Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA : «Je n’aime pas trop cette distinction entre chefs d’entreprise hommes et femmes»

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Qui aurait cru que Wided Bouchamaoui, élue et plébiscitée à la tête de l’UTICA, aurait réussi aussi brillement sa mission de présidente du patronat? Elle qu’on pensait incapable d’assurer aussi bien que ses prédécesseurs hommes de caractère, charismatiques et expérimentés? Wided Bouchamaoui a pris les rênes de l’UTICA alors qu’on pensait l’organisation vouée à l’effondrement tout comme l’avait été l’ancien régime. Elle a pu doucement et discrètement, grâce à sa ténacité et sa sagesse, rétablir la situation de la centrale patronale et réussi un statut quo avec la centrale ouvrière en mettant en place le “contrat social“ auquel a totalement adhéré le gouvernement Jebali.

Entretien

WMC : Au vu d’une longue tradition d’exploits féminins en Tunisie, pourquoi, d’après vous, les femmes tunisiennes n’occupent pas les devants de la scène politique et rarement les devants de la scène économique? Est-ce par manque de volonté, de compétences?

Wided Bouchamaoui : La femme tunisienne a toujours prouvé ses compétences là où elle a été appelée à assumer des responsabilités de premier plan. Si aujourd’hui elle n’est pas suffisamment présente sur la scène politique et économique du pays, ce n’est pas du tout par manque de compétence, mais je pense par choix personnel et parfois à cause de la soif de la gent masculine du pouvoir. Cela dit, certaines femmes tunisiennes ont brillé par leurs aptitudes et ont réussi à s’imposer, que ce soit dans des partis politiques ou des organisations et associations nationales. J’espère, toutefois, que nous, Tunisiennes, réussirons à changer la donne prochainement.

En tant que présidente de l’UTICA, comment comptez-vous œuvrer en faveur du renforcement du patronat et de la redynamisation du rôle du secteur privé dans le développement économique?

Comme vous le savez, l’économie tunisienne passe par une conjoncture particulière difficile à cause des répercussions de la période transitoire que nous vivons, d’une part, et de la crise économique qui frappe nos principaux partenaires économiques, à savoir l’Union européenne, d’autre part.

Nous estimons que le rôle de l’UTICA, principal représentant du secteur privé tunisien, est d’autant plus important qu’elle doit être partie prenante dans toutes les mesures et décisions relatives aux questions économiques et sociales.

Ainsi, le nouveau gouvernement qui vient d’être installé est appelé à nous consulter et nous faire participer à toutes les décisions visant à assainir le climat social et relancer l’économie nationale dans les plus brefs délais. L’UTICA est avant tout une force de proposition compte tenu de son historique, de ses capacités et de son positionnement dans le tissu économique tunisien.

Aujourd’hui, nous estimons que le premier défi à relever n’est autre que la relance de l’économie tunisienne. Et nous sommes convaincus que cette relance ne peut être réalisée qu’à travers un partenariat public/privé efficace et qui tient compte du rôle du secteur privé dans le développement économique.

Dans une conjoncture pareille, l’Etat ne peut, en aucun cas, assurer à lui seul la relance économique du pays. C’est au secteur privé de jouer le rôle de véritable «moteur» de l’économie à travers la réalisation de nouveaux investissements et la création d’emplois.

Mais le secteur privé ne peut assurer pleinement son rôle en l’absence d’une vision claire sur les prochaines échéances politiques du pays, et en l’absence d’un climat social et sécuritaire stable. Et c’est pour cette raison que l’UTICA n’a cessé d’appeler le gouvernement et la classe politique à assumer leurs responsabilités et établir définitivement un calendrier clair pour les prochaines échéances politiques, notamment l’élaboration de la nouvelle constitution et la date des prochaines élections.

Quel effet cela te fait d’avoir pu œuvrer pour la mise en place du contrat social, une première en Tunisie ?

La signature du contrat social, le 14 janvier dernier, est la conclusion d’un travail de longue haleine réalisé par les groupes de travail de l’UTICA, de l’UGTT et du gouvernement. Cette signature nous honore, puisqu’il s’agit d’une première en Tunisie et dans le monde arabe, saluée même par nos partenaires étrangers. Mais aussi elle nous responsabilise davantage afin de réaliser les objectifs «nobles» de ce contrat, à savoir un climat social plus serein, des relations plus étroites entre le chef d’entreprise et le salarié, une entreprise plus compétitive et plus citoyenne, et une reconnaissance de la valeur du travail.

Quel est le rôle dévolu aux femmes chefs d’entreprise, en cette phase difficile par laquelle passe le pays?

Personnellement, je n’aime pas trop cette distinction entre hommes chefs d’entreprise et femmes chefs d’entreprise. Un chef d’entreprise est un chef d’entreprise, qu’il soit homme ou femme. Son rôle est de veiller à la pérennité de son entreprise, à son développement et à sa réussite.

Par ailleurs, nos chefs d’entreprise sont appelés aujourd’hui à contribuer à la relance économique à travers le développement de leurs investissements et la création de nouveaux emplois.

Mais comme je l’ai expliqué précédemment, cela suppose qu’on les aide avec une vision plus claire et un climat social et sécuritaire plus serein et plus stable.