Samedi 6 octobre 2018, à l’Institut des Hautes études commerciales de Carthage –IHEC-, les amis banquiers de Hatem Kchouk, décédé le 26 septembre 2017 à l’âge de 69 ans, sont venus lui rendre hommage à travers un forum intitulé «Banquier : un métier d’avenir».

Et le choix du lieu n’est pas anodin, car c’est à l’IHEC que Hatem Kchouk avait fait ses premières études universitaires, avant de devenir un éminent banquier en fondant notamment l’ATB (Arabe Tunisian Bank).

Organisé par la société MAP, dirigée par Afif Kchouk, un des frères de feu Hatem Kchouk, en partenariat avec l’IHEC et sous le patronage de l’APTBEF, le forum a comporté deux panels.

Le premier panel, «Le métier de banquier en Tunisie», modéré par Abdelkader Boudriga, a enregistré les interventions de Ahmed El Karm, président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et établissements financiers (APTBEF) et président du Directoire d’Amen Bank ; Samir Saied, directeur général de la STB ; Slaheddine Ladjimi, ancien pdg de la BIAT ; Jaaffar Khatteche, directeur général du Fonds de garantie des dépôts bancaires ; et Kamel Labidi, pdg du groupe IDEE.

Celles et ceux habitués à la chose bancaire tunisienne constateront que ce panel a donc réuni les banquiers qui ont connu voire travaillé avec Hatem Kchouk. Ensemble, ils ont rappelé, dans leurs interventions, «l’homme tenace, de communication, de conviction…» qu’était Hatem Kchouk.

Cette unisson sur la personne de feu Hatem Kchouk devrait constituer une bonne leçon pour nous: puisque nous mourons tous un jour, il vaut mieux laisser de belles traces derrières nous. Comme disait du reste un philosophe et mathématicien français : Soyons religieux, car quand on meurt, si Dieu existe, on est sauvé, s’il n’existe pas, on aura laissé un bel héritage à nos descendants. Une leçon de vie.

Maintenant concernant le thème de ce panel, nous avons remarqué certaines divergences de points de vue et d’interprétation entre les intervenants, ce qui nous a fait penser qu’il aurait pu être posé sous forme interrogative : «le banquier est-il un métier d’avenir?», ou «quel est l’avenir du banquier voire de la banque?».

Dans ce cadre, M. El Karm est convaincu –et ce n’est pas nouveau- que la banque de demain –et donc du banquier- ne sera pas comme celle ou celui d’aujourd’hui, et ce pour plusieurs raisons, notamment l’évolution exponentielle des technologies de l’information et de la communication, lesquelles sont en train de bouleverser tous les domaines (économie, finance, société…).

De ce fait, la banque d’aujourd’hui est obligée de s’adapter à cette évolution technologique imposée par les GAFA –pour Google, Apple, Facebook et Amazon-, l’intelligence artificielle, la robotique, et autres objets connectés. Le président de l’APTBEF considère que les GAFA mais aussi les télécoms sont en train de devenir les vrais concurrents de la banque d’aujourd’hui et donc celle de demain.

Tout ceci montre que le banquier de demain ne sera pas comme celui d’aujourd’hui, car la banque, dit-il, doit faire face à 5 défis majeurs : transformation, innovation permanente, restructuration, inclusion financière, accompagnement des hommes d’affaires dans leur stratégie d’implantation à l’international.

Pour sa part, Slaheddine Ladjimi estime qu’il n’y a pas en Tunisie de stratégie, de vision dans le domaine bancaire ; tout ce qui était fait, on le faisait en fonction des besoins du moment, immédiats. De ce point de vue, il a des doutes, sans le dire ouvertement, sur l’évolution du secteur bancaire, en particulier, et de la finance, en général, dans notre pays. D’ailleurs, il ajoutera à propos des banques publiques que leurs difficultés sont dues aux interventions systématiques des pouvoirs publics (Etat) dans leur fonctionnement.

Mais Jaffar Khatteche n’est pas totalement d’accord avec cet avis. Il considère même que la Circulaire 91-24(25) de 1991 est révolutionnaire pour le secteur bancaire et financier en Tunisie. Il citera certains faits remarquables en termes d’évolution de la législation tunisienne en matière bancaire : partage de risques entre banques dans le financement de certains projets, augmentation du taux de provision des créances…

Samir Saied assure, pour sa part, que la STB a réussi son défi de digitalisation, estimant que celle-ci est l’avenir de la banque. Il estime que la digitalisation est à même d’accélérer le métier de la banque de demain.

De son côté, Kamel Labidi revient sur le terme «digitalisation» pour dire qu’il s’agit d’un concept purement marketing, et que le mot juste est «informatisation» qui a toujours existé dans le secteur bancaire tunisien. Mais il affirmera que la digitalisation ou l’informatisation n’a jamais constitué un choix stratégique pour les banques, mais un choix de positionnement, c’est-à-dire que «telle banque l’a fait, moi aussi je dois le faire», explique-t-il. Concernant l’avenir de métier de banquier, il pense que personne ne peut prédire l’avenir, cependant il invite les étudiants présents dans la salle du forum à y croire, à s’y former.

Quand le modérateur du forum pose la question aux panelistes de savoir comment ils imaginent la banque à l’horizon 2030, Ahmed El Karm répond que, à cause ou grâce aux GAFA, Fintech et autres télécoms, la monnaie picturale est menacée de disparition. On est dans une phase proche de la rupture par rapport à ce qui existe aujourd’hui. La banque demain sera sans doute une banque à domicile, d’où la nécessité de développer le service à la clientèle.

En Tunisie, nous manquons d’analystes de l’information, il faut donc former des analystes dans les écoles tunisiennes, diront certains.

Ladjimi a l’impression que, politiquement, on a peur que les choses changent.

Kamel Labidi souligne qu’en Tunisie, on ne finance pas l’intelligence, la création intellectuelle. Selon lui, «lorsqu’on demande à une banque de mettre à sa disposition un fonds pour payer les salaires des ingénieurs, la réponse est toujours non», assure-t-il.

Ce qui nous amène tout droit vers le le second panel 2 : L’avenir du métier de banquier.

Ce panel a regroupé deux jeunes banquiers, en l’occurrence Walid Selmi (directeur régional à la Banque Zitouna) et Alya Selmi (Corporate Banking, chargée d’affaires institutionnels et partenariats à l’UBCI –Groupe BNP Paribas), et un investisseur, Mohamed Khelil (Investment manager tunisian american entreprise fund).

Les deux premiers intervenants ont longuement focalisé sur l’aspect «aptitude» du jeune banquier, en plus des capacités intellectuelles. Il faut aussi être informé, être à jour sur tout ce qui se dit ou s’écrit sur le secteur de la finance en général.

Quant à Mohamed Khalil, il insistera sur le fait qu’il n’y a pas antagonisme banque-fonds d’investissement, ils sont, au contraire, complémentaires. Il y a une complémentarité et une proximité banques-fonds d’investissement.

Toutefois, il soulignera qu’il y a une différence entre les banques et les fonds d’investissement : les banques sont plus rigides dans leur accord de crédit, alors que les fonds d’investissement en sont plus souples…

En outre, les fonds d’investissement financent généralement le futur, et par conséquent ne se basent pas sur le bilan (du passé) mais sur le potentiel, la tendance de l’entreprise à financer.

Quatre points essentiels résument ce forum en hommage à Hatem Kchouk :

  • S’adapter ou disparaître
  • Malgré les progrès technologiques, le capital humain restera toujours prépondérant
  • Les banques veulent aller davantage vers les besoins du client
  • Plus que l’analyse, le métier de banquier nécessite surtout de la veille au sens large du terme.

Au chapitre de recommandations, le forum a conclu que le banquier est un métier passionnant et fondamental dans la finance. Il est en pleine phase de mutation et d’évolution, où le rôle des TIC et de la digitalisation sera de plus en plus prépondérant.

L’avenir du métier de banquier reste lié au marché, au développement des modèles économiques et de l’ingénierie financière.

De ce point de vue, il est souhaitable que le banquier ait les caractéristiques suivantes :

  • Compétences et polyvalence
  • Connaissance des langues et des cultures
  • Orientation vers le client
  • Maîtrise des techniques bancaires
  • Orientation vers la digitalisation
  • Rigoureux, vision sur les perspectives nationales et internationales.

Et pour le maître de cérémonie, Afif Kchouk, la banque de demain doit s’adapter ou disparaître. Il n’y a pas une autre alternative.

Tallel Bahoury