Mohamed Jegham, président de l’Alliance nationale : «Notre Tunisie à nous est celle de l’ouverture et de la tolérance…»

mohamed-jegham-130612.jpgSerein, calme, confiant et ferme. Mohamed Jegham n’y est pas allé de mains mortes pour qualifier ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie, s’étonnant de voir “le gouvernement carrément à côté de la plaque”. «Je ne sais pas si c’est nous qui ne vivons pas en Tunisie ou si c’est notre gouvernement”. “Car il est inadmissible de déclarer que tout va bien dans le meilleur des mondes alors qu’au contraire tout va mal». C’était à l’occasion d’une conférence de presse organisée mercredi 13 juin 2012 à Tunis pour annoncer la naissance de «l’Alliance nationale» qui a uni 6 partis autour d’un même objectif: sortir la Tunisie de sa détresse non seulement sociale et économique mais surtout sécuritaire.

«Il faut comprendre que la première des priorités auxquelles doit s’atteler ce gouvernement est la sécurité, car sans stabilité et sans sécurité, rien ne peut marcher dans le pays, ni investissements, ni tourisme et ni dynamique économique. Il ne faut pas non plus s’attaquer systématiquement aux opérateurs économiques privés comme le font certains leaders du parti Ennahdha, ce sont les hommes et femmes d’affaires qui portent l’économie et qui peuvent créer de l’emploi. L’Etat est un agent économique comme les autres, il ne peut rien faire tout seul».

On ne peut trouver des solutions sans faire de diagnostics, a tenu à préciser Mohamed Jegham, or la situation en Tunisie n’est point brillante. Le chômage a empiré, la pauvreté est de plus en plus poignante, les villes et grands centres urbains sont devenus d’une saleté insupportable, la mendicité, les sit-in et les manifestations sont devenus le pain quotidien de l’ensemble des Tunisiens. Dans certains hôtels de ville et suite aux derniers événements se rapportant aux violences salafistes, les annulations ont commencé à tomber comme des couperets, ce qui laisse entendre que dans les zones touristiques, c’est pire.

Cette situation exige que toutes les forces démocratiques et progressistes, lesquelles, du reste, sont bien évidemment musulmanes, s’unissent. «Nous nous sommes unis nous tous autant que nous sommes, destouriens et non destouriens, autour de l’amour de la Tunisie et de ses hauts intérêts. Je peux dès lors rassurer tout le monde, je ne compte me présenter à aucun poste politique mais je tiens à contribuer à la remise sur les rails mon pays».

M. Jegham a indiqué que l’Alliance nationale est ouverte à toutes les tendances et tous les partis dont l’objectif est de préserver le modèle tunisien, tolérant et ouvert, et dont l’ambition est de continuer le travail des réformateurs comme Bourguiba et Tahar Haddad. «Je suis étonné lorsque j’entends des personnes crier fort “nous devons couper avec le passé’’. “De quel passé parle-t-on? Dans ce cas là, détruisons les aéroports et les routes tant que nous y sommes”. “Personnes n’a dit coupons avec les mauvaises pratiques du passé et œuvrons à en instaurer de bonnes et poursuivre les efforts bénéfiques qui ont été déployés par des Tunisiens qui aiment leur pays au même titre que tous leurs compatriotes».

Pourquoi tant de haine à l’égard des destouriens?

M. Jegham s’est également dit extrêmement surpris du ton haineux sur lequel certains hauts responsables d’Ennahdha ou des partis de la Troïka parlent des destouriens qu’ils voudraient exclure. «Au lieu de parler d’exclusion, j’aurais aimé qu’ils appellent à la mobilisation de tous et de toutes pour le bien du pays. Tout comme je n’apprécie pas le ton insultant sur lequel on traite les destouriens, je ne voudrais pas descendre à ce niveau mais j’estime que les hommes d’Etat doivent s’élever sur ce genre de langage indigne de leur rang et de la Tunisie».

Ennahdha a profité de l’effritement de toutes les forces vives du pays et de la désunion des partis modérés pour s’imposer en tant que force politique mobilisatrice sur la scène tunisienne. Aujourd’hui, a déclaré, Mohamed Jegham, Ennahdha est en train de consolider ses bases à travers l’implantation de ses représentants au niveau des gouvernorats, des délégations, des Imedas et des Administrations: c’est inadmissible. “Je me rappelle, quand j’ai été nommé gouverneur en 1980 par Bourguiba, c’était parce que j’étais un énarque, j’étais jeune et j’avais derrière mois 10 ans de carrière administrative dans les régions, ce n’était pas parce que j’étais destourien tout court. Aujourd’hui le loyalisme permet tout, même de mettre n’importe qui n’importe où”.

La Tunisie, a assuré le président du parti Alliance nationale, appartient à tous les Tunisiens et ne doit souffrir aucune division, qu’elle soit religieuse ou régionale: «Nous sommes tous des musulmans et que nous venions des côtes ou des régions de l’intérieur, nous sommes tous Tunisiens. Le plus important maintenant est de faire en sorte de pallier à toutes les insuffisances et toutes les injustices. Ce n’est pas parce que nous avons vécu des injustices auparavant que nous devons perpétuer la tradition en en commettant de nouvelles…».

Quid du projet de société de l’Alliance !

L’Alliance nationale a mis en place un projet sociétal qui accorde la priorité à la sécurité pour se tourner ensuite vers l’investissement et la création d’emploi en encourageant la formation professionnelle. «Notre projet sociétal n’est pas le kamis, le nikab ou la barbe, ce n’est pas notre Tunisie, celle où nous avons grandi et qui nous a appris les vertus de l’ouverture et de la tolérance. Notre Tunisie ne s’attaque pas à l’art, aux créateurs ; notre Tunisie respecte son histoire sans ingratitude pour ceux qui méritent la reconnaissance. Notre projet à nous est d’offrir à nos jeunes les moyens de s’améliorer et de se réaliser sans faux espoirs ou fausses promesses».

Mohamed Jegham estime que les priorités du gouvernement en exercice ne satisfont pas aux exigences de la conjoncture, mais au contraire vont vers la vindicte et la revanche. «Est-il normal que l’on soulève le problème des emplois fictifs au rang de la priorité des priorités nationales? De tous les temps, il y a eu des emplois fictifs et des détachements, à l’UGTT, à l’UTICA, dans les ministères, au RCD, dans des ONG, partout, pourquoi en fait-on aujourd’hui un problème national allant jusqu’à arrêter des hauts commis de l’Etat qui n’ont pas trempé dans des affaires louches?»

Au lieu de tirer sur tout le monde et d’écarter les compétences sous prétexte qu’elles ont travaillé sous l’ancien régime, pourquoi, demande Mohamed Jegham, ne profite-t-on pas de leurs longues expériences et ne les intègre-t-on pas dans la réalisation des programmes à l’élaboration desquels ils ont eux-mêmes participé? Surtout lorsqu’ils ne sont pas impliqués dans la corruption ou les passe-droits?

Pour réaliser les vœux pieux de M. Jegham, il faut avoir de l’assurance, de la volonté de pardonner, et avoir assez de grandeur pour placer la Tunisie et ses intérêts au dessus de sentiments mesquins et de peurs imaginaires. Ce n’est malheureusement pas l’apanage de tout le monde.