Tunisie – Commerce : «Les menaces des acteurs du commerce parallèle ne me font pas peur», assure Mohsen Hassan

mohsen-hassen-m-commerce-wmc-01.jpgIl est quand même étonnant dans un pays où des terroristes sanguinaires ont été amnistiés, blanchis, dédommagés, et ont repris du service, échappent aux critiques blessantes et virulentes de beaucoup d’entre nous alors que Mohsen Hassan, nommé il y a quelques mois ministre du Commerce, a souffert de coups de hache et pas des moindres. Il a résisté. Sa réputation n’est pas des plus brillantes, avons-nous lu, entendu et même écouté. Mais qui, dans ce pays, coupable ou innocent, a échappé aux médisances ou aux rumeurs des fois justes rarement justifiées? Qui peut prétendre n’avoir jamais péché?

Le travail est la meilleure réponse qu’est aujourd’hui en train d’apporter le ministre du Commerce à sa réputation ternie. C’est sa façon à lui de la soigner et c’est tant mieux si ses paroles se traduisent rapidement en actes concrets sur le terrain. Ceci dit et sous nos cieux, nombreux sont les hauts responsables que nous croyions être des anges et que nous avons découvert démons dans l’exercice de leurs fonctions.

C’est à l’œuvre que l’on connaît l’artisan.

Entretien

WMC : Monsieur le ministre, on n’arrête pas de parler de l’absence d’une vision du gouvernement quant aux grands défis auxquels fait face aujourd’hui l’économie nationale. Qu’en est-il de votre secteur, et pour commencer quelle approche avez-vous appréhendée pour la dynamisation du commerce intérieur?

Mohsen Hassan : Le gouvernement a établi toute une stratégie à ce propos qui vise essentiellement à maîtriser les prix et assurer l’approvisionnement du marché. J’estime que les résultats sont satisfaisants, le taux d’inflation enregistré au 31 mars 2016 est de l’ordre de 3,3%, ce qui est très convenable. Il est en nette régression par rapport au taux enregistré l’année dernière.

En ce qui concerne l’approvisionnement des marchés, nous le suivons régulièrement et quotidiennement. Nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute qu’il y a une abondance de l’offre au niveau de tous les produits. Et principalement ceux de première nécessité. Donc il n’y a pas un problème touchant à la stabilité des prix ou -et à moindre degré- à l’approvisionnement des marchés. A ce niveau-là, nous devons reconnaître quelques difficultés. Il faut quand même savoir que plus de 50% des produits frais sont commercialisés en dehors du circuit classique.

Le ministère du Commerce a mis en place toute une stratégie de mise à niveau des circuits de distribution. A cet effet, nous avons établi un programme en direction des marchés de gros, à commencer par le marché de Bir El Kassaa géré par la SOTUMAG. C’est un marché capital pour le pays et un acteur important de la distribution des fruits et légumes. C’est la centrale d’achat la plus importante en matière de commerce de proximité, mais il doit également jouer un rôle dans les échanges internationaux, aussi bien à l’import qu’à l’export et cela entre dans le cadre des projets du ministère.

Nous avons d’ailleurs décidé d’un plan d’investissements et de mise à niveau conséquent qui comprend essentiellement l’usage des nouvelles technologies de l’information dans l’administration des affaires du marché. Nous œuvrons pour plus de transparence et une meilleure gouvernance. Nous ambitionnons aussi la modernisation des locaux tels le réaménagement des bâtiments pour qu’ils soient plus structurés et modernisés pour les adapter aux nouvelles exigences de la consommation, aux besoins des clients dans le respect des normes d’hygiène et de sécurité alimentaire. Nous le doterons bien entendu de caméras de surveillance pour assurer sa sécurité et celle des opérateurs.

Le programme d’investissement est très ambitieux et s’élève à plus de 30 millions de dinars. Il est en cours d’étude.

Rappelons à ce propos que la SOTUMAG est une société cotée en Bourse, ce qui nous permettra de lever des fonds sur le marché financier. Ce sera une première en Tunisie. Un investissement de l’ordre de 30 MDT levé sur le marché financier sans oublier un autre atout, celui d’une réserve foncière de l’ordre de 25 hectares.

Vous avez parlé d’une plateforme pour l’exportation des produits tunisiens à l’international?

Nous étudions pour Bir El Kassaa, en partenariat avec des institutions étrangères, les moyens de mettre en place cette plateforme. Nous sommes en train d’étoffer tout un programme d’investissement. Nous pouvons citer à titre d’exemple des plateformes pour l’export, d’autres pour le conditionnement des produits frais et des produits agricoles d’une façon générale.

Le marché Bir El Kassaa ne se limitera plus au marché local mais s’adressera également à l’étranger. Pour ce, nous allons construire des centrales de distribution répondant aux normes internationales. Nous voulons adopter le mode opératoire du marché Rungis à Paris, c’est-à-dire regrouper tous les produits agricoles, produits de la mer, produits de la mer et autres produits d’élevage. Rungis est le meilleur marché d’intérêt national au monde.

J’ai personnellement de l’expérience en la matière et je suis assez édifié sur la gestion des marchés d’intérêt national.

J’estime que la démarche que nous comptons entreprendre nous permettra de préserver la dynamique d’approvisionnement du marché au national et de développer le commerce extérieur.

Il y aura aussi des duplications de Bir el Kassaa sur tout le territoire de la Tunisie. J’ai imposé les mêmes règles de gestion adoptées à Bir el Kassaa à tous les marchés de gros existants dans notre pays. Et principalement l’usage de l’informatique, l’utilisation de pesage électronique, l’utilisation des caméras de surveillance, la modernisation de l’infrastructure.

Quelles sont les régions qui en ont bénéficié à ce jour?

Nous avons commencé par les marchés de gros de Menzel Bourguiba et de Sousse. Ils seront soumis aux réglementations en vigueur et appliqueront les mêmes techniques de gestion et de management.

Le ministère a, d’autre part, mis en place tout un programme d’investissement et de développement des marchés de production, comme celui de Sidi Bouzid. Nous avons démarré notre programme dans ce gouvernorat qui fournit au pays 15% de la production agricole. C’est la raison qui nous a encouragés à consacrer des investissements pour la création de marchés de production. J’ai moi-même assisté à l’assemblée générale constitutive de la société qui va gérer ce marché.

Quand est-ce que ce marché sera opérationnel?

mohsen-hassen-m-commerce-wmc-02.jpgDans un maximum de deux années, et il s’étalera sur un terrain de 20 hectares, avec un investissement de l’ordre de 20 millions de dinars.

Ajoutons à cela les marchés des dattes à Kébili et à Tozeur.  L’objectif de la création de ces marchés est la valorisation des dattes tunisiennes et de la création de l’infrastructure nécessaire au conditionnement des produits pour éviter leur détérioration.

Une plateforme pour l’export des dattes tunisiennes est également envisagée. C’est aussi valable pour le marché de production des agrumes à Menzel Bouzelfa. Ce qui est rassurant est qu’il y a une mobilisation totale des investisseurs privés autour de ces projets.

J’ai le soutien total du gouvernement pour activer la concrétisation de ces projets rapidement. L’objectif final étant de mettre à jour le circuit de distribution via la modernisation des marchés de gros, et celle des marchés de production.

Et les marchés hebdomadaires, vous y avez pensé?

Bien évidemment. Les marchés hebdomadaires souffrent malheureusement d’insuffisances des conditions minima pour le bon déroulement des transactions commerciales, et surtout dans les régions intérieures. J’ai établi un programme national pour leur modernisation. Nous avons commencé par Souk El Jemaa à l’Ariana. Le marché hebdomadaire de Sidi Bouzid est également dans le pipe. Nous sommes décidés à généraliser ce programme à tout le pays.

Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous sommes en train de susciter une dynamique pour le renouvellement des circuits de distribution sur tout le territoire. Ce qui aura un effet bénéfique sur l’économie nationale puisque nous pourrons ainsi lutter contre le commerce parallèle en renforçant la part du circuit de distribution organisé.

Nous travaillons également sur les cadres juridique et réglementaire. J’ai constitué une équipe de travail au sein du ministère du Commerce, et nous sommes en train d’étudier le volet juridique, notamment l’organisation des marchés hebdomadaires, les marchés de gros et les marchés de production.

Vous vous attaquez au commerce parallèle qui comporte de grands enjeux d’ordre financier. Vous avez déclaré avoir reçu des menaces, vous résisterez?

Honnêtement, je n’ai pas peur, je suis en train de servir mon pays, j’ai le soutien de tout le monde, du gouvernement et de mes collègues au ministère. Nous ouvrons tous les dossiers qui nous paraissent intéressants, notamment ceux du commerce parallèle. Ils doivent être rapidement traités. Certains individus se sentent menacés, d’autres préfèrent travailler dans l’informel et c’est ce qui explique les menaces qui nous ont été adressées.  Elles nous encouragent à nous investir encore plus dans la lutte contre les pratiques illicites. Le pays a besoin d’une refonte globale, que ce soit au niveau du commerce parallèle, ou de l’organisation de certaines activités comme la friperie ou d’autres secteurs. Nous y travaillons. 

Combien coûte le commerce parallèle au pays?

Le manque à gagner pour le budget de l’Etat est de plus de 1,2 milliard de dinars. Ce montant date de 2013. En 2016 il doit être passé au double. Imaginez le manque à gagner sur le plan fiscal. 

Aujourd’hui, pour lutter contre le marché parallèle, il y a une stratégie nationale qui a fait l’unanimité. Les solutions sécuritaires et militaires: le gouvernement continue à investir pour moderniser les douanes, les postes frontaliers où il y a beaucoup de choses à faire.

Il y a aussi le contrôle économique et douanier au niveau national. Mais il existe également les solutions économiques.  Tout un programme de création de zones franches est en cours de réalisation.

Notre priorité est celui de la zone franche de Ben Guerdane qui va coûter plus que 120 MDT. Elle occupera un terrain de 150 hectares. Nous avons déjà commencé les études techniques. Le projet prendra fin aux alentours de fin 2017 début 2018. Il créera plus que 8.000 emplois d’une façon directe et indirecte, l’objectif de ce projet est créer une plateforme de commerce de distribution et développer la dynamique économique de la région.