qui ressort du PV de la réunion du conseil d’administration de la STEG, tenue récemment.

Ce PV, signé par le PDG de la STEG, Moncef Harrabi, évoque les raisons de cette situation et les solutions proposées pour la surmonter et préserver cette entreprise publique créée en avril 1962 et qui emploie 12.388 agents et cadres.

Selon ce document, la détérioration de la situation financière de la STEG est en grande partie due à la non application de la décision de couvrir le déficit de son résultat net, ce qui a généré un déficit cumulé de 1,937 milliard de dinars. Cette situation est aggravée par la crise de liquidité, notamment en devises, ainsi que l’érosion des réserves de change.

Les créances de la STEG auprès de sa clientèle à fin novembre 2018 s’élevaient à 1,461 milliard de dinars, dont 700 millions de dinars auprès de l’Etat, les sociétés et les établissements publics.

Cette situation est aussi expliquée par la chute des fonds propres de la société, de 1,537 milliard de dinars en 2011 à 1 milliard de dinars à fin juin 2018, ce qui a négativement impacté les indicateurs financiers exigés par les banques dont la solvabilité et le niveau des fonds propres (le seuil minimum des fonds propres est fixé à 1 milliard de dinars).

Le même document fait état de la grande détérioration de la trésorerie de la STEG. Les prévisions de déficit de la trésorerie à fin décembre 2018 sont aux alentours de 1,980 milliard de dinars, compte tenu de la subvention de 1,2 milliard de dinars qui lui a été accordée au titre de l’année 2018.

Les prévisions tablent aussi sur un déficit de trésorerie fortement aggravé en 2019 (porté à 4,514 milliards de dinars). En effet, les revenus prévisionnels de 5,890 milliards de dinars ne permettent pas de couvrir les dépenses de fonctionnement et d’investissement ainsi que le remboursement des crédits qui s’élèvent à 9,441 milliards de dinars.

Les impayés de la part des fournisseurs de gaz naturel locaux et étrangers, en dinar et en devises, se sont aggravés pour atteindre 1,2 milliard de dinars à fin 2018.

La STEG… en situation de faillite?

Contacté par l’agence TAP, le secrétaire général adjoint de la Fédération générale de l’électricité et du gaz (UGTT), Mongi Khalifa, a déploré l’aggravation sans précédent de la situation de la STEG, qu’il a qualifiée de critique, d’autant plus que la société a carrément “mangé son capital”, estimé à 6 milliards de dinars.

Il point en outre le déficit accablant de la STEG qui s’endette pour payer les intérêts de ses crédits bancaires et non pas pour investir.

Il considère que la société est en état de “mort clinique”, dénonçant la défaillance de sa direction générale qui a été incapable d’apporter les solutions à la crise de la STEG.

Khalifa révèle que le crédit dernièrement conclu entre la STEG et la Société islamique internationale de financement du commerce (SIFC – filiale de la Banque islamique de développement), a été contracté à un taux excessif. Il est destiné à payer les factures de les sociétés pétrolières algérienne Sonatrach, SHELL TUNISIE et bien d’autres.

Il évoque également l’existence d’un accord datant de 2015, avec l’autorité de tutelle et le gouvernement et qui engage ce dernier à intervenir d’urgence pour sauver la STEG et payer ses dettes afin d’alléger son déficit.

Le syndicaliste estime, à ce propos, que “l’Etat a failli à ses devoirs à cet égard. Suite aux directives du Fonds monétaire international, l’Etat est en train de délaisser progressivement la STEG et les sociétés publiques, dans le cadre d’une démarche visant à les préparer à la privatisation”.

Le responsable a présenté un document dévoilant la situation de la trésorerie de la STEG qui affiche un déficit de l’ordre de 1,381 milliard de dinars, jusqu’à fin septembre 2018, et des paiements en suspens des factures qui doivent être honorées, notamment auprès de l’ETAP (430 MDT) et de la société Shell (268 MDT).

Ce même document fait état aussi des crédits à court terme contractés en dollars par la STEG auprès de la BH (60 millions de dollars, soit l’équivalent de 165 MDT), de l’ATB (50 millions de dollars – 140 MDT) et de l’UIB (20 millions de dollars – 55 MDT).

Khalifa s’étonne du silence du gouvernement, qui n’a pas réagi au non remboursement par les entreprises publiques de leurs créances auprès de la STEG, lesquelles s’élèvent à environ 700 MDT, alors que le paiement de ce montant aurait apporté une véritable bouffée d’oxygène à la société.

D’un autre côté, le syndicaliste a fait savoir que le prix de vente d’un kWh d’électricité appliqué par la STEG (205 millimes) est de loin inférieur au coût de production (270 millimes), ce qui engendre un déficit variant entre 54 et 60 millimes/ kWh. Dans ce contexte, il a rappelé que la société n’intervient pas dans la fixation de ses marges de bénéfice.

Il relève que “la dépréciation de la valeur du dinar coûte à la STEG une perte supplémentaire de 1,2 milliard de dinars, surtout avec le renchérissement des prix internationaux des hydrocarbures”.

A ce propos, Khalifa critique “le refus de la BCT d’aider la STEG à obtenir des devises pour l’achat des hydrocarbures. Lorsque la société se tourne vers les banques commerciales, elle ne bénéficie d’aucun privilège et doit acheter les devises au prix du marché”.

Selon, “le gouvernement actuel doit assumer ses responsabilités dans la situation dans laquelle se trouve la STEG aujourd’hui”, soulignant que “les gouvernements successifs auraient dû adopter une politique de sauvetage progressive de la société au lieu d’injecter de sommes considérables pour aider les banques publiques”.

“La STEG, qui a assuré l’électrification de 99% du territoire tunisien et qui a contribué à l’édification de l’Etat moderne grâce à ses compétences, est, actuellement, en voie de faillite. Ses chèques ne sont plus payables et ses comptes bancaires sont presque vides”, note le syndicaliste, exprimant sa crainte d’arriver à un point où la société ne sera pas en mesure de verser les salaires de ses agents.

Une situation financière très déséquilibrée

Le document concernant la société a été soumis à l’expert-comptable, Walid Ben Salah, lequel a confirmé que “la situation financière de la STEG est fortement déséquilibrée, au vu des données présentées. Elle montre des signes sérieux de difficultés financières et de risque majeur de cessation de paiement”.

“Ces signes peuvent se résumer en ce qui suit : un fonds de roulement négatif, ce qui signifie une situation fortement déséquilibrée entre les actifs à court terme qui englobent des créances impayées de la clientèle de 1,461 milliard de dinars, à fin novembre 2018, d’une part, et des passifs exigibles à court terme très significatifs représentant plus du double desdits actifs, d’autre part”.

Poursuivant l’analyse de la situation financière de la STEG, Ben Salah souligne que les dettes bancaires à court terme totalisent 307 millions de dollars et les dettes à court terme auprès des principaux fournisseurs d’exploitation totalisent 718 millions de dinars, soit au total un encours d’endettement à court terme total, à fin septembre 2018, de l’ordre de 1,563 milliard de dinars, en se basant sur un cours de change du dollar de 2,7 dinars. Cette situation est à l’origine d’une trésorerie négative (besoin de trésorerie immédiat) de l’ordre de 1,381 milliard de dinars à fin septembre 2018 et qui, selon les prévisions, serait de l’ordre de 2 milliard de dinars à fin décembre 2018.

En outre, Ben Salah met l’accent sur “des fonds propres négatifs d’une valeur de 1 milliard de dinar, suite aux pertes cumulées depuis 2011. Le redressement de cette situation pour atteindre le niveau de fonds propres minimum, tel qu’exigé par les bailleurs de fonds, nécessite l’injection de 2 milliards de dinars. A défaut, les bailleurs de fonds ont la possibilité de demander systématiquement le remboursement par anticipation de leurs crédits, alors que la situation de trésorerie de la société est déjà fortement négative”.

“En l’absence de recours à des contrats d’assurance contre les fluctuations des cours internationaux de l’énergie et aux instruments de couverture de change, la hausse desdits cours ainsi que la dépréciation continue du dinar, aggravent davantage la situation à travers l’accumulation des pertes d’exploitation et de change”.

“Par ailleurs, les difficultés financières majeures précitées pourraient amener aussi bien les fournisseurs de la STEG que ses bailleurs de fonds, à durcir leurs conditions de vente et de crédit, auxquelles la société ne pourrait pas se conformer, ce qui pourrait être à l’origine de litiges et de ruptures de contrats. Cette situation est encore, aggravée par la crise de liquidité, notamment en devises, ainsi que par l’érosion des réserves de change””, a t-il fait observer.

Quid des solutions préconisées par la STEG?

Parmi les solutions proposées par la direction des affaires financières et comptables,de la STEG, figurent la clarification de la stratégie concernant la tarification de l’électricité et du gaz, surtout que la société escomptait obtenir 500 millions de dinars des augmentations de la tarification, prévues dans le budget de l’Etat pour l’année 2018.

La direction a aussi, préconisé le versement de la subvention aux titres des années 2018 (1,690 milliard de dinars dont seulement 780 MDT ont déjà été versés) et 2019 (2,981 milliards de dinars), outre la prise en charge par l’Etat des dettes de la société et l’accélération du recouvrement des dettes impayées auprès des entreprises publiques.

Autre recommandation, le recours aux instruments de couverture de change (mécanismes d’échange des devises et achat à terme -SWAP-). Il s’agit également de trouver une ligne de garantie pour financer les achats de gaz pour 2019, vu l’importance des besoins d’exploitation, résultant de l’élévation du coût de l’énergie, lequel devrait atteindre 4,996 milliards de dinars, cette année, dont une grande partie est en devises.

Enfin, la direction appelle à recourir aux aux instruments de prévention des risques inhérents aux opérations d’achat.