Compétitivité économique : La Tunisie est aujourd’hui notée au même niveau que le Bénin ou encore la Grèce en faillite

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«Personne ne peut aujourd’hui prétendre que la Tunisie a réussi à faire plus de 1% de croissance. Tout autre chiffre ne peut refléter la vérité. Et pour créer de l’emploi, il faut un minimum de 2 à 3% de croissance. Il est grand temps de remettre en question la politique économique du pays et essayer par tous les moyens à notre disposition de reconstruire la confiance des investisseurs domestiques et étrangers». C’est ce qu’assure Ezzeddine Saïdane, directeur général de Directway Consulting et expert économique et financier.

L’économie tunisienne s’enlise de jour en jour dans des difficultés sans fin alors que la crise politique que traverse le pays s’amplifie sans qu’une lueur de consensus n’apparaisse des discussions entre la Troïka et l’opposition, chapeautées par les organisations nationales (UGTT, UTICA, Conseil de l’ordre des avocats et LTDH).

Houcine Abbassi, secrétaire général de la centrale syndicale des travailleurs, parle de 4 vérités douloureuses pas bonnes à savoir pour le peuple mais qu’il divulguera quand même si les différentes parties prenantes n’assument pas leurs responsabilités et n’arrivent pas à un accord définitif pour sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se débat.

«La persistance de la crise politique entraînerait très probablement un effondrement économique», avertit Ezzeddine Saïdane. Une condamnation que la Tunisie, euphorique à la veille du 14 janvier et optimiste quant à un avenir «démocratique» prédisposant à de grandes «performances économiques», ne mérite certainement pas!

Les débats politiques houleux, qui rappellent les querelles byzantines et n’aboutissent sur rien, bloquent l’investissement, le processus économique, le sauvetage de l’économie, et portent atteinte à la crédibilité de la Tunisie à l’international. «La meilleure preuve à cela est la notation à laquelle est arrivé notre pays aujourd’hui. Une notation qui ferme totalement les portes du marché financier international devant nous. Or, les besoins de la Tunisie en financements sont immenses et plus pressants que jamais. Il suffit de rappeler à ce propos ce qui se passe au niveau du budget de l’Etat».

Ezzeddine Saïdane fait allusion au dérapage des frais de fonctionnement de l’Etat, qui ont augmenté de 3 milliards de dinars, ainsi qu’à la déficience des revenus par rapport à ceux prévus de l’ordre de 2 milliards de dinars. «Le gap est de 5 milliards de dinars qu’il faut absolument couvrir». Puis il ajoute: «Je voudrais rappeler à ce propos que le budget total de l’Etat est, lui, de 27 milliards de dinars. Conséquence: si nous ne trouvons pas de solutions pour couvrir au moins le manque à gagner pour l’Etat, nous allons éditer des chiffres impubliables, soit un déficit budgétaire de plus de 10%, ce qui achèvera définitivement la crédibilité de notre pays à l’international».

La Tunisie, rappelle M. Saïdane, est aujourd’hui notée au même niveau que le Bénin, le Burkina Faso, le Honduras ou encore la Grèce -qui a déclaré sa faillite et a été acculée à suivre une politique d’austérité qui a mené à diminuer les salaires des fonctionnaires et ouvriers de 40%. Des pays comme la Zambie, le Sénégal et l’Ouganda sont aujourd’hui mieux placés que la Tunisie.

«Sur le plan financier, les solutions sont pratiquement absentes, ce qui explique qu’une délégation gouvernementale est partie en Europe pour demander l’assistance. Pour précision, ce sont des dons que les Tunisiens sollicitaient et pas des crédits».

La Tunisie est, reconnaissons-le, entrée dans la phase mendicité. Et au lieu de se remettre en cause et de réformer les politiques économiques qu’il a entreprises jusqu’ici, le gouvernement en veut au monde entier, à commencer par les agences de notation qui seraient «mal orientées», aux partis d’opposition, aux médias, bref à tous ceux qui osent émettre des critiques, au prétexte qu’ils ne sont pas neutres et ont des partis pris…

Une politique d’austérité pour sauver le pays

Le drame aujourd’hui, dans un pays comme la Tunisie, serait que les difficultés économiques se transforment en une crise sociale. Que les pauvres s’attaquent aux moins pauvres, que les habitants des régions délaissées migrent vers les grandes villes et envient à leurs compatriotes leurs niveaux de vie. Résultat, nous souffrirons non seulement d’une lutte de classes mais aussi d’une lutte entre provinces et villes… après les divisions suscitées et surfaites de musulmans et mécréants laïcs.

«Nous avons tellement fait de mal aux fondamentaux de l’économie nationale que, pour les années à venir, il va falloir passer à une politique d’austérité, et ce dès fin 2013. Cela se traduit sur le terrain par une réduction drastique des dépenses de l’Etat. Ce qui ne peut qu’approfondir la crise économique. Car elle se limiterait à réparer les dégâts causés à l’économie et non à la redresser».

C’est donc le peuple qui trinquera pendant deux à trois années d’une inflation qui continuera sa montée sans ajustement des salaires, ce que propose aujourd’hui le gouvernement à l’UGTT en lui disant «reportons les négociations sociales pour après 2014». Le peuple perdra 10% de plus de son pouvoir d’achat en 2014 sans compensation salariale. On s’attaquera également dans le cadre de la politique d’austérité à la compensation et au recrutement, donc plus de chômage dans un pays qui a fait son insurrection à cause du chômage.

Le problème de l’économie tunisienne est, également, l’absence de confiance de la part des opérateurs privés nationaux et internationaux, ce à quoi les décideurs doivent parer au plus vite. Mais il va falloir, estime, Ezzeddine Saïdane, lancer un ensemble de réformes qui seraient douloureuses, telles celles du système financier et bancaire, fiscal et des secteurs qui souffrent énormément de la situation actuelle comme ceux de l’éducation, de l’enseignement et de la santé. Des réformes qui n’ont pas été engagées, ce qui a pour conséquences la régression de tous les indicateurs socioéconomiques tunisiens.

La Tunisie sujette à des évaluations et appréciations internationales

«Il est évident qu’une économie ouverte comme celle de la Tunisie, dont les échanges avec l’extérieur s’élèvent à 80%, est sujette aux évaluations et aux appréciations des organismes internationaux, des institutions financières qui nous ont prêté de l’argent, des investisseurs qui ont parié sur nous, de nos partenaires étrangers, de ceux qui font du commerce dans les deux sens, import et export, ou encore ceux qui ont des intentions d’investir et d’opérer sur le site Tunisie».

L’évaluation de la Tunisie se fait de plusieurs manières, par les agences de notation mais également à travers «Doing Business» qui opère de manière plus spécifique et évalue le domaine des affaires. Le but est de dire à l’investisseur potentiel: «Si vous allez investir, voyez à quoi vous devez vous attendre». Et là encore, déplore M. Saïdane, la Tunisie recule sur pratiquement tous les critères qui peuvent faire d’elle un site attractif pour les investisseurs étrangers.

Mais l’évaluation ne s’arrêtera pas à Doing Business qui a marqué le recul de la Tunisie de 5 places. … «L’année dernière, la Tunisie a été prétendument épargnée car non classable. Pour ceux qui veulent se voiler la face, non classable veut dire également non fréquentable. Et je préfère de loin que nous soyons mal classés que d’être non classés».

Le plus dramatique pour nous aujourd’hui est que, alors qu’il y a une unanimité pour ce qui est de la situation préoccupante de la Tunisie entre pratiquement tous les organismes internationaux, les décideurs politiques n’arrêtent pas de négocier de manière stérile sur une possible sortie de crise. En fait, ils ne négocient pas pour sauver le pays. Il y en a qui renient leurs incompétences dans la gestion des affaires du pays, qui négocient pour avoir l’immunité, sauver leurs têtes, jouir d’une impunité qu’ils ont refusée à leurs prédécesseurs, et d’autres qui négocient les meilleures places dans un nouveau gouvernement qui reste jusque-là hypothétique.

Le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême, disait Henry Kissinger, ancien secrétaire d’Etat américain (Affaires étrangères), mais également tout pouvoir qui ne reconnaît pas ses erreurs est fragile, vulnérable et risque de s’autodétruire lui-même parce qu’obtus.

Avis aux avertis !.