Au Venezuela, la pénurie fait le bonheur des fourmis du marché noir

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é à Caracas (Photo : Juan Barreto)

[06/05/2015 11:23:23] Caracas (AFP) Les Vénézuéliens les surnomment les “bachaqueros”, du nom des énormes fourmis, les bachacos, qui transportent sur leur dos de grandes quantités de nourriture: ce sont ceux qui profitent de la pénurie chronique pour revendre au marché noir café, lait ou farine.

Susana, mère célibataire de 32 ans, en fait partie. “En une journée, je peux gagner jusqu’à 6.000 bolivares (presque le salaire minimum mensuel, ndlr), bien plus que ce je gagnais avant”, confie-t-elle, assise dans la pénombre de son salon.

C’est dans une modeste maison en briques avec un toit de zinc, située dans un quartier populaire à l’ouest de Caracas, qu’elle élève seule ses cinq enfants.

Il y a un an et demi, lassée que l’inflation – officiellement proche des 70% par an – mange ses faibles revenus, elle s’est mise à vendre illégalement du lait, de la farine ou des couches, tous ces produits de première nécessité qui manquent cruellement dans le pays pétrolier sud-américain.

Une activité qui n’est pas de tout repos : sa journée de “travail” commence à 02H00 du matin, quand elle quitte son quartier pour rejoindre les files d’attente des supermarchés, où elle passera des heures.

Grâce à ses contacts et un peu de débrouille – en dupliquant les papiers d’identité, par exemple -, elle contourne le rationnement et parvient à acheter plus de produits que les autres.

Ensuite, elle revend sa marchandise dans la rue ou via le porte-à-porte. Ses tarifs ? Jusqu’à cinq fois plus élevés que dans les rayons, mais ses clients, résignés à payer plus chers, sont surtout ravis de s’épargner les queues.

Au départ, le terme “bachaquero” désignait les contrebandiers traversant à pied la frontière avec la Colombie, dans l’ouest du pays, chargés de bidons d’essence – le Venezuela pratique la tarif le plus bas tarif au monde – et de ballots remplis d’aliments, afin de les revendre plus cher là-bas.

Le phénomène n’a désormais plus besoin de franchir les frontières : le prix du brut s’est effondré, les importations ont fondu au Venezuela, qui produit lui-même peu, et les rayons des supermarchés et pharmacies se sont peu à peu vidés.

D’où la tentation d’en profiter pour revendre le même produit jusqu’à 10 fois plus cher, un phénomène qui, selon le gouvernement socialiste de Nicolas Maduro, n’est qu’une facette de la “guerre économique” menée par l’opposition et les chefs d’entreprises pour saper son régime.

– Cercle vicieux –

Mais, comme souligne l’économiste Luis Vicente Leon, directeur de la société d’études Datanalisis, le strict contrôle des prix mis en place par le gouvernement est à mettre en cause : “Contrôler les prix et obliger à vendre à un prix moindre que le prix d’équilibre créent un excès de demande”.

Cela “incite les individus à acheter beaucoup pour faire des réserves ou revendre en faisant des bénéfices”.

Et c’est un cercle vicieux : “Il y a de plus en plus de gens qui ont recours au marché noir, à mesure qu’augmentent la pénurie et les files d’attente, produits eux aussi du marché noir”.

Selon l’économiste, cette activité illégale est un “stabilisateur social”, car “la population des couches sociales les plus élevées achète plus cher ses produits, payant ainsi un +impôt direct+ à la population qui pratique le marché noir”.

La police ferme d’ailleurs les yeux face aux postes de vente ambulants, tandis que le marché noir passe aussi par les réseaux sociaux ou directement à domicile.

Designeuse graphique, Nathalie Loreto fait partie des clients de ce marché parallèle : n’ayant nullement envie de “perdre son temps pour rien”, elle est venue jusqu’au quartier populaire de Petare, dans l’est de la capitale, pour acheter les médicaments pour ses enfants.

“Ici on trouve tout ce qu’on ne trouve pas dans les supermarchés de notre quartier”, raconte la jeune femme de 37 ans. “C’est le système qui me pousse à venir”, se justifie-t-elle.

“Moi je ne critique pas les +bachaqueros+. Le Vénézuélien de base ne peut pas s’en sortir avec son salaire et doit chercher” d’autres moyens d’y arriver.

Sous ses yeux, dans un des stands improvisés, un paquet de café “Fama de América”, très réputé mais presque impossible à trouver. Le “bachaquero” lui en demande 100 bolivars, plus du double du prix officiel. Elle soupire, et continue son chemin.