Tunisie – Gestion de l’Etat : Le remaniement ministériel, de la poudre aux yeux?


tunisie_etat-13042013-l.jpg‘’Yrouh
nhar w yiji nhar wi ennater nater al anar, yrouh Mokhtar et yji Mokhtar wi
essiara moucha am timchi’’ (les jours se suivent, le peuple attend sur du
charbon ardent, un élu part, un autre arrive et la voiture ne redémarre pas). Ce
sont les mots d’une chanson satirique de la diva libanaise Fayrouz, déplorant la
situation désastreuse du Liban après la guerre civile qui a instauré de plus
belle le système communautaire dans le pays et l’a catapulté dans une espèce de
cercle vicieux duquel il n’arrive pas à sortir à ce jour. Cela nous renvoie
étrangement à ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie.

Chez nous, les ministres changent. Pas tous, bien entendu, il y en a qui «ont
tiré leur titre de propriété des postes ministériels de la rue et des prisons
comme l’a clamé à haute voix en pleine avenue Habib Bourguiba la tristement
sinistre de la Femme -pardon la ministre devenue intouchable malgré ses
nombreuses méprises, égarements et mêmes lubies.

On change donc quelques ministres pour donner le change… Les PDG, hauts commis
de l’Etat, directeurs, ceux nommés par les anciens ministres, eux restent… C’est
comme dans un journal, on change de rédacteur en chef mais on garde la ligne
éditoriale.

Les espoirs suscités par le changement des politiques, des choix et des
orientations des quelques ministères objets des dernières modifications se sont
vite évaporés pour laisser place à la désillusion… Les “légitimes” délégitimés
par leurs réalisations sur le terrain restent plus que jamais présents et
légitimes dans leurs départements. Ceux qui sont partis pour occuper d’autres
fonctions n’ont pas à se soucier de quoi que ce soit, car ils ont laissé
derrière eux des fidèles parfaitement programmés pour poursuivre leurs missions
et suivre leurs orientations…

De temps à autres, nous assistons à des cyber-campagnes orchestrées s’attaquant
aux institutions les plus résistantes. Des fois, ce sont les magistrats «qui
seraient tous des corrompus», d’autres, c’est l’appareil sécuritaire qui
n’assurerait pas et très souvent, ce sont les médias qui seraient «mauves, peu
crédibles, menteurs, vindicatifs et j’en passe…».

Il est bien évident que pour changer les têtes, il faut démythifier les actes et
décrédibiliser les acteurs. Ce n’est pas propre à la Tunisie, cela se passe
aussi en Egypte, les autres, c’est l’enfer… remplaçons-les par les nôtres, ce
sont les rédempteurs. C’est comme cela que l’on réussit à avoir la mainmise sur
l’Etat et dominer tous ses mécanismes à commencer par son administration et ses
centres d’influence. En américain, cela s’appelle “empowerment“, en français,
“mettre sous contrôle“ ou “s’emparer des organes de l’Etat“ de la manière la
plus douce et la plus perverse qui soit…

Lotfi Ben Jeddou, nouveau ministre de l’Intérieur, a-t-il commencé à faire le
ménage dans son département? Ou serait-il en train d’achever un plan d’ores et
déjà mis en place par son prédécesseur Ali Larayedh pour mieux maîtriser les
rouages du ministère le plus important du pays? Ses choix sont-ils les plus
judicieux? A-t-il choisi la voie de la neutralité plutôt que celle de
l’allégeance? La rapidité avec laquelle ont été opérées les nouvelles
nominations au sein du ministère pousseraient à la réflexion…Sur quoi s’est-il
basé pour agir? Les CV des nouveaux nommés? Leurs expériences et expertises?
Leurs capacités à gérer les affaires au mieux les affaires du département, leur
loyauté à la Tunisie reconnue et notoire? Le ministre de la Justice en fera-t-il
autant? Aux dernières nouvelles, certains magistrats se sont montrés pessimistes
en arguant que le staff légué par son prédécesseur, Noureddine El Bhiri, est
pratiquement resté le même: «Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge…».

Le ministre de l’Industrie, Mehdi Jomaa, est pour sa part parti à la découverte,
il veut prendre son temps cherchant à découvrir par lui-même la réalité des
choses tant au niveau de son ministère qu’à celui des grands opérateurs
industriels. Mohamed Lamine Chakhari ne lui a pas légué un bel héritage
puisqu’avant son départ, il a accéléré le mouvement des nominations limogeages.

Les établissements publics de la partie…

Les établissements publics les plus importants n’ont pas échappé à la logique de
la nomination des plus fidèles, et l’ex-ministre de l’Industrie n’a pas manqué à
son devoir de sécuriser le périmètre avant de partir.

Le PDG de la
STEG, connu pour sa compétence, a été remplacé par un certain Tahar Laribi sans arguments convaincants. Nombreux sont ceux qui prétendent que le
remplaçant, qui a longtemps vécu entre l’Arabie Saoudite et la Tunisie, ne
serait pas le mieux approprié pour le poste en question.

Un autre PDG a été également largué, Kais Dali, un des rares PDG de la Compagnie
de Phosphates de Gafsa à avoir réussi à se faire adopter et par les différents
personnels et par la population. Qu’est-ce qui expliquerait son limogeage? Nous
sommes à cours d’arguments si ce n’est des raisons qui n’auraient rien à voir
avec l’efficience ou la compétence…

Kais Dali a un background de polytechnicien et une grande expérience de la
gestion du secteur énergétique, ce qui fait de lui l’un des meilleurs experts
dans le domaine des hydrocarbures. Mais qu’à cela ne tienne, M. Chakhari voulait
laisser son empreinte.

Des exemples comme cités plus haut s’élèvent à des centaines comme celui du
remplacement du directeur général de la Coopération Internationale au ministère
de l’Enseignement supérieur réputé pour son sérieux et ses hautes
qualifications.

Quelles justifications apporter à cette hémorragie instrumentalisée des
compétences et des hauts commis de l’Etat si ce n’est celles de remplacer les
qualifications et l’expérience par la loyauté et l’allégeance, quitte à laisser
le pays couler pour mieux le posséder?

PPPartis politiques, représentants de la société civile ainsi que toutes les
personnes agissantes, dans la sphère publique, devraient être plus vigilants
quant à la nomination des hauts commis de l’Etat. Car il y en a qui sont
d’excellente qualité, assez bien formés et imprégnés de la culture de l’intérêt
général. Il leur manquerait toutefois le meilleur des diplômes: celui de faire
partie des fidèles de la Troïka!