Tunisie – Développement régional : Des investissements publics supérieurs à la moyenne nationale!

econoie-radisocopie-680.jpgContrairement à ce que l’on a prétendu et ce que l’on prétend depuis des années, les régions intérieures n’ont pas été totalement marginalisées par les plans de développement de l’Etat pour ce qui est des investissements publics. Il y en a même qui en ont profité plus que d’autres, excepté le gouvernorat de Sidi Bouzid. Le hic, c’est que les investissements privés n’ont pas suivi et pour cause, ayons le courage et l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître, dans nombre de zones intérieures, la culture entrepreneuriale n’existe presque pas.

Des récentes études réalisées par GIZ avec d’éminents économistes tunisiens, dont Mohamed Haddar, Hassine Dimassi, Ali Abaab et Hamadi Tizaoui, il a été établi, chiffres à l’appui, qu’aussi bien les gouvernorats de Médenine, Kasserine que Le Kef ont bénéficié des financements publics tout comme les zones côtières sinon plus dans certains cas.

Le but des études est l’élaboration de «Plans régionaux d’environnement et de développement durable» (PRED). Il s’agit de doter chacune des 4 régions citées plus haut d’un cadre stratégique pour un développement régional s’inscrivant dans une perspective de durabilité, renforcer les capacités des acteurs locaux en matière de concertation et de planification participative et contribuer au renouvellement des approches de la planification du développement régional du pays.

C’est lors d’une rencontre organisée par le think tank Khaireddine à l’IACE que les experts chargés d’établir le PRED ont levé le voile sur les informations recueillies dans les régions et les études lancées en 2012. Des études conduites selon une approche participative dont le but est d’établir une vision stratégique pour le développement des zones concernées. 

15 ateliers par région, des données chiffrées et des analyses qui prouvent que la situation n’est pas des plus reluisantes en Tunisie et particulièrement au centre-ouest, mais qu’elle n’est pas non plus désespérée. La précarité est la même, les causes sont différentes d’une région à l’autre, d’où des solutions à la carte et non un menu valable pour toutes. 

L’approche préconisée par les chercheurs vise la complémentarité entre la vision technicienne et citoyenne, celle comprenant la dimension territoriale et sectorielle et prend en compte la dimension durabilité du développement ainsi que l’appropriation du produit final par les acteurs locaux. Toutes les régions du pays peuvent devenir des territoires créateurs d’emploi et de richesses, estiment les experts, mais à une condition: «évoluer d’une logique du soutien permanent de l’Etat à une logique de développement et d’accumulation locale. L’une des principales clefs pour initier un processus vertueux de développement réside dans la gouvernance locale et l’engagement des acteurs locaux (impératif de la décentralisation).

Une seconde clef: dans la formation des ressources humaines compétentes et l’implantation d’institutions de développement performantes en matière de développement régional». 

Pas de bassin d’emploi à Sidi Bouzid

Ce qui a manqué à la Tunisie ces dernières années où nous nous sommes réveillés d’un profond sommeil pour découvrir autant de précarité et d’indigence aussi bien matérielle qu’intellectuelle, c’est surtout le courage politique de dire que les régions ont également une responsabilité dans leur propre développement. Nombre de leaders politiques opportunistes, ambitieux et même amoraux ont malheureusement fait de «la marginalisation des régions» un fonds de commerce juteux servant à déstabiliser les institutions publiques et surtout à écarter les compétences et les «cerveaux» qui ont, qu’on le veuille ou non, servi le pays et préservé l’Etat.

Les gouvernements successifs avaient l’obligation et le devoir de doter les régions des infrastructures et commodités nécessaires d’usage dont des hôpitaux bien équipés, des écoles, collèges et lycées et maisons de culture et de jeunesse ainsi qu’une armature urbaine de qualité. Les populations avaient, elles, le devoir et la responsabilité d’être plus actives dans l’essor de leurs régions. A Sfax, même les représailles de Ben Ali suite aux déclarations de Mansour Moalla, à l’époque PDG de la BIAT, n’ont pas empêché les acteurs économiques de figurer parmi les plus actifs dans notre pays. Ils n’ont pas observé une posture passive attendant que tout souffle d’émancipation arrive d’en haut: de la capitale.

Et pourtant, que de compétences dans nos régions! Ils n’y restent, toutefois, pas longtemps, préférant regagner les grandes métropoles.

Hassine Dimassi, ancien ministre des Finances, universitaire et l’un des experts qui ont mené les études avec le GIZ, a affirmé, lors de la rencontre du cercle Khaireddine, qu’il ne s’agit plus d’un déficit de développement mais que le risque, aujourd’hui, est de perdre l’existant et que le défi est de le sauver en mettant en place les instruments indispensables à une relance socioéconomique des régions.

Evoquant Sidi Bouzid, il a rappelé que le gouvernorat souffre d’une absence de sources d’accumulation de richesses s’étant limité depuis des décennies à une agriculture de subsistance pour la plupart familiale. «C’est la région où le niveau d’investissement public et privé figure parmi les plus faibles du pays: moyenne par habitant en dessous de la moyenne nationale et de celle des autres régions de l’intérieur».

Dans ce gouvernorat, la diversification du tissu économique est pratiquement inexistante, aucune industrie agroalimentaire et un nombre réduit d’entreprises en raison de l’absence d’un bassin d’emplois car elle pèche également par une forte dispersion de la population et l’absence d’une véritable agglomération régionale. «Il est aberrant qu’il n’existe aucune clinique polyvalente et aucune activité économique structurante dans cette région».

Les investissements au Kef sont de l’ordre de 5.574 dinars par habitant contre une moyenne nationale de 3.222 dinars

La problématique du Kef est différente de celle de Sidi Bouzid. Contrairement à ce gouvernorat, il a bénéficié des investissements publics. Soit «un niveau d’investissement public moyen par habitant entre 1987 et 2010 parmi les plus élevés (moyenne de 5.574 dinars contre une moyenne nationale de 3.222 dinars) juste après ceux de Gafsa et Tozeur, ceci n’a pas eu un impact significatif sur l’investissement privé dont le niveau moyen par habitant est resté parmi les plus faibles: 3.500 dinars contre une moyenne nationale de 5.742 dinars et 10.164 dinars pour le gouvernorat de Nabeul» .

Le tissu économique de la région reste peu diversifié, ainsi les industries manufacturières n’arrivent pas à décoller et restent assez fragiles, tout comme les relations avec l’Algérie n’ont pas constitué un stimulant pour le développement du Kef qui demeure relativement enclavé et sous-intégré à l’échelle du nord-ouest, nationale et a fortiori internationale. C’est là où l’on observe le flux migratoire le plus élevé du pays, ce qui lui a fait perdre son positionnement de capitale du centre-ouest, estime Ali Abaab, expert économique qui a étudié la région en profondeur.

Le Kef souffre d’une prédominance de la monoculture céréalière dont les impacts sont négatifs sur le développement régional. Des facteurs socio-historiques et économiques (politique des prix, absentéisme agraire de type rentier) justifieraient ces défaillances.

Mais pas seulement, la zone n’a pas réussi la reconversion d’une partie des terres céréalières vers l’arboriculture fruitière et le maraichage, ce qui la prive de la diversification de son agriculture et par conséquent d’un meilleur développement.

L’armature urbaine est très faible et n’arrive pas à «doper» le développement économique et social. L’industrie manufacturière n’arrive pas à décoller et reste assez fragile.

Au Kef il n’y a pas de bassin d’emplois, ce qui n’attire pas les investisseurs privés ne pouvant s’y aventurer de peur de ne pas y trouver une main-d’œuvre répondant à ses besoins. «100.000 habitants ont quitté le Kef depuis 1999, et il faut reconnaître que repeupler une région est beaucoup plus difficile que la peupler».

Ce qu’il faudrait, estime M. Abaab, est assurer une dynamique de développement durable de la région soutenue par un effort consistant de l’Etat et une implication plus active de la part des acteurs locaux. Elle devrait affranchir progressivement la région de l’emprise d’une monoculture céréalière peu productive et source de transfert de la valeur en dehors de la région, diversifier davantage le secteur agricole et l’économie régionale en général et inverser les flux de capitaux en faveur de la région (mais également démographiques) et accroitre son attractivité et améliorer son positionnement par rapport à l’espace économique du nord-ouest du pays et de son voisinage algérien.

Médenine : une zone pleine de contrastes

Contrairement au Kef plus homogène, Médenine est une zone pleine de contrastes avec 400 km de côtes. Pourtant, ses indicateurs économiques s’apprêtent plus aux régions de l’intérieur qu’à celles côtières. L’explication est simple, estime Hamadi Tizaoui: «Ce gouvernorat hétérogène, qui se distingue par des entités socio-ethniques assez fortes, reproduit dans une certaine mesure tous les déséquilibres régionaux dont souffre la Tunisie, à savoir la grande différence entre le littoral et l’intérieur».

Médenine dispose d’atouts non négligeables mais son économie reste fragile et dominée par le tourisme et le secteur informel. C’est ce qui expliquerait en partie que le technopôle de Zarzis ne soit pas exploité pour développer la région.

Tout comme Le Kef, ce gouvernorat a «profité par habitant d’un niveau d’investissement public supérieur à la moyenne nationale mais ne semble pas avoir bénéficié d’investissements structurants capables de transformer son positionnement socioéconomique. Des traditions urbaines assez faibles conjuguées à l’absence d’une métropole régionale capable de structurer le territoire régional mais en même temps un taux d’urbanisation dépassant largement la moyenne nationale (87% en 2014)».

Excepté Sidi Bouzid et du moins dans les régions qui ont fait l’objet de l’étude réalisée par le GIZ, la défaillance ne se trouve pas dans le déficit des investissements publics mais plutôt dans les modèles de développement qui y ont été suivis. Ajouté à cela un axe sur lequel ne se sont pas attardés les experts: la culture entrepreneuriale. Osons reconnaître qu’au-delà des éléments exogènes qui ont fait que ces régions n’avancent pas sur la voie du développement économique aussi rapidement que les zones côtières, il y en a qui sont endogènes et que nous pouvons résumer en: l’absence d’une culture entrepreneuriale et celle de la valeur travail ont en partie entamé leurs progrès. 

D’où l’importance, selon nos spécialistes, de favoriser l’émergence d’une nouvelle dynamique de développement soutenue par les pouvoirs publics et prise en charge par les acteurs locaux. Une dynamique qui devrait permettre de valoriser les atouts de chaque région en vue d’améliorer son positionnement et sa compétitivité territoriale, favoriser son intégration dans un espace économique plus large tourné aussi bien vers le national que l’international.

Pour y arriver, il conviendrait d’organiser et encadrer le processus de développement régional à travers une gouvernance locale s’inscrivant dans le processus de décentralisation du pays, un pilotage du processus de développement à travers une structure régionale compétente que l’on pourrait baptiser: «Agence de développement régional économique et social».

Il va falloir aussi recourir et même s’adosser sur le partenariat Public-Privé-Associatif (PPPA): qui est à «réinventer», estiment les experts, tout comme il va falloir mieux intégrer les nouvelles générations dans le processus de développement économique et social. Pour promouvoir ce partenariat «la Caisse de dépôts et de consignations doit jouer un grand rôle», assure Hassine Dimassi.

Le développement socioéconomique des régions nécessite des moyens financiers énormes et qui ne peuvent être garantis par l’Etat. Les privés peuvent y contribuer mais selon quelle formule et à quelles conditions.

C’est sur cela que planche aujourd’hui l’ARP: la loi PPP, osons espérer qu’elle l’adoptera rapidement car la Tunisie suffoque économiquement à cause de la léthargie des représentants du peuple et de son assemblée mais la Tunisie saigne également  parce qu’il y a une loi que l’on peine à adopter à ce jour: celle antiterroriste.

Pas de lois sur la sécurité et non plus sur l’économie, alors à quoi cela sert d’avoir une ARP?

A casser du sucre sur le dos des contribuables?