Le mouvement des « Gilets jaunes » en France se présente comme un mouvement inédit, atypique par son caractère spontané ainsi que par l’absence de direction de coordination. Le mouvement émanant d’une révolte touchant géographiquement tout le territoire pourrait être dangereux car incontrôlable. En termes de violences, Paris n’a jamais connu d’événements similaires à ceux de samedi 1er décembre 2018, depuis la révolte estudiantine de mai 1968.

Le mouvement provient bien de la France profonde. Des dizaines de milliers de provinciaux se rassemblent spontanément à Paris pour manifester leur colère et en découdre violemment et parfois à visage découvert avec les forces de l’ordre.

Les manifestants ont en majorité une moyenne d’âge dépassant largement la quarantaine. Beaucoup de retraités prenaient part aux manifestations. Les manifestants femmes et hommes paraissaient déterminés à aller au bout de leur démarche et n’hésitaient pas à s’en prendre aux symboles de l’Etat.

Enfin, pour une fois, la casse n’était pas l’œuvre de la jeunesse des banlieues comme cela fut souvent le cas mais bel et bien celle de citoyens venus de toute la France. Des groupes organisés étaient très actifs dans la confrontation avec les services d’ordre.

Le mouvement donne l’impression d’être une réaction de la France profonde aux conditions de vie difficiles suite à une détérioration continue de ces conditions pour une majorité de citoyens qui n’arrive plus à se nourrir correctement et à joindre convenablement les deux bouts. Le mouvement rejette, avant tout, le système politique et économique qui conduit inexorablement à cette détérioration, quels que soient les dirigeants.

L’exaspération est générale. Il est dénoncé par une grande pression fiscale citée parmi les plus importantes d’Europe, et une détérioration continue du pouvoir d’achat d’une majorité au profit d’une minorité.

Les manifestants demandent des changements sur le fond du mode de gestion démocratique avec plus de poids réel pour le citoyen dans la définition des stratégies et dans les prises de décision.

Il a été dénoncé la pratique de la transmission du pouvoir par les urnes à des élus qui prennent par la suite des libertés, profitant de leurs mandats, dans des décisions non conformes aux programmes et aux promesses politiques de leurs bases.

Quels enseignements en tirer ?

L’un des premiers enseignements serait à transmettre aux nombreux candidats à l’immigration qui pensent toujours que l’Europe et la France plus particulièrement pourraient être la solution à leurs conditions de vie difficiles dans leurs pays. Le mouvement des «Gilets jaunes» vient prouver, à qui veut l’entendre, que les Français connaissent aussi des problèmes graves qui pourraient conduire le pays à l’implosion.

Un pays avec une dette publique grandissante atteignant 2.218,4 milliards de dollars, soit 97% de son PIB, face à un taux de croissance annuel atteignant péniblement 1,8 % (données 2017).

Durant les 4 dernières décades, la dette publique française a progressé à un rythme accéléré. De 12% du PIB en 1974, elle double en l’espace de neuf ans, pour atteindre 25% en 1983. Elle double encore durant les onze années suivantes pour atteindre 50% en 1994. En 2002, elle atteint 60%, soit la limite fixée par le Pacte de stabilité du traité de Maastricht. En 2003, elle dépasse la barre symbolique de 1.000 Md€. En juin 2014, elle dépasse un nouveau record, celui de 2.000 milliards d’euros.

Fin 2017, la dette publique française s’est élevée à 2.218,4 Md€, soit 97% du PIB. Elle s’accroît de 65,9 Md€ en 2017, après une hausse de 51,3 Md€ en 2016.

Plus généralement, cela confirme que le système capitaliste est au bord de l’implosion. Les retombées de la mondialisation et la logique de base du système continuent à aggraver les inégalités et à grossir la part de la population laissée-pour-compte pour toute la planète.

Selon un rapport de l’ONG Oxfam, en 2016 le patrimoine cumulé des 1% les plus riches du monde dépasse celui des 99% restants.

Dans ce rapport intitulé “Une économie au service des 1%”, Oxfam note que, depuis 2010, le patrimoine de la moitié la plus pauvre de la population mondiale s’est réduit de 1.000 milliards de dollars (baisse de 41%), à l’inverse des “super-riches” dont les fortunes ont augmenté de 44%, soit quelque 500 milliards de dollars.

Selon Oxfam, les 62 plus grandes fortunes possèdent désormais autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale -3,5 milliards de personnes. Preuve que les choses ne vont pas en s’améliorant, ce chiffre était encore de 388 en 2010.

Ils sont 62 à être aussi riches que 3,5 milliards d’individus, dont une écrasante majorité d’hommes (53). Parmi eux, une moitié d’Américains et 17 Européens. Les autres “super-riches” viennent de Chine, du Brésil ou d’Arabie saoudite.

De France également : Liliane Bettencourt (40,1 milliards de dollars, 10e position), Bernard Arnault (37,2 milliards de dollars, 13e position), Patrick Drahi (16 milliards de dollars, 57e), Serge Dassault (15,3 milliards de dollars, 62e position) apparaissaient déjà dans le classement établi par le magazine “Forbes” en mars 2015.

Aussi, la course effrénée au niveau de la planète à l’accumulation des richesses et au contrôle des dernières poches de gaz et de pétrole conduit, entre autre, aux guerres qui nous polluent notre quotidien, livrées depuis 1990 au Moyen-Orient puis étendues à l’Afrique du Nord et qui ont fait des dizaines de millions de victimes entre morts, disparus, blessés graves et exilés.

Des victimes que personne ne veut reconnaître ou même de décompter. Des victimes que la planète entière fait semblant de ne pas voir pour se faire bonne conscience, ne pas assumer au passage sa responsabilité et ne jamais reconnaître que la voie que nous imposent les grandes puissances depuis la fin de la 2ème Guerre Mondiale n’est pas la bonne.

Paradoxalement, on commémore la fin de la 1ère Guerre mondiale la plus meurtrière et la plus atroce de toutes les guerres, on commémore la fin de la 2ème Guerre, on dénonce ses atrocités, mais on continue à ne pas prendre en compte les enseignements des erreurs du passé.

Le mouvement des «Gilets jaunes» pourraient bel et bien déboucher sur la définition de nouvelles règles de fonctionnement pour les démocraties et sur la naissance d’un nouvel ordre mondial, espérons le plus équitable et ne proposons pas que l’alternative de l’économie sociale et solidaire ou la soupe populaire comme ultime espoir pour les laissés-pour-compte.

Par Hakim TOUNSI