Tunisie : Pourquoi le patronat réclame l’abandon du nouveau code d’investissement (2/2)

La montagne a-t-elle accouché d’une souris? Apparemment c’est le cas en ce qui concerne le nouveau projet de code d’investissement. Du moins à en juger d’après les réactions de la plupart des acteurs économiques et plus particulièrement des organisations patronales qui trouvent à ce texte beaucoup plus de défauts que de qualité. Et préfèrent, de loin, le maintien du texte toujours en vigueur. En attendant qu’un nouveau code, plus en phase avec les défis auxquels le pays est confronté, puisse être élaboré.

controle-fiscal-01.jpgL’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) estime que le fait de vouloir, dans le nouveau code, soumettre les sociétés exportatrices implantées en dehors des zones de développement régional à l’impôt sur le bénéfice au taux de 10% dès leur première année d’activité est «dangereux», en raison des troubles que connaît encore notre pays et de la baisse conséquente de son attractivité.

La centrale patronale propose plutôt, comme cela se fait au Maroc, de faire bénéficier ces sociétés d’une exonération de l’impôt sur les bénéfices pendant cinq années et de les imposer au taux de 10% à partir de la sixième. Et de revoir, éventuellement, ce dispositif, une fois que la situation sera devenue normale dans le pays.

Mais d’une façon générale, peu importe, selon Walid Bel Hadj Amor, pour l’investisseur «de payer plus ou moins d’impôts. Car il a surtout besoin d’un bon climat d’investissement. C’est-à-dire d’une administration qui le prend en charge, d’un cadre juridique protecteur, de compétences de qualité, etc.». Or, «quand on va dans un pays concurrent et qu’on compare ses zones d’activités avec nos zones industrielles, on réalise qu’on est loin du compte en termes d’infrastructures, de qualité de vie».

De même, les différents problèmes –et ils sont nombreux- auxquels un investisseur est confronté, il faut de deux à trois ans pour qu’un projet puisse voir le jour. «C’est inacceptable sur le plan international», estime Walid Bel Hadj Amor.

Le dg-a de Comete Engineering est convaincu que «si on pouvait s’aligner dans ces domaines sur nos concurrents, on n’aurait plus besoin d’accorder des avantages (fiscaux et autres). Car les gens se bousculeraient pour venir chez nous. Au lieu de donner des primes pour compenser les insuffisances, investissons pour régler ces insuffisances», recommande notre interlocuteur.

Le nouveau code d’investissement pêche de même par sa dimension institutionnelle. Parce qu’on leur a fait prendre conscience que l’investisseur affronte, entre l’APII et les autres structures octroyant les différentes autorisations et agréments, un véritable parcours du combattant, les pouvoirs publics ont décidé de créer une Instance nationale de l’investissement (INI). L’idée paraît a priori judicieuse et pertinente. Mais Walid Bel Hadj Amor s’interroge sur la manière dont elle pourrait être mise en œuvre et sur ses implications. «On nous dit que l’INI va coordonner l’action des différents intervenants. Mais on ne sait pas comment elle va fonctionner, quelles relations elle va entretenir avec les autres intervenants (APII, FIPA, Cepex, ANME, etc.) et comment les prérogatives vont être réparties entre eux», s’inquiète notre interlocuteur.

Le nouveau code prévoit le rattachement de l’INI «au ministère en charge de l’investissement». Mais «quel est ce ministère?», s’interroge le dg-a de Comete Engineering. Qui répond aussitôt: «On n’en a pas. En Tunisie, l’investissement est l’affaire de tous, donc de personne», regrette cet expert. Qui a en tête l’exemple d’un pays qui a trouvé la bonne méthode pour «faire de l’investissement une cause nationale» et bien défendue de surcroît: le Sénégal.

Dans ce pays, on a créé une Agence de promotion de l’investissement et de l’exportation (APEX) dont le PDG a rang de ministre –d’ailleurs le dernier titulaire de ce poste vient de faire son entrée au gouvernement en tant que ministre de l’Investissement et du Partenariat, et va de ce fait chapeauter l’APEX. «Ce faisant, le Sénégal envoie un signal clair et net à l’extérieur», souligne Walid Bel Hadj Amor.

A l’UTICA, on regrette l’absence de progrès significatifs sur un dossier important: la libéralisation de certaines activités. Et on souligne les conséquences négatives –la consolidation du monopole d’entreprises en activité- du maintien de l’autorisation pour des secteurs comme la viticulture et la brasserie.

D’ailleurs, une avancée décisive dans ce domaine ne semble pas pour demain. Puisque «chaque ministère étant jaloux de son domaine et ne voulant pas de ce fait annuler certaines des autorisations qu’il octroie, il a été décidé que chaque département arrête lui-même sa propre liste de secteurs à libéraliser», indique Maher Fkih, directeur central à l’UTICA, en charge du département économique. Une attitude qui est loin de faciliter le règlement des problèmes du pays.

Un constat que partage Walid Bel Hadj Amor qui estime que notre pays est confronté aujourd’hui «à un problème de reeingeneering des pouvoirs publics. Nous avons une organisation datant de Bourguiba, alors que les défis et les problèmes auxquels la Tunisie est confrontée ont changé». Le président du CTVIE se demande en conséquence «quand est-ce qu’on aura une autorité politique dotée de suffisamment de force et de courage pour dire qu’on ne peut plus continuer à travailler de la même manière».

——————–