Comment révolutionner le tourisme tunisien (1/3) : Les erreurs du passé

livre-revolution-tourisme-tunisien.jpgMounir Sahli est un vieux routier du tourisme tunisien qu’il fréquente assidument depuis au moins 1990. Il vient de publier un livre dans lequel il revient sur la crise de ce secteur et trace des voies pour mieux en faire un fleuron de notre économie.

Richement documenté, «Révolutionner le tourisme tunisien» vaut bien le détour*.

Révolution du 14 janvier oblige, Mounir Sahli a choisi pour son livre un titre on ne peut plus d’actualité: «Révolutionner le tourisme tunisien». Une tâche qui semble des plus ardues lorsqu’on découvre les 206 pages d’un livre écrit d’un seul trait fortement documenté; le livre comporte pas moins de 40 annexes, et l’auteur a consulté une longue liste de documents.

Un travail colossal réalisé par ce cadre supérieur de l’Etat, ancien de la Faculté de droit de Tunis, de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration) et de l’Université de Paris V, qui s’est consacré à partir de 1990 à la promotion hôtelière.

Afif Kchok, directeur d’un magazine touristique et promoteur hôtelier, affirme dans la préface du livre que Mounir Sahli a réalisé «une étude et une analyse très pertinente» du secteur touristique qui a «besoin d’une révolution pour redorer son blason».

Avançant avec méthode, l’auteur entreprend, d’abord, de planter le décor: il fait le tour des défaillances et des égarements passés pour mieux éclairer le présent et présenter sa batterie de solutions et de recommandations pour sortir de la crise que connaît le secteur touristique en Tunisie.

Mais pourquoi le secteur touristique est aujourd’hui en crise? Pour Mounir Sahli, la situation actuelle du secteur est le fait de nombreuses erreurs commises aussi bien par les professionnels que par l’administration.

Un pic de 450 millions de dinars en 1995

Quatre erreurs lui semblent essentielles. La première d’entre elles, c’est l’intensification des investissements. Une sorte de fuite en avant irréfléchie qui va se révéler comme toutes les autres, selon Mounir Sahli, désastreuse.

Beaucoup de facteurs vont militer en faveur de cette situation dans les années 90 : existence de liquidités, disponibilité de terrains, convertibilité courante du dinar, importance des recettes en devises provenant du tourisme et encouragements fiscaux et financiers. Un pic est atteint en 1995 avec 450 millions de dinars.

Des investissements qui sont pour l’essentiel le fruit des promoteurs nationaux. Une erreur fatale que les hôteliers tunisiens vont payer cher en matière de commercialisation. Les TO (Tours Opérateurs), ces grossistes du voyage, auront, la crise aidant, à imposer leur politique dans un marché où les enseignes étrangères sont rares.

La deuxième erreur va concerner, dans le même ordre d’idées, l’envolée de l’offre touristique. De quelque 123.000 lits en 1991, la capacité hôtelière va passer à quelque 197.000 en 2000. Une envolée encouragée par ces TO qui affirment haut et fort que la demande sur le marché tunisien est élastique. Ces derniers sont cependant en train de fourbir leurs armes: un encouragement qui cache une stratégie: pouvoir négocier, le moment venu, des prix bas.

Bonjour les touristes est-européens

Parallèlement à cela, les hôtels connaissent une réelle montée en gamme: le nombre de lits de la catégorie des 4 et 5 étoiles est de 26.836 contre 1.334 lits en 3 étoiles 2001 et 2007. Cette montée en gamme est accompagnée d’un autre phénomène: la densification de la capacité hôtelière: les «hôtels-usines» voient le jour; le nombre de lits créés dans des hôtels de plus de 400 lits passe de 81.700 en 1991 à 171.430 (70% de la capacité totale dans le pays) en 2010.

Troisième travers: le pays connaît, suite à la dégradation de l’infrastructure et de la qualité, mais aussi des événements du 11 septembre 2001, de la Guerre du Golfe en 2003 et de l’attaque de la Synagogue de Djerba (avril 2002), une métamorphose de sa clientèle. Un exemple: les Allemands boudent l’île de Djerba où certains de leurs touristes meurent dans l’attentat de cette synagogue; leur nombre passe de 930.000 en 2001 à 613.000 en 2002.

Bonjour les touristes est-européens: leur nombre passe de 204.000 en 2001 à 515.000 en 2010, nous renseigne Mounir Sahli au travers, donc, d’une panoplie de chiffres qui inonde le livre de précisions utiles.

Quatrième paramètre important pour comprendre l’évolution du secteur touristique tunisien: la détérioration des ressources touristiques. Mounir Sahli assure que si l’on tient compte de la dépréciation de l’euro, les recettes touristiques n’ont pas bien bougé entre 2001 et 2010 : 1.828 millions d’euros à 1.857 millions d’euros.

Comparant les recettes touristiques tunisiennes avec celles du Maroc, l’auteur apporte un éclairage certain. La Tunisie a réalisé en 2010 quelque 35 millions de nuitées et des rentrées de l’ordre de 2,6 milliards de dollars (4,1 milliards de dinars), alors que le Maroc, qui n’a réalisé que 18 millions de nuitées, a gagné 6,7 milliards de dollars (10,7 milliards de dinars).

La part des recettes touristiques par rapport à l’ensemble des recettes courantes a connu, entre 2001 et 2010, une réelle chute passant de 5% à 10%. La contribution des recettes touristiques au PIB est passée, pour sa part, de 12% dans les années 1981-1990 à 5% depuis 2000.

Mais de cela à dire que le tourisme doit être abandonné en tant qu’option pour le développement du pays, il n’y a qu’un pas que Mounir Sahli ne franchit pas. Bien au contraire, il estime ce secteur vital. Et insiste pour dire que le Tunisien doit être conscient de l’importance de ce secteur et doit de ce fait être concilié définitivement avec cette activité.

Cela fera l’objet de notre prochain article.