Régime fiscal tunisien : «Complexe, injuste, opaque, non rentable et peu attractif»

 

forum-fiscalite-iace-2013.jpgLe constat est dur pour le régime fiscal tunisien. Il a été au centre des débats d’un «Forum de la fiscalité» initié par l’IACE, le 29 mai 2013, à Sfax. Des débats qui n’ont pas concerné que le constat. On a eu droit à des propositions pour une sortie de crise. A l’heure de la transition démocratique.

«S’il est admis que la fiscalité est l’art de plumer la volaille sans la faire trop crier, force est de constater que cette dernière hurle aujourd’hui», assure Zohra Driss, vice-présidente de l’IACE (Institut arabe des chefs d’entreprise). Pour cette gérante d’hôtels dans la région de Sousse, la fiscalité fait bien mal avec la pression qu’elle exerce sur les établissements hôteliers. Son taux atteint quelquefois 30% du chiffre d’affaires, souligne-t-elle, à l’occasion du «Forum de la fiscalité», organisé par l’IACE le 29 mai 2013, à Sfax.

Bien plus, pense Fayçal Derbel, président de FINOR, une société d’expertise-comptable tunisienne, qui précise qu’au taux auquel est négocié le dinar et avec la baisse des prix pratiquées par les hôtels, on peut facilement atteindre plus que du 30%. Zohra Driss donnera un exemple de cette pression fiscale: le droit de consommation dans les hôtels atteint concernant les boissons alcoolisées…683%. Imaginez qu’un client qui paye sa pension complète à 25 dinars, débourse 38 dinars pour un verre de Whisky!

Cette pression fiscale ne concerne-telle que les hôteliers dont le cas a été exposé par Zohra Driss? La réponse est non, selon James  Wooster, expert de l’USAID, l’agence américaine de développement, qui assure que la Tunisie est championne des taux d’imposition élevés. Deux exemples parmi d’autres: la TVA tunisienne est de 18% alors que la moyenne mondiale est de 15,7% et l’imposition des salaires atteint jusqu’à 35% alors que la moyenne mondiale est de 29%.

«Une administration classique autoritaire»

De toute manière, ce sont les salariés et les entreprises organisées qui sont, pour rester au rayon de la volaille, les dindons de la farce. Président de l’IACE, Ahmed Bouzguenda a relevé, dans son allocution d’ouverture, que «sur les 664.248 contribuables, 83% sont des personnes physiques et sur les 17% restant, soit 109.000 personnes morales, les 1.600 considérées comme les plus importantes et transparentes, contribuent à raison de 40% des recettes des entreprises».

Autant dire qu’il ne faut pas s’étonner du fait que l’on ait présenté le système fiscal tunisien dans de nombreuses interventions comme «complexe, injuste, opaque, non rentable et peu attractif».

Zohra Driss dira aussi qu’il est également caractérisée par «une administration classique autoritaire» et «des modifications permanentes (une loi tous les 6 mois depuis la révolution)».

Beaucoup d’intervenants feront remarquer, par ailleurs, que cette situation existe bien alors que beaucoup de personnes morales échappent à l’impôt et que le régime forfaitaire ne contribue qu’à raison de 0,21% dans les recettes fiscales.

La fraude fiscale existe-t-elle bel et bien en Tunisie? Pour Fayez Choyakh, expert-comptable et membre de l’OECT (Ordre des experts-comptables tunisiens), il n’existe pas d’indicateurs capables de le mesurer. Reste que des  indices permettent de le vérifier. Parmi eux: 40% seulement des opérateurs déposent leur déclaration d’impôt dans les délais.

Parmi ceux qui passent parmi les mailles du filet, le secteur informel qui est en train de supplanter le secteur informel. La limitation du champ de l’informel est d’ailleurs parue comme une recommandation évidente aux participants du Forum de l’IACE.

Il en est de même de la limitation du régime forfaitaire qui cause tant de torts au système fiscal.

Un véhicule pour seize contrôleurs

Comment en sommes nous arrivés là? Pour tous les intervenants qui se sont succédé à la tribune, à Sfax, la situation est des plus complexes. Il y a les insuffisances au niveau de l’administration des impôts qui n’a pas pour ainsi dire la politique de ses moyens. Fayez Choyakh a précisé que celle-ci ne dispose que de 1.650 agents, que d’un véhicule pour seize agents et que d’un ordinateur pour trois agents.

Il y a également des pratiques: les recouvrements ne se font qu’à hauteur de 12%, «ce qui encourage les fraudeurs», et 50% des taxations se font aujourd’hui après réception des demandes de restitution. «Autant dire que l’on saute d’abord que sur ceux qui se déclarent et sont réglos», regrette un intervenant dans les débats.

Mais, il y a aussi les textes juridiques. «Ils sont complexes. Ils comportent beaucoup d’imprécisions et de lacunes», lance Fayez Choyakh. Qui souligne que cette réalité ouvre la voie à la fraude, aux divergences et aux contentieux. Et l’orateur de demander à réécrire les textes qui gèrent et encadrent l’activité fiscale. «Il faut aussi entreprendre des démarches comme l’analyse systématique d’impact de la législation, abandonner les impôts à faible rendement comme ce droit de visite de deux dinars et préparer un code unique», suggère Fayez Choyakh.

Professeur de droit à l’université de Sfax, Néji Baccouche, est venu avec deux propositions dans une intervention très documentée et d’actualité sur la fiscalité dans les périodes de transition: sécuriser et motiver.

Sécuriser car «il appartiendra à la législation, dans un contexte de transition, de rompre immédiatement avec le pouvoir discrétionnaire du fisc pour rassurer le contribuable. Qu’on le veuille ou non, l’image du fisc est ternie par des pratiques dont l’ampleur n’est pas négligeable et qui sont, soit le fait d’un vérificateur (la petite corruption), soit du pouvoir politique (népotisme et grosse corruption). Naturellement, ces pratiques se font au détriment du Trésor et de l’intérêt général».

Motiver, ensuite, dans la mesure où «le pays a un besoin vital de redynamiser l’activité économique dans cette phase de transition pour pouvoir répondre au besoin de développement et encourager la création des emplois. Il pèse sur l’Etat, comme sur les autres acteurs, le devoir de contribuer à la réactivation de la croissance seul vecteur de développement réel et durable».

L’affaire est en effet de taille, ont insisté nombre d’intervenants, qui ont mis en évidence le rôle de la fiscalité pour assurer à l’Etat les moyens de donner un coup d’accélérateur au développement. Des refontes sont à prévoir si l’on veut que cesse la «rupture entre citoyen et fiscalité», selon les termes de Youssef Kortobi, président-directeur général d’AFC (Arab Financial Consultant), une société d’intermédiation financière.

Néji Baccouche citera pour sa part une phrase du sociologue tunisien Ibnou Khaldoun (1332-1407) qui souligne que lorsque le goût et la  motivation pour produire sont perdus, cela annonce la fin de l’Etat.