De la guérilla au golf, la mue de l’armée vietnamienne depuis Diên Biên Phù

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ée vietnamienne (Photo : Hoang Dinh Nam)

[07/05/2014 05:37:47] Hanoï (AFP) D’une guérilla de volontaires équipés d’armes artisanales à la gestion de groupes de télécommunications ou de terrains de golf, l’Armée populaire du Vietnam, devenue un poids lourd de l’économie du pays communiste, a bien changé, 60 ans après sa victoire sur la France à Diên Biên Phù.

“Nous n’avions rien: des fusils et des explosifs bricolés, et des bombes antichar si rudimentaires qu’elles tuaient le soldat qui les lançait”, se souvient le général Vu Quang Dao, historien militaire.

La victoire de Diên Biên Phù, “ce fut une victoire de l’obstination”, explique-t-il à l’AFP à Hanoï, à quelques jours du 60e anniversaire de la célèbre défaite de l’armée française face aux combattants du Viêt-minh, le 7 mai 1954.

Le Vietnam est aujourd’hui un des pays d’Asie du Sud-Est qui consacre le plus d’argent au développement de son armée, en raison notamment d’un conflit territorial avec Pékin en mer de Chine méridionale.

“Leur acquisition de systèmes militaires modernes s’accélère à un degré phénoménal”, commente Jon Grevatt, spécialiste de l’industrie de la défense en Asie-Pacifique pour la société d’analyse IHS Jane’s.

“Il s’agit de sécuriser son territoire” et ses intérêts en mer de Chine méridionale, notamment des gisements gaziers et pétroliers off-shore, explique-t-il.

En acquérant ainsi de l’équipement militaire, notamment russe, et en multipliant les partenariats stratégiques, de l’Allemagne à la Corée du Sud, l’armée vietnamienne est en train de “se professionnaliser”, estime M. Grevatt.

– Budget militaire opaque –

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ée vietnamienne (Photo : Hoang Dinh Nam)

Selon les estimations de IHS Jane’s, le budget militaire destiné à l’achat de matériel est de plus de 910 millions d’euros pour 2014. Mais en raison de l’opacité du secteur, il pourrait être bien plus élevé.

Ces trente dernières années, l’armée vietnamienne a par ailleurs investi le monde des affaires, avec un réseau d’entreprises au poids considérable.

L’armée a toujours été “une force politique cruciale au Vietnam”, mais avec les réformes économiques lancées à la fin des années 1980, “les militaires ont commencé à jouer un rôle actif dans l’économie de marché”, confirme le professeur Jonathan London, de la City University de Hong Kong.

L’institution en tant que telle et les individus la composant ont ainsi “pu tirer profit d’un accès privilégié à des terrains, à des capitaux”, outre une position privilégiée pour remporter des marchés, explique-t-il.

L’armée possède ainsi des hôtels, des golfs, des chaînes de télévision, des journaux, et même l’un des fleurons des télécommunications, Viettel, désormais implanté à l’étranger, du Cambodge voisin à Haïti.

Au fil des décennies de combats au Vietnam, les militaires se sont retrouvés avec des vastes terrains, utilisés de façon souvent controversée.

La construction d’un golf sur un terrain militaire près de l’aéroport d’Ho Chi Minh-ville, l’ancienne Saïgon, est ainsi contestée.

“Est-ce qu’il est construit pour les magnats des affaires et des officiels corrompus? Les citoyens de base ne peuvent pas se permettre de jouer au golf”, critiquait ainsi un résident, Huynh Dang, dans le journal officiel Thanh Nien.

Sa diversification économique rapporte à l’armée des centaines de millions de dollars chaque année, estime Carl Thayer, de l’université australienne de New South Wales.

Et ces entreprises, qui emploient de nombreux anciens combattants et des proches de militaires, sont un puissant lobby, dans ce pays à parti unique où l’influence de l’armée reste grande.

Même si les achats de matériel augmentent, la taille de l’armée se réduit, passant de 1,2 million d’hommes à la fin des années 1980 à moins de 600.000 aujourd’hui, pour un pays de 90 millions d’habitants. A cela s’ajoutent cinq millions de réservistes, souligne M. Thayer.

Face à son imposant voisin chinois, le Vietnam se retrouve aujourd’hui dans une situation comparable à celle de la guerre contre l’armée coloniale française dans les années 1950, tel “David contre Goliath”, ose M. Thayer.

“Goliath est là, qui construit des boucliers et de plus grands bateaux. Mais les Vietnamiens ont beaucoup de bons lance-pierre”, assure-t-il.