Tunisie : La République est en sursis!

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La République a émancipé le pays mais elle n’est pas allée jusqu’au bout de cette dynamique. Elle a fini par générer l’exclusion et l’iniquité sociale. Elle subit le désenchantement de beaucoup de Tunisiens. Un alter modèle, celui de République islamique, est en train de la challenger. La République citoyenne saura-t-elle résister?

Cinquante neuf ans après sa proclamation, la République connaît un certain mal être. Née dans la foulée de la dynamique de libéralisation du pays du joug de la colonisation, la République tunisienne est à la recherche d’un deuxième départ dans la vie.

Pour la première fois de l’histoire, un pouvoir national

Nous connaissons tous les conditions de naissance de la République. Son cri de guerre était que pour la première fois de son histoire, les fils de ce pays accédaient au pouvoir. Cela semblait être le couronnement du mouvement réformiste initié par Kheireddine. Il fut sérieusement formalisé par le Destour et ses principaux animateurs. Et même si Habib Bourguiba y a apporté le déclic historique que l’on connaît, le projet était porté à bout de bras par l’écrasante majorité des Tunisiens. 

L’édifice bourguibien: Un projet, un modèle…

La République a libéré nos énergies. Le pays s’est donné un modèle. On voulait ressembler à la Suède sinon à la Suisse. Le pays s’est donné un rêve. La Tunisie est le premier pays arabe et musulman à avoir réalisé l’aggiornamento.

En mettant le premier coup de pioche de la République, les Tunisiens misaient sur le volontarisme politique, renonçant à la théorie du fatalisme (Kadha wal Kadar) qui les a longtemps condamnés à l’immobilisme. Ils découvrirent le sens de l’efficacité en politique se déclarant maître et artisan de leur destin. Ils se mobilisèrent pour façonner leur avenir. Quel souffle d’émancipation pour les premières années de l’indépendance! La solidarité, la prospérité et l’égalité. La citoyenneté était née. Et, même si on confondit République, Etat et administration, il faut reconnaître que l’ensemble a bien fonctionné au début. Il y a eu l’école de la République, comme pierre angulaire de tout l’édifice. La santé également. Le modèle tunisien avait rayonné sur toute l’Afrique. Le pays avait régenté le sport africain. Une grande impulsion de rénovation culturelle était véhiculée par la jeune République tunisienne.

…Mais un standard inachevé

Malgré son importance, le projet bourguibien constituait un standard inachevé. Il lui a manqué la liberté. Et même si le projet avait apporté une note réelle d’émancipation démocratique en instituant l’ascenseur social par l’éducation nationale, il a malheureusement généré le centralisme.

Paraphrasant Louis XIV, Bourguiba trancha: “L’Etat, c’est moi“. Il avait, par cette défaillance dans l’édifice républicain, créé les conditions d’étouffement du système. La centralisation nous a condamnés à la pensée unique, et au parti unique, enfin au parti-Etat. La représentativité populaire en a été dévoyée. La transmission démocratique s’en est trouvée bloquée.

Du vivant de Bourguiba, les déviances du système étaient encore supportables. Le népotisme, le favoritisme et la corruption, c’est-à-dire les antidotes de la démocratie en somme, étaient encore à un niveau supportable. Mais le ver était déjà dans le fruit.

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Ben Ali : le projet de féodalisation de l’Etat 

Bourguiba affirmait, avec paternalisme, que les Tunisiens n’étaient pas matures pour la démocratie, retardant ainsi le processus démocratique. Par contre, Ben Ali n’avait pas d’ambition pour le pays. Il s’emploiera à les (Tunisiens) maintenir dans un état de “minorité“ démocratique, parce qu’il n’avait d’ambition que pour lui-même. D’ailleurs, son projet se résumait à la féodalisation du pays. Il a mis en route le processus de désintégration de l’Etat national. Ce n’est un secret pour personne que le démantèlement du service public a été très avancé sous l’ère Ben Ali. Tout devait lui revenir et tout devait échapper à l’Etat. La République a fini par générer la répartition inéquitable des richesses et les inégalités régionales.

La citoyenneté s’est évanouie. Le clientélisme lui a pris toute la place. La République créait l’exclusion. Elle était saisie d’une tourmente qui la menaçait dans son existence. L’informel, la corruption et la déstructuration du service public étaient largement entamés sous Ben Ali.

Dans sa poigne dictatoriale, le personnel s’érigeait en système de gouvernement, portant un coup fatal à l’horizon démocratiqu.

L’expérience de Ban Ali aurait servi de marche pied à la période de la Troïka. Il était facile de laisser dériver l’informel vers la contrebande des armes et, par conséquent, vers le terrorisme. La République islamique trouvait là un cadre approprié. Avec une minorité populaire, Ennahdha, principal maillon de la Troïka, avait des chances sérieuses de pousser vers la République islamique. Le débordement salafiste, qui voulait aller directement vers le Califat, l’en aurait-il dissuadé, momentanément, du moins.

On ne sait trop mais la menace de la République confessionnelle reste assez présente.

La République retrouvera-t-elle une pleine immunité?

La République tunisienne, phare du patriotisme et des mouvements de libération dans le monde, est durement secouée. Chantre de la légalité internationale, Bourguiba véhiculait une certaine idée de l’ordre mondial.

Quand on voit l’efficacité avec laquelle la Tunisie a pu parvenir à mettre sur pied la coalition du voisinage libyen, on est en droit de penser que la flamme des origines est encore vive.

Quand on voit comment le pouvoir essaie de se sortir des contraintes du système parlementaire pour dénouer la crise politique qui secoue le pays, on se dit que la fibre politique des pères fondateurs est encore bien là.

La République fait face à un défi précis: récupérer la jeunesse. L’enjeu est bien entre le projet citoyen et celui islamiste. Justice et développement, avancent les islamistes. On attend que les démocrates répondent par liberté et initiative. La récupération de la jeunesse ne peut se faire que par la démocratie locale.

La deuxième République aura-t-elle le courage de diffuser la démocratie, donc le pouvoir dans les régions? Nous pensons que c’est là sa voie de salut.