Tunisie – Médias : Nessma change de couleurs mais pas d’esprit, affirme Nabil Karoui

nessma-new-look-2013.jpg«Insaisissable, libre, trendsetter, surprenante, polémique, courageuse et provocatrice», autant de descriptifs qui illustrent la ligne éditoriale de Nessma qui reste maghrébine mais qui évolue vers d’autres concepts plus adaptés aux réalités des terrains dans les pays qu’elle couvre, et s’adapter à l’air du temps.

Rappelez-vous d’ailleurs, le logo de la grande marque Apple, qui est passé d’un Isaac Newton assis sous un arbre sur lequel une pomme chancelait dangereusement à une pomme en arc-en-ciel pour ensuite devenir une pomme à une seule couleur… C’est ainsi, les labels évoluent au gré de l’évolution de la demande et des exigences des marchés.

Nessma veut non seulement suivre une nouvelle ligne éditoriale plus soft, substituant l’OPTIMISME à la POLEMIQUE et la CHALEUR à la PROVOCATION, mais veut également changer de look et de couleurs. Une Nessma “HAMRA” (rouge) pour le contenu tuniso-maghrébin, une Nessma “KHADHRA” (verte) pour le contenu algéro-marocco-maghrébin et une Nessma “ZARKA” (bleue) pour le contenu franco-maghrébin.

L’émission Ness Nessma sera maghrébine, le grand sbitar sera diffusé à l’échelle algéro-marocco-maghrébine et ne touchera pas la France dont la programmation sera un peu plus typique et répondra aux vœux de la diaspora maghrébine.

Le grand sbitar sera diffusé sur Nessma Khadhra et Nessma  Zarka, chaîne destinée à la diaspora maghrébine dont la programmation est spécifique et est un mix des programmes des deux autres chaînes

«Le printemps arabe nous a rappelé qu’autant nous, Maghrébins, nous avons des points communs culturels, historiques, géographiques, et partageons les mêmes enjeux géostratégiques, autant nos soucis socio-économiques sont différents d’un pays à l’autre. Nous ne pouvons pas imposer le même menu à tous nos téléspectateurs, nous voulons les servir à la carte, encourager la découverte les uns des autres, cultiver les similitudes entre nos peuples mais en même temps respecter les différences et surtout répondre aux préoccupations des uns et des autres sans leur imposer des agendas qui ne sont pas forcément les leurs. Nous resterons donc Maghrébins mais nous nous efforcerons de satisfaire nos différents téléspectateurs d’un pays à l’autre. C’est ce qui appelle mûrir. Nous nous déployons suivant plusieurs couleurs mais notre esprit reste le même», explique Nabil Karoui, un des fondateurs de la Chaîne devenue aujourd’hui un bouquet.

Nessma fait un repli stratégique mais pour mieux rebondir. «Non seulement nous avons souffert et nous souffrons toujours d’une concurrence déloyale de la part de chaînes dont je préfère ne pas citer les noms, mais cela se conjugue à une crise économique postrévolutionnaire où les budgets publicitaires ont été revus à la baisse. Le marché publicitaire tunisien était en 2010 de 50 MDT dont 30 MDT allaient à une seule chaîne et le reste partagé entre les autres télévisions. Aujourd’hui le marché publicitaire a été réduit à 20 MDT dont 8 MDT vont à la même chaîne, et le solde au reste. Avant la révolution, l’ATCE ne traitait pas les chaînes privées de télévision de la même manière, elle consacrait presque tout le budget à une seule chaîne privée.

Avant la révolution Le marché publicitaire et l’ATCE allaient plutôt à une seule maison de production proche de la famille du président déchu. Aujourd’hui le marché publicitaire a été réduit à 20 MDT dont 8 MDT vont à la même maison de production.

Les productions exigent des moyens matériels colossaux, Nessma, n’en a plus les moyens aujourd’hui, il a été donc décidé «d’adapter les programmes de la chaîne aux contraintes matérielles».

Pour ce qui est des programmations, la révolution a clairement montré que les soucis des Tunisiens, après le 14 janvier, sont totalement différents de ceux des Algériens. «Les problématiques politiques suscitées tout au long de l’ère postrévolutionnaire sont centralisées sur un seul pays, lequel est entré dans une phase de régionalisme délirant. Alors comment voulez-vous qu’il s’intéresse à ce qui se passe chez ses voisins? Les Tunisiens veulent du Tunisien, les Algériens et les Marocains veulent toujours du Maghrébin. Notre redéploiement stratégique nous permettra de répondre aux attentes de nos téléspectateurs surtout en “prime time“ et en fonction du décalage horaire entre les pays. Nous voulons insuffler un peu plus d’optimisme et de chaleur dans nos différentes grilles. J’ai été le premier à remettre du sport en plein engouement postrévolutionnaire tout comme j’ai remis sur antenne l’émission “Mamnou al Rjel“.  Nous voulons et nous tenons à initier les nouvelles tendances dans le secteur télévisuel».

Nessma fléchit pour mieux avancer, elle ne pliera pas bagages: «C’est vrai, il y a la crise, j’ai renvoyé du personnel mais pour restructurer la chaîne. Je rappelle qu’entre 19h et 21h, nous sommes en haut du pavé de l’audimat en Tunisie. Nous sommes adorés en Algérie, très appréciés au Maroc, et très sollicités en France. Pour ce qui est du mois du Ramadan, il y aura des productions spécifiques et dédiées, il y aura “Nssibti Laaziza 3“, une grille spécifique à l’Algérie, et une autre pour la communauté maghrébine en France.

Tous nos téléspectateurs pourront regarder “Harim Al Soltane“, l’une des productions les plus importantes de la Turquie. Ceci étant, j’aimerais tout juste que nos détracteurs comprennent combien il est important pour la diaspora maghrébine d’avoir un repère identitaire en France. L’absence de Nessma pendant 10 jours du paysage télévisuel français a sérieusement inquiété nos différentes communautés».

Nessma a décidé de devenir une véritable chaîne «d’entertainment». Tous les jours à partir de 21h35, le feuilleton turc “Harim Al Soltane“ sera diffusé sur Nessma toutes couleurs confondues. «Les gens veulent des distractions, une télévision qui leur procure de la détente et les fait échapper à un quotidien qui n’est pas toujours agréable. Ils veulent s’évader des angoisses et des difficultés sociales et économiques. Les annonceurs apprécient tout comme, je l’espère, les téléspectateurs, nous développerons également des émissions de proximité».

Tous les jours à partir de 20h30, le feuilleton turc “Harim Al Soltane“ sera diffusé sur Nessma Hamra ( 20h45) et Nessma Khadhra (20h30).

Reste qu’il ne sera pas facile à une chaîne comme Nessma ou même à d’autres d’évoluer en présence des chaînes pirates qui se déploient de plus en plus en Tunisie ce qui  n’est pas pour rendre le paysage visuel meilleur. Car il s’agit également de gouvernance, et à ce jour, nous ne savons pas comment nombre de chaînes nouvellement mises sur orbite sont financées. Studios, contrats publicitaires, dossiers financiers et le business plans relèvent des secrets des dieux…

Il est grand temps de faire le ménage dans le paysage audiovisuel tunisien.