Tunisie – Allemagne : “Les promesses de Deauville ont été tenues et les financements sont là” (Dr Andreas Reinicke)

Par : TAP

La chancelière allemande, Angela Merkel, a invité le président de la République, Béji Caïd Essebsi, à participer au sommet du G7, qui se tiendra les 7 et 8 juin 2015 au château Elmau en Haute Bavière en Allemagne.

Le groupe des 7 “G7” (ex-G8 moins la Russie, exclue en raison de son rôle dans la crise en Ukraine), est un conclave annuel informel des dirigeants des premières puissances mondiales (Allemagne, USA, France, Japon, Italie, Canada, Grande-Bretagne).

Dans une interview exclusive accordée à l’Agence TAP, Dr Andreas Reinicke, ambassadeur d’Allemagne à Tunis, évoque le sens de cette invitation, les promesses tenues par les premières puissances mondiales au sommet de Deauville et la coopération tuniso-allemande.

Il affirme que les fonds sont disponibles, mais la Tunisie doit présenter des projets viables pour en bénéficier.

Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, sera l’invité d’honneur du sommet du G7 sous la présidence allemande. Quel sens donnez-vous à cette invitation?

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Dr Andreas Reinicke: La chancelière allemande, Angela Merkel, qui préside le sommet du G7 cette année, a décidé d’inviter le président tunisien, en signe de respect et de reconnaissance à la Tunisie et au chemin qu’elle a parcouru ces dernières années.

Le président Caïd Essebsi participera, en marge du sommet d’Elmau, à une session spéciale “outreach” cette année, avec des chefs d’Etat africains pour discuter de questions économiques et d’autres questions d’intérêt commun.

Que peut espérer la Tunisie du sommet d’Elmau?

Tout d’abord, il faut comprendre que le G7 n’est pas une organisation internationale. C’est une rencontre informelle de 7 chefs d’Etat, pour échanger des points de vue et discuter de questions d’actualité et d’intérêt commun. Ce n’est pas une réunion pour prendre des décisions concrètes ou pour débloquer des fonds. Les décisions concrètes doivent être prises par d’autres institutions et dans d’autres endroits et lors d’autres conclaves internationaux.

La question s’est posée parce que les promesses faites par les pays du G7 lors du sommet de Deauville n’ont pas été traduites dans les faits. Qu’en pensez-vous?

Au contraire, les promesses de Deauville ont été tenues et les financements sont là! L’argent est toujours là. Dire que les promesses ne sont pas tenues relève du malentendu, car certains pensent que les fonds prévus seront transférés en chèques ou en bloc directement au budget de l’Etat bénéficiaire, ce qui n’est pas le cas. En fait, il faut d’abord identifier les projets auxquels les financements seront destinés pour ensuite les débloquer.

Après Deauville, il y a eu la réunion des ministres des Finances en septembre 2011, à Marseille, laquelle a été couronnée par la “Déclaration de Marseille”. Cette déclaration a connu l’engagement d’autres bailleurs de fonds et d’autres pays (6 pays du Golfe, Turquie, et 9 institutions financières internationales et régionales) à apporter l’appui nécessaire, dans le cadre d’un partenariat de long terme, aux pays engagés dans des processus de transition politique et économique en l’occurrence: la Tunisie, la Jordanie, l’Egypte et le Maroc.

Donc l’argent est disponible, mais le pays bénéficiaire, dans ce cas la Tunisie, doit présenter des projets viables pour en bénéficier.

Vous voulez dire que l’argent est là, mais qu’il manque les projets pour le dépenser?

Oui exactement! C’est le pays bénéficiaire qui a la souveraineté de décider quoi faire de cet argent. Dans beaucoup de cas, le processus d’identification des projets prend du retard. Dans le cas de la Tunisie, le gouvernement est en train d’identifier les projets et en fonction de leur viabilité, les financements seront alloués.

Je peux vous assurer qu’en ce qui concerne l’Allemagne, il y a un financement d’un demi-milliard d’euros destiné à la Tunisie qui n’est pas encore dépensé.

Quelle est votre évaluation de la situation en Tunisie sur les plans sécuritaire, économique et politique?

Je crois que la révolution a généré un potentiel énorme sur tous les plans, pour la Tunisie. Maintenant, c’est aux Tunisiens de tirer le meilleur profit de ce potentiel.

Il est clair que les révolutions n’aboutissent pas à des résultats concrets du jour au lendemain, il faut comprendre qu’il y a un chemin à faire. Mais ce qui est sûr, c’est que tous les Tunisiens ont, aujourd’hui, beaucoup plus de chances de réaliser leurs aspirations à un avenir meilleur.

Sur le plan sécuritaire, la situation s’est généralement améliorée. Les autorités tunisiennes prennent aujourd’hui les choses en main et sont parvenues à bien maîtriser la situation. Ceci est positif pour tout le monde.

Du point de vue politique, il a fallu d’abord rétablir l’organisation de l’Etat. Les choses ont évolué dans ce sens et la Tunisie a franchi les étapes nécessaires (élections, nouvelle Constitution, discussion de lois…) pour l’établissement d’un Etat de droit. La mise en place de ce cadre étant important pour pouvoir mener les actions de développement du pays.

En ce qui concerne le volet économique, la Tunisie dispose de potentialités énormes. Elle a de prime abord un capital humain bien formé et aussi l’avantage d’être à proximité du marché européen. Il faut tirer le meilleur profit de ces avantages et saisir cette opportunité pour encourager la création d’entreprises et inciter les ressources humaines bien formées à s’installer à leurs propres comptes et à créer leurs propres projets. Pour cela, l’Etat doit penser à alléger les procédures administratives et les rendre plus transparentes.

Pour le reste, les investisseurs étrangers viendront sûrement en Tunisie, s’ils trouvent un personnel bien formé, qui a la volonté et la capacité de travailler et aussi des infrastructures appropriées. La Tunisie dispose déjà d’une infrastructure bien meilleure que d’autres pays, mais il faut l’améliorer davantage.

Est-ce que l’Allemagne envisage une conversion d’une partie de la dette tunisienne ou carrément un effacement de cette dette?

La conversion d’une partie de la dette tunisienne, l’Allemagne l’a faite il y a trois ans. Elle est prête à financer de nouveaux projets en Tunisie, mais avant tout, il faut qu’il y ait des projets viables.

Comme je l’ai déjà dit, il y a beaucoup d’argent à investir en Tunisie, mais ce qu’il faut c’est présenter des projets viables. C’est au gouvernement de présenter des projets qui méritent d’être financés.

Depuis la révolution, l’Allemagne a renforcé sa coopération avec la Tunisie. Quel est la portée de cet intérêt?

Notre espoir et celui de toute l’Union européenne est de voir une Tunisie développée. Pas seulement ce pays mais aussi tous nos partenaires aux frontières sud. Nous voulons qu’ils soient prospères et paisibles, parce qu'”un voisin prospère est un bon voisin” (rire). Ceci est important pour toute la région. Aider un pays à se développer revient moins cher que d’intervenir après coup pour réparer les dégâts. C’est là où réside notre intérêt et c’est dans cet objectif que nous sommes en train de développer cette coopération.

Quels sont les secteurs qui intéressent le plus l’Allemagne en Tunisie?

L’Allemagne ne s’intéresse pas à des secteurs précis. C’est l’Etat tunisien qui décide et présente les projets qu’il souhaite réaliser, par le biais de financements et des capacités allemands. Jusqu’à cette date, nous sommes intervenus pour le financement d’environ 150 à 160 projets en Tunisie.

Il s’agit surtout de projets dans les régions, ciblant la création d’emplois et dont la majorité concerne les secteurs de la formation professionnelle avec les institutions de l’Etat et des entreprises privées, dans le domaine de l’assainissement, de l’adduction au réseau d’eau potable et beaucoup d’autres projets dans le domaine de l’agriculture.

WMC/TAP