Elaborer une loi des finances n’est pas un exercice de tout repos en général, et la tâche se complique davantage dans un contexte comme celui de la Tunisie depuis 2011 et qui se caractérise par une multitude de problèmes économiques, financiers et sociaux auxquels l’Etat est confronté et qu’il donne l’impression comment savoir résoudre. Et face à cette situation, pouvoirs publics et spécialistes de la question ont des visions des priorités et de la manière d’y faire face très souvent diamétralement opposées. D’où l’intérêt, en dépit de l’absence du ministre des Finances, Ridha Chalghoum, ou de tout autre représentant de l’administration, d’un débat comme celui organisé mardi 3 octobre 2017 par la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), et modéré par Professeur Hachemi Alaya.

Les spécialistes invités à débattre des caractéristiques que doit avoir une loi des finances ont été quasiment unanimes : les lois de finances que les gouvernements successifs ont élaborées ne répondent pas aux besoins du pays et ne contribuent pas à résoudre ses problèmes.

Un des travers très largement critiqué est cette propension à toujours augmenter la pression fiscale. Or, observe Abderrahmane Fendri (Pricewaterhousecoopers), celle-ci est acceptée lorsque la loi des finances –ce qui n’était le cas ni par le passé ni aujourd’hui- intègre des mesures tendant à l’équité fiscale entre contribuables, et qu’on adopte une pédagogie claire pour le faire comprendre aux Tunisiens.

Ce qui impose aux responsables politiques de «changer de paradigme», recommande Skander Sellami, conseiller fiscal. Qui se demande combien parmi les 500 mesures fiscales prises depuis 2011 n’ont pas été appliquées. Et laisse entendre qu’elles doivent être nombreuses, en rappelant le cas des caisses enregistreuses. Mais parmi celles qui ont été appliquées, combien se sont avérées efficaces. Qui n’a aucun doute sur le fait que «la plupart n’ont permis de ramasser que des cacahuètes».

Définissant la loi des finances comme «un acte politique destiné à bien gérer le pays et ses ressources», Moncef Boussanouga (KPMG) constate que depuis 2011 «cet acte a donné un effet contraire. Puisque chaque année le déficit se creuse». Et, conclut-il, «il n’y a pas de vision pour améliorer la gestion et augmenter la richesse. Il n’y a pas de vision stratégique ni d’étude d’impact des mesures prises».

Analyse que partage Mohamed Louzir (cabinet MS Louzir) qui relève un «manque de visibilité» du fait qu’il n’y a pas de points communs entre les trois documents supposés pour tracer le cap à suivre et la manière d’y arriver : le plan 2018-2020 (présidence du gouvernement), le budget de l’Etat (ministère de l’Investissement) et la loi des finances (ministère des Finances).

Le patron du cabinet MS Louzir est également convaincu que les autorités font preuve de manque de détermination dans la prise de décisions et dans la mise en œuvre de celles qui sont prises. A l’appui de ses propos, il cite les exemples du forfait fiscal et de la subvention.

Dans le premier cas, Mohamed Louzir s’inscrit en faux contre l’affirmation –des pouvoirs publics, laisse-t-il entendre- que c’est une question de moyens. Pour mettre fin à ce phénomène, «il faut dire tout de suite que tout le monde est au régime réel et doit tenir une comptabilité». Quitte à déterminer par la suite combien les entreprises vont devoir payer au fisc.

Dans le second cas, la subvention de divers produits, «les gens qui croient en avoir besoin doivent se déclarer. L’expérience a démontré que pas plus de 60 à 70 le font», observe M. Louzir.