Reportage : En attendant le rush du 31 décembre

 

31-12-2013.jpg
Tunis, comme le reste des villes du pays, a pris quelques couleurs en ces derniers jours de 2013. D’ailleurs, les gens n’ont la tête qu’au réveillon. Visite guidée dans quelques lieux de la ville.

Mercredi 25 décembre 2013. Rue Jamal Abdelnasser. Tunis. Il est 15 heures 30. Ameur est là depuis 10 heures du matin. Il a planté une planche en contreplaqué sur un grand carton de fortune sur laquelle il a placé quelques gros sifflets, masques et chapeaux en carton. Il y en a de tous les goûts: des masques représentant des lions, des tigres, des loups, un vulgaire clown et même Zorro et un indien d’Amérique. Les chapeaux sont pour l’essentiel verts et rouges.

Ameur est bavard. La vingtaine, jean et vieux pardessus beige, il est originaire de Jendouba. Il répond aux questions que vous posez et celles auxquelles vous n’avez jamais pensé. A commencer par son nom. Pourquoi porte-t-il le nom d’Ameur? Parce que sa mère, après avoir tout tenté, est partie visiter le mausolée de Sidi Ameur dans le Sahel tunisien. Et à peine est-elle arrivée à Jendouba que le médecin lui apprend qu’elle est enceinte. «Elle m’a appelé “Ameur“ tout simplement», déclare-t-il.

Voilà qui nous éloigne de notre sujet. Mais Ameur insiste pour raconter cette histoire. Qu’en est-il de son commerce? «On s’adapte», affirme-t-il. Dans quelques jours, c’est le réveillon du 31 décembre 2013 et il y a de l’argent à gagner avec ces «babioles». «Je les ai troquées contre quelques écharpes que je vendais il y a moins d’une semaine», précise-t-il. D’ailleurs, il en a vendu «un bon paquet» depuis ce matin. «Et puis, c’est les vacances scolaires et des écoliers viennent pour acheter masques et chapeaux», raconte Ameur.

Des restaurants ont ajouté quelques morceaux de coton jaune et blanc à leur couleur

Toujours dans le centre-ville de Tunis, à la rue d’Allemagne, on fait la connaissance de Samir, élève dans un collège d’Al Ouardia, à l’entrée sud de la capitale. Il est venu, tout sourire, prêter main forte à Khelifa, son oncle, qui a placé son gros carton pratiquement au milieu de la chaussée. Il vend des ballons gonflables. Il tient à la main une trombe qui l’aide à gonfler ses ballons. Bleue, blanc, rouge, marron, gris… tous les ballons sont ensuite façonnés pour ressembler à un oiseau, à un chien ou encore à un serpent.

Samir n’est pas dupe. Il sait que ses clients vont fêter le Nouvel an. «Ces ballons, cela va bien amuser la galerie», lance-t-il, du haut de son mètre soixante. «Cela me permet aussi de gagner un peu d’argent. Et puis, c’est mieux que de rester dans le quartier à ne rien faire», ajoute-t-il, en continuant son travail.

A le rue de Marseille, des restaurants ont ajouté quelques morceaux de coton jaune, rouge et blanc à leurs couleurs. Collés à même d’épaisses vitrines, ils chassent le chaland. Tous annoncent une soirée spectacle à l’occasion de la Saint-Sylvestre ou du «réveillon de la nouvelle année administrative, comme on a coutume de dire», suggère Ali, la cinquantaine bien entamée, engoncé dans un cache-col noir, qui s’attarde devant une affiche d’un restaurant de cette rue piétonne de Tunis. «Moi, je fête le réveillon, mais je reste chez moi à Hammam-Lif. Cela me coûte beaucoup moins cher», déclare-t-il, amusé.

Quelques mètres plus loin, et dans la même rue, en allant vers le quartier du Passage, une grande pâtisserie a savamment décoré sa vitrine avec une variété de gâteaux. Une des employées, la trentaine, tablier blanc, maquillée jusqu’à la lie, prend déjà les commandes. Ici aussi, on s’attend à du mouvement pour le 31 décembre. L’employée vous propose un catalogue et beaucoup de saveurs. «Reste que les clients préfèrent toujours les gâteux au chocolat et aux noisettes», sourit-elle, en conseillant une cliente, une dame d’un certain âge, cheveux noirs, tailleur bleu en laine et écharpe grise en soie.

Il est 16 heures 30 à la rue du Pakistan, dans le quartier de Lafayette. Amor -appelons-le ainsi, car il ne veut pas décliner son identité-, un marchand de fleurs, s’attend à beaucoup de «mouvement» pour le réveillon de la fin de l’année. Bleu de travail, d’épaisses lunettes et moustaches poivre et sel, Amor regrette toutefois le grand froid et le manque de lumière qui ne font pas bon ménage en cette partie de l’année avec la fleuraison de quelques espèces. Du moins d’après ce qu’il dit pour expliquer le «manque de marchandises».

Il a préféré leur accorder un congé pour les 30 et 31 décembre

Changement de décor, il est 11 heures, nous sommes le vendredi 27 décembre 2013, et à la station de péage de Mornag, à l’entrée de l’autoroute, il y a foule. Des agents de la Garde nationale orientent les automobilistes vers les couloirs les moins encombrés. Mounir est de ceux-ci. Il a pris un congé pour le lundi 30 et le mardi 31 décembre pour pouvoir bénéficier d’un long séjour dans un hôtel de Hammamet. Il est accompagné de son épouse, Rafika, et de son bébé, Meriem, à peine sept mois.

Cela fait plus qu’un an qu’il n’a pas pris un jour de repos. Travaillant à son compte –il gère une petite entreprise de matériel informatique-, il a dû s’imposer un «rythme de travail» pour pouvoir, par ces temps difficiles, «maintenir son commerce en vie». Et lorsqu’on l’interroge sur ses employés, il vous répond de go qu’il a préféré leur accorder un congé pour les 30 et 31 décembre. «De toute façon, vu l’état de la productivité dans le pays, cela était bien préférable», tonne-t-il. Avant de préciser: «Ils sont fous les patrons qui font travailler leur personnel le lundi et le mardi prochains. Regardez cette file. Les gens n’ont déjà pas la tête au travail!»