Tunisie Conférence US Maghreb : «Nous avons besoin d’un message fort et rassurant», Amel Bouchamaoui

Penny Pritzker, secrétaire au Commerce des Etats-Unis, assistera, jeudi 5 mars, à la troisième édition de “l’US-Maghreb Conference“ placée cette année sous le thème “Investment and entrepreneurship: Building on Strategic Partnerships“. Elle figure parmi d’importantes délégations étrangères de chefs d’entreprise et de représentants des secteurs privés et publics, maghrébins et américains et d’agences de coopération internationale qui prendront part aux côtés de leurs homologues tunisiens aux travaux de la conférence.

«La présence de Mme Pritzker est très significative, indique Amel Bouchamaoui, présidente de la Chambre américaine de commerce en Tunisie “AmCham Tunisia“, elle démontre à elle seule la volonté des Etats-Unis de développer les échanges économiques avec notre pays». «Notre ambition est de passer du discours aux actes», précise Mme Bouchamaoui.

La devise du bureau d’AmCham élu en 2011 a été “From vision to action“ (De la vision à l’action) pour se transformer ensuite en “Movingforward“ (Aller de l’avant).

Pour Amel Bouchamaoui, la présence des entreprises américaines en Tunisie est à peine perceptible comparativement à d’autres pays. Elle veut du concret et tient à renforcer les investissements américains dans notre pays. C’est l’un des principaux objectifs qu’elle ambitionne de réaliser à l’occasion de la tenue de cette conférence.

Entretien.

amel-bouchammoui-tacc.jpgWMC : L’US/Maghreb Conference, c’est une tradition instaurée depuis à peine 4 ans soit au tout début de ce qu’on appelle «Printemps arabes». Qu’en est-il au juste?

La première édition de «US/Maghreb Conference» a eu lieu en Algérie, la seconde au Maroc et il était prévu que la troisième se tienne à Tunis. Entre temps, il y a eu malheureusement l’attaque de l’ambassade américaine et nous avons dû reporter l’organisation de cette conférence à plusieurs reprises.

Nous avons, en tant qu’AmCham, repensé les objectifs et la mission d’une manifestation aussi importante. Nous voulions l’axer plus sur l’investissement que sur l’entrepreneuriat (d’où le titre “Investment and entrepreneurship“) contrairement à celles tenues chez nos voisins et qui étaient orientées principalement sur l’entrepreneuriat.

Nous avons d’ailleurs fait beaucoup de lobbying dans ce sens. La conférence de haut niveau, organisée par la Chambre américaine de commerce en Tunisie (Am ChamTunisia), l’Institut Aspen (PNB NAPEO) et le département d’Etat américain se déroulera à Tunis sous le haut patronage du président de la République, M. Béji Caïd Essebssi.

Elle rassemblera plus que 300 participants venant du monde de l’entreprise, du secteur public et de la société civile. Les participants, dans leur grande majorité, sont des investisseurs américains installés d’ores et déjà dans notre pays ou intéressés par des opportunités d’investissements en Tunisie.

Mais pas seulement, car cette conférence se veut d’envergure maghrébine et rassemblera, de ce fait, des délégations importantes marocaines et algériennes et des représentants du monde des affaires.

Qu’est-ce qui différencie cette édition de celles qui l’ont succédé en Algérie et au Maroc?

Comme cité plus haut, nous avons tenu à ce qu’elle soit axée sur l’investissement, c’est ce qui explique le changement effectué au niveau de son appellation. De «US/Maghreb EntrepreneurshipConference», nous l’avons baptisée «Investment and Entrepreneurship Conference». Nous avons estimé, en tant que chambre de commerce qui chapeaute l’événement, que le contexte actuel dans notre pays exige que nous concentrions nos efforts sur la relance économique en stimulant les investissements. Nous ambitionnons plus d’investissements américains qu’auparavant.

Comment comptez-vous traduire vos paroles en actes? Cela fait des années que l’on parle d’investissements, de renforcement de la présence des opérateurs américains dans notre pays et d’un accord de libre-échange qui n’a pas vu le jour. Quelles sont les conditions qui plaideraient en faveur d’une consolidation des échanges entre les deux pays, sachant que pour les Américains un climat d’affaires efficient est indispensable. A commencer par l’assouplissement des lois et réglementations et passant par la mise en place de mécanismes incluant la protection de la propriété intellectuelle et le libre entrepreneuriat.

Nous n’avons jamais cessé d’œuvrer dans ce sens depuis notre élection, dans une conjoncture assez exceptionnelle, en avril 2011 (nous sommes aujourd’hui à notre deuxième mandat). Nous avons essayé de promouvoir l’investissement en faisant du lobbying pour la Tunisie.

Il est malheureux de reconnaître que nous n’avons que près de 70 entreprises américaines sur un total de 3.200 entreprises étrangères installées dans notre pays. Le niveau d’investissement est assez modeste bien que la valeur ajoutée des compagnies américaines soit assez importante.

Nous avons organisé la mission « Door Knock Mission», où nous avons, au sens propre et figuré, frappé aux portes des différents influenceurs et parties intéressées. Nous avons contacté les sénateurs, les organismes de lobbying internationaux à caractère économique. Nous avons mis en avant les atouts compétitifs de la Tunisie en tant que site attractif ainsi que notre positionnement géostratégique aux portes de l’Europe et surplombant l’Afrique.

Nous avons mis en place tout un argumentaire plaidant en faveur d’une plus grande présence des entreprises américaines en Tunisie, citant l’importance de son potentiel humain et l’opportunité qu’elle offre aux investisseurs étrangers en tant que plateforme pour la conquête du continent africain, à commencer par l’Afrique subsaharienne et même de l’Europe.

La communauté d’affaires américaine, nous écoute et puis nous rétorque: «Les atouts dont vous parlez se trouvent tout autant au Maroc, avec une différence, nous avons un accord de libre-échange avec ce pays». Il s’agit d’un avantage compétitif qui n’existe pas en Tunisie, pourquoi voudriez-vous qu’ils nous choisissent nous plutôt que d’autres?

Et donc ?

Nous n’avons pas baissé les bras, nous œuvrons depuis des mois à convaincre aussi bien les pouvoirs publics tunisiens qu’américains de l’utilité d’un tel accord. Je tiens à préciser à ce propos que nous avons toujours prôné des partenariats «d’égal à égal» pour toutes nos relations ou échanges avec les différents pays. Nous sommes Tunisiens avant tout et ce sont nos intérêts nationaux qui prévalent.

Aujourd’hui, nous sommes à l’ère de la mondialisation, les pays sont économiquement ouverts les uns sur les autres et nous nous devons de servir le nôtre du mieux que nous pouvons. Il est grand temps de prendre en compte les nouvelles donnes à l’international et de s’ouvrir sur de nouvelles perspectives et de nouveaux horizons.

Nous avons également, en tant qu’AmCham, beaucoup communiqué pour inciter à la levée de la «Travel alert», alerte adressée par le gouvernement américain à ses ressortissants désireux de se rendre en Tunisie et qui a suivi l’attaque de l’ambassade américaine par des extrémistes.

Nous avons expliqué que l’on ne doit pas juger et condamner tout un peuple pour une poignée d’individus. Il a fallu du temps pour lever cette alerte dont les conséquences se sont répercutées sur les pays européens également.

Nous avons été très heureux de savoir que nos efforts ont porté leurs fruits et que cette mesure a été levée 2 jours avant la date de la visite d’Etat de l’ancien chef du gouvernement aux Etats-Unis. L’impact a été bien entendu des plus positifs.

Pour la présente conférence, nous avons insisté sur la réussite du processus de transition démocratique en Tunisie, avec aujourd’hui un gouvernement permanent issu des urnes et une Constitution progressiste. Il reste toujours des imperfections mais comparés à d’autres pays, j’estime que nous nous en sortons bien.

Maintenant que la transition politique a réussi, il fallait se focaliser sur la relance économique. Le message que nous avons adressé aux Américains est que nous comptons sur nous-mêmes en tant que secteur privé tunisien pour la relance de notre économie et c’est ce que nous avons fait ces dernières années, nous n’avons pas arrêté de croire et d’investir dans notre pays.

Nous les avons invités à soutenir la transition économique pour nous permettre d’achever le processus démocratique car c’est en créant des richesses et de l’emploi que l’on peut aspirer à une paix sociale durable.

Nous avons fait en sorte que la conférence ait lieu après l’élection d’un Parlement et d’un gouvernement permanents pour que nous puissions avancer sur les questions importantes concernant nos deux pays.

La visibilité politique étant acquise, nous pouvons nous concentrer sur des réalisations économiques. Pour notre nouveau gouvernement, ça sera le premier rendez-vous international qui sera rehaussé, d’ailleurs, par la présence du chef du gouvernement pour l’inauguration et l’allocution d’ouverture.

Cette manifestation est très importante, elle arrive à point nommé. Nous nous attendons, en tant qu’AmCham et acteurs locaux et américains, à ce que les décideurs publics nous envoient des messages forts, clairs et rassurants, qu’il s’agisse des incitations ou de la sécurité.

En quoi consistent ces messages?

Il faut tranquilliser les investisseurs quant au climat des affaires. Il faut qu’ils réalisent par eux-mêmes que l’Etat est là, il est revenu, que l’Administration tunisienne est performante et réactive, que le pays bénéficie d’une paix sociale et que les lois sur l’investissement sont favorables.

Le message qu’adressera le chef du gouvernement aux participants à la conférence pour rétablir la confiance sera capital. Et là je parle des réformes qui doivent être apportées et peuvent l’être tout de suite. Il est impératif d’adopter un Code d’investissement qui serait de nature à favoriser un cadre d’investissement attractif pour les investisseurs potentiels, tout comme certaines lois visant la protection de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur.

La productivité au sein des entreprises doit être prise en considération dans la législation du travail. Quoi de plus normal que de protéger les droits des travailleurs si ce n’est qu’il faut également préserver leurs intérêts et ceux de l’entreprise qui les emploie. Pour être pérenne, l’entreprise doit aussi être profitable et compétitive.

Comment avez-vous conçu le programme de la conférence? Serait-il axé sur des interventions, des exposés ou plutôt des rencontres entre opérateurs et décideurs pour aboutir à du palpable?

Il n’y aura pas d’exposés dans la conférence du 5 mars prochain mais des sessions plénières et thématiques animées par des figures de proue de l’économie et des décideurs politiques.

La conférence sera axée sur les débats, beaucoup d’échanges et de discussions. Dans la session plénière, des thèmes traitant de l’Afrique du Nord en tant que destination pour les investissements et la promotion de l’entreprenariat dans le Maghreb sont prévus.

En marge de la session plénière, les séances de travail auront lieu autour de quatre thématiques: le Maghreb en tant que plateforme régionale des TIC – la finance novatrice en tant que moteur de croissance économique – la redéfinition des opportunités de marché dans l’énergie et les infrastructures – et la réduction du déficit de compétences au Maghreb.

Nous voulons du concret, nous voulons être à l’écoute des attentes des uns et des autres et nous travaillons sur l’effet d’annonce. J’espère qu’il y aura l’annonce de nombre d’initiatives touchant surtout à l’extension de certaines entreprises américaines déjà présentes sur le sol national.

Pour moi, cet événement nous offre l’opportunité de prouver au monde entier, à travers nos invités, que la Tunisie est paisible, que l’on peut s’y promener sans avoir peur, qu’il y fait bon vivre et qu’y investir ne comporte pas de risque.

Nombre d’entreprises américaines opèrent dans d’autres pays du Maghreb, la conférence pourrait-elle offrir l’occasion de leur présenter comme il se doit le site Tunisie?

Et comment! Bien sûr qu’elle nous offrira l’opportunité de parler de notre pays et des avantages qu’il offre aux investisseurs US potentiels déjà implantés dans la région. Nous voulons leur faire découvrir la nouvelle Tunisie, celle qui a réussi là où d’autres pays ont échoué. Il y aura aussi avec nous leurs compatriotes qui apporteront leurs témoignages quant à leur propre expérience.

Mais le plus important pour moi sera le message qu’enverra notre chef de gouvernement à l’audience, il sera déterminant dans le repositionnement de la Tunisie sur l’orbite d’une économie émergente internationale. .