Chedly Ayari, gouverneur de la BCT : “La souveraineté de la Tunisie n’est pas négociable…”


chedly_ayari_01042013-l.jpgRassurant
mais tout de même scandalisé Monsieur le gouverneur de la Banque centrale! C’est
ce qui explique qu’il ait tenu une conférence de presse lundi 1er avril pour
éclaircir certains points relatifs à la conjoncture et la souveraineté monétaire
du pays.

«Je voudrais tout d’abord vous rassurer sur l’indépendance de la BCT qui ne doit
être sujette ni aux doutes ni aux surenchères», a-t-il déclaré en affirmant que
la situation du développement économique de la Tunisie n’est pas au beau fixe
mais qu’elle reste gérable, et indiquant que les critiques des médias ou des
experts sont les bienvenues lorsqu’elles se fondent sur des arguments
convaincants et objectifs et précèdent sur des propositions. «Il est scandaleux
et affligeant de titrer un article : “Souveraineté à l’encan“, ce qui revient à
dire que notre pays est mis aux enchères et que notre souveraineté est menacée.
Pareille affirmation est inadmissible». Allusion faite à un article paru sur le
journal La Presse se rapportant à un document confidentiel envoyé à Christine
Lagarde, directrice générale du FMI, à propos des réformes à opérer en Tunisie
pour pouvoir profiter des emprunts du Fonds. «Remettons tout d’abord les
pendules à l’heure. Nous n’avons pas sollicité le FMI, c’est le FMI qui nous a
offert son appui. Son soutien n’est pas soumis à des conditions préalables. Il
va dans le sens des réformes d’ores et déjà engagées par la Tunisie et adoptées
par la Constituante. Ceci dit, il est grand temps pour certaines personnes de
réaliser que les messages de désespoir et de démoralisation qu’elles envoient au
peuple tunisien sont insensés en ces temps où nous avons tous besoin de croire
en l’avenir de notre pays et notre capacité à nous en sortir».

Il y a une différence entre la Tunisie de 1986 et celle d’aujourd’hui, rappelle
M. Ayari. A l’époque, le pays était en rupture de paiement et en situation
d’insolvabilité avec zéro devise et un taux de croissance négatif de 1%. «Nos
avoirs en devises en ce moment même équivalent à 106 jours d’importations. Le
taux de croissance de la Tunisie est de +3%. Le FMI ne peut pas nous imposer un
programme d’ajustement structurel (PAS) qui n’est même plus à l’ordre du jour
dans le contexte mondial actuel. Nous sommes en train de négocier ce qu’on
appelle un accord de précaution, soit la réservation de capitaux auxquels nous
pourrions avoir recours cette année ou en 2014. Mais il n’y a rien de définitif
à ce jour. Nous prendrons les décisions qui servent le plus nos intérêts».

Rappelons que l’accord de confirmation du FMI, appelé aujourd’hui de
“Précaution“, est «la cheville ouvrière des concours financiers du FMI aux pays
émergents et avancés». Ses taux sont non concessionnels, mais négociables et
généralement inférieurs à ceux existants sur les marchés financiers. Cet accord
est aujourd’hui plus adapté aux besoins des pays demandeurs surtout depuis la
crise financière internationale déclenchée en 2008 et dont les conséquences ont
été désastreuses».

Re-réfléchir la compensation

Chedly Ayari a rappelé, à l’occasion, que la Tunisie bénéficie toujours de la
confiance de ses partenaires stratégiques et économiques. Qu’il s’agisse des
Français ou des Américains, «notre pays jouit d’une certaine sympathie ou
empathie».

Il n’empêche que derrière les messages de soutien, il y a des attentes, celles
se rapportant à plus de visibilité politique et plus de stabilité sociale. Une
stabilité sociale qui coûterait très cher au pays rien qu’à voir les effets de
la crise permanente du bassin minier sur le secteur des exportations: «Un manque
à gagner de l’ordre de plusieurs milliards de dinars: le phosphate a plus de
valeur que l’or…».

Le gouverneur a tenu à préciser que les réformes incluses dans le document
«confidentiel» rendu public ne relevaient pas de secrets des dieux et qu’elles
allaient être communiquées dès que décision finale les concernant allait être
prise. «Ceci étant, ces réformes ne sont pas souhaitées que par le FMI, elles le
sont autant par la Banque mondiale, la BAD, nos partenaires européens et autres.
Prenons l’exemple de la compensation. Elle est de 5 milliards de dinars sur un
budget de 26 milliards de dinars, ce qui correspond au Titre II, soit le budget
consacré au développement. Est-ce normal? Comment pouvons-nous continuer dans
cette orientation lorsque nos équilibres économiques sont menacés? Ceci d’autant
plus que pratiquement les ¾ des catégories socioprofessionnelles qui profitent
de la compensation peuvent assurer un certain bien-être sans y recourir. L’une
des réformes engagées par l’Etat et approuvées par la Constituante a été par
conséquent l’augmentation du prix des carburants pour limiter les effets de la
compensation. Il s’agit tout juste de réduire les fonds alloués à la
compensation de 500 millions de dinars, le prix du gaz ne sera pas augmenté tout
comme celui du pétrole 2. 16% du PIB vont à la compensation, c’est un taux
ahurissant. Grands temps de re-réfléchir ses modalités».

Il s’agit également, entre autres réformes, de restructurer le marché financier,
une revendication qui ne date pas d’aujourd’hui et dans laquelle s’est déjà
engagé Mostapha Kamel Ennabli, l’ancien gouverneur de la BCT nommé en janvier
2011. Les représentants du FMI, a tenu à préciser Chedly Ayari, ont négocié avec
les ministères concernés par les réformes un par un. Il a assuré que c’est la
Tunisie qui fixera le calendrier des emprunts, du remboursement ainsi que celui
des taux d’intérêt, et qu’elle ne compte pas subir les conditions du FMI. «La
souveraineté de la Tunisie n’est pas négociable, et nous sommes seuls décideurs
face au FMI».

Ces promesses éviteront-elles dans l’avenir des titres tels «Souveraineté à
l’encan»?