Tunisie – Fracture énergétique : Compensation, une bombe à retardement à désamorcer impérativement

Gouverner n’est pas plaire, mais oser prendre les bonnes décisions au bon moment, quitte à mécontenter certaines âmes chagrines ou choquer les défenseurs des veuves et orphelins incapables d’essuyer leurs larmes, se complaisant dans l’atermoiement, le populisme et les critiques injustifiées et inefficaces.

gaz-electricite-01.jpgGouverner aujourd’hui en Tunisie c’est oublier qu’on est un simple maillon dans la chaîne des transitions, de plus en plus nombreuses, observant une posture attentiste et attendant le gouvernement «durable» et risquant avec lui la déliquescence totale de l’Etat.

Mehdi Jomâa, ministre de l’Industrie, et son secrétaire d’Etat, Nidhal Ouerfelli, l’ont compris. Loin de choisir le populisme et les positions flatteuses et anesthésiantes pour un peuple qui s’est découvert une verve revendicatrice sans pareille, ils n’ont pas hésité à s’attaquer à un chantier de taille, celui de la compensation énergétique.

Une bombe à retardement si l’on ne s’y prépare pas dès aujourd’hui et si l’on n’établit pas une stratégie à court et moyen termes engageant tous les acteurs socioéconomiques dans un processus de remise en cause des modes de subvention et de consommation. Les temps sont à la rationalisation de la consommation énergétique pour réduire un déficit datant de plus d’une décennie et qui risque de s’aggraver d’année en année.

«Je considère que nous avons tous des responsabilités dans l’amélioration de la situation de notre pays aujourd’hui. Lorsque nous sommes décideurs, il faut avoir une vision, prendre les mesures adéquates et s’inscrire dans la continuité», a déclaré Mehdi Jomâa lors d’un déjeuner-débat organisé par son ministère, jeudi 7 novembre, pour discuter de la vision du gouvernement concernant les subventions énergétiques.

La Tunisie a perdu son autosuffisance énergétique

Dans l’exposé qui a suivi l’introduction du ministre, Nidhal Oueffelli a annoncé des chiffres alarmants quant au déficit énergétique en Tunisie. Un déficit qui s’élèverait, à fin 2013, à 2,4 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole). La Tunisie était pourtant excédentaire en 1990 avec 120% de production, autosuffisante en 2000 avec une couverture de 100%, mais déficitaire à partir de 2012 en ne satisfaisant qu’à 80% de ses besoins.

Dans la zone MENA, la Tunisie occupe la 4ème place en termes de part de compensation dans le PIB, soit 14% du budget de l’Etat. Aujourd’hui elle souffre d’un déficit structurel de la balance énergétique. Les raisons en sont, entre autres, la compensation. Elle arrive actuellement à couvrir seulement 50% de ses besoins en pétrole et 53% en gaz naturel. Ceci a été aggravé par le fait que l’Europe s’est orientée vers l’importation du charbon des Etats-Unis et a baissé sa demande en gaz naturel.

Conséquence: la redevance appliquée sur le Gazoduc qui transporte le gaz algérien vers l’Italie a baissé de près de 40%, en 2013. La Tunisie, qui pensait posséder des gisements riches en gaz naturel, s’est tout d’un coup rendu compte qu’elle est dépendante de son principal fournisseur, l’Algérie; sa sécurité énergétique en prend un sérieux coup.

La contrebande des hydrocarbures…

Le gaz de schiste n’étant plus à l’ordre du jour, bien qu’aucune étude approfondie n’ait été effectuée pour s’assurer s’il existe des gisements réels ou pas en Tunisie, le pays risque un déficit énergétique de plus en plus sérieux s’il n’entame pas au plus tôt les réformes nécessaires. Et ce n’est pas la contrebande des hydrocarbures qui résoudrait ce mal, comme l’a insinué prudemment Oussema Ben Salem, DG de Zitouna TV: «malgré leurs inconvénients, les circuits parallèles de distribution des hydrocarbures ont des avantages car ils permettent aux PME/PMI et classes modestes de s’approvisionner» (sic).

Soit dit en passant, ces circuits parallèles financent également le terrorisme et la création de nouveaux médias servant à blanchir de l’argent sale… Mais le thème du jour est l’énergie !

La seule bouée de sauvetage à laquelle doit recourir le pays aujourd’hui est la rationalisation de la consommation énergétique, répètent à longueur d’années les décideurs et les observateurs avisés. Non sans négocier avec les plus grands consommateurs, à commencer par les usagers de la haute tension comme les cimenteries. «Nous n’avons pris aucune décision sans en discuter avec les concernés qui se sont montrés très compréhensifs», a assuré le ministre de l’Industrie.

Ainsi, la suppression des subventions sur les cimenteries se fera en deux temps; pour ce qui est des autres industries, elle se fera par des augmentations, ensuite par des résorptions. A titre d’exemple, le bâtiment, les industries agroalimentaires (sucreries), le transport et l’usage domestique.

Une politique plus restrictive…

Précisons à ce propos que les grands consommateurs bénéficient de 269 millions de dinars de subventions de l’Etat – l’énergie représente les 2/3 du coût de production.

Pour l’usage domestique, la consommation maximale des classes moyennes ne dépasserait pas, s’il n’y avait pas d’abus, les 300 kilowatts. Le seuil de tolérance est quand même de 500 kilowatts auquel cas les consommateurs devraient s’acquitter du prix réel de l’électricité.

La réduction de la fracture énergétique doit forcément passer par une politique plus restrictive en matière de consommation. Ainsi, il n’est pas normal que les classes pauvres et moyennes payent le surplus de consommation énergétique, des piscines chauffées, des éclairages des parcs des grandes villas ou encore l’essence ou le gasoil des gros cylindrés. Lorsqu’on on a les moyens de se payer une Hummer, une Jaguar ou une Porsche, il faut en avoir pour remplir les réservoirs.

Et c’est dans ce sens que compte aller le ministère en réfléchissant à des mécanismes pratiques pour préserver le pouvoir d’achat des classes moyennes, soit les familles qui possèdent des véhicules qui ne dépassent pas les 5 chevaux et inciter les autres à payer de leurs propres deniers le manque à gagner.

Pas de révision des prix du gaz et de l’électricité…

Pour précision, la révision des prix de gaz et de l’électricité ne sont pas encore à l’ordre du jour.

L’Etat, c’est-à-dire les contribuables, paye 70% de subvention en électricité et 170% en gaz naturel; c’est beaucoup et c’est surtout inéquitable, ce qui exigerait une remise en cause profonde de la gestion actuelle des ressources énergétiques.

Cependant, Mehdi Jomâa se veut rassurant: «Nous allons aider tout le monde pour s’en sortir. Nous sommes en train de mettre en place un cadre juridique pour que les entreprises productrices d’énergies alternatives vendent à la STEG à un prix qui permet l’amortissement des frais. Mieux encore, nous sommes sur la création d’un fonds de transition énergétique alimenté par le budget de l’Etat pour aider les entreprises à se munir des énergies renouvelables, ce qui permettra un mix énergétique qui allègera le poids de la consommation des énergies conventionnelles. Notre objectif est de contracter les prix et de bonifier les intérêts».

Le ministre de l’Industrie ainsi que son staff ont réfléchi la politique énergétique non pas à court terme mais à moyen et long termes. Les décisions audacieuses qu’ils ont prises prouvent que lorsqu’on ne fait pas dans le populisme, on ose dans l’intérêt du pays.

Emile de Girardin disait: «L’art de gouverner, c’est l’art d’accroître le bien-être et la moralité d’un peuple», ce à quoi on pourrait répondre par la voix de Henry Becque: «La décision est souvent l’art d’être cruel à temps».