Tunisie – Gouvernement : Des ministres à Médenine pour sortir ce gouvernorat de la marginalisation

minsitre-visite-medenine.jpgUne rencontre avec les représentants de la société civile s’est déroulée à l’Institut des régions arides, le 31 mai 2012, à plus de 20 kilomètres du centre-ville de Médenine, alors nous journalistes pensions qu’elle se déroulerait en plein centre-ville, ce qui aurait permis la participation de certains intéressés. Les réunions de ce genre s’effectuent normalement au siège du gouvernorat. Cela n’empêche que la salle étroite a eu du mal à contenir un nombre assez important d’activistes dans la région. Même les journalistes n’ont pas eu droit à une place qui leur est réservée. Mais passons…

La séance s’est effectuée comme à l’accoutumée avec l’hymne national, suivi par les allocutions de Abdelwaheb Mâatar, ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, et Ridha Saïdi, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargé des Dossiers économiques. Y étaient présents aussi Mohamed Salmane, ministre de l’Equipement, et Salim Ben Hamidane, ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, ainsi que le gouverneur de Médenine.

Manque de valorisation…

«Médenine est considéré comme l’un des gouvernorats marginalisés par l’ancien régime. Son positionnement géographique particulier n’a pas été valorisé ainsi que ses ressources naturelles riches, son patrimoine culturel, y compris ses sites archéologiques. Il manque considérablement d’infrastructures, pas d’investissements industriels, public ou privé», assure le gouverneur, Hamadi Mayara.

Médenine, avec ses 460.000 habitants, se situe au sud-est de la Tunisie, et s’étend sur une superficie de plus de 9.000 kilomètres, soit 6% de la superficie totale du pays et 10% de la superficie de la région sud. Il compte neuf délégations, sept municipalités et 94 sous-délégations dont 48 dans les zones rurales et 46 dans les zones urbaines. Le tissu industriel compte 112 entreprises employant plus de 10 postes d’emploi, opérant en majorité dans l’industrie agricole et agroalimentaire (60) et dans les matériaux de construction, céramique et verre (10).

On note également la présence de 139 unités touristiques, englobant plus de 49 mille lits, soit 20% de la capacité nationale. Le secteur touristique comporte également 96 agences de voyage, 25 restaurants touristiques, 24 centres d’animation touristique et 16 stations de traitement avec l’eau de mer. Elles sont présentes principalement à Djerba et Zarzis. Il existe aussi 12 mille artisans à Médenine et 1.500 unités artisanales. Une trentaine d’entreprises artisanales opèrent pour l’export. Le secteur pourvoit 19% de la production nationale et 40% des exportations nationales.

Chômage structurel…

Selon les chiffres «officiels», le taux de chômage est de 16,8%, dont 35,4% des diplômés de l’enseignement supérieur. Le gouverneur nous a indiqué que les chiffres du mois d’avril 2012 révèlent un nombre de chômeurs de 16 mille –mais d’autres sources estiment à 18 mille le nombre de chômeurs, affirme M. Mayara. Les chiffres officiels n’ont plus la crédibilité requise.

Un chiffre assez élevé qui reflète des lacunes structurelles dont souffre le gouvernorat de Médenine. La région manque considérablement d’investissements qui auraient pu lui permettre d’absorber cette masse de chômeurs. Le potentiel existe mais le manque de moyens financiers dans la région et de volonté gouvernementale font que cette tâche soit assez difficile, dans une zone aride avec un climat assez dure en été comme en hiver.

«Nous voulons un ministre du chômage et non un ministre de l’emploi», ironise un représentant de l’Union des privés de travail à Médenine. «On ne peut pas promouvoir le développement économique avec une administration corrompue. Nous demandons une réforme sur ce plan», ajoute-t-il.

Un autre intervenant affirme que la fonction publique dans la région peut encore absorber plus de 2.000 postes d’emploi. «Nous voulons des décisions révolutionnaires, qui répondent aux attentes des chômeurs et des habitants de la région. Les gens sont en état de dépression, de frustration. Nous avons cinq cas de dépression actuellement», indique-t-il.

Tensions…

Malgré ses tentatives, Abdelwaheb Mâatar n’a pas réussi à calmer la situation, ce qui témoigne d’une frustration que connaissent ces régions laissés-pour-compte depuis des décennies. Les projets présentés, inclus dans la loi des finances complémentaire, d’une valeur de 319 MDT, ne semblent pas satisfaire l’assistance. «Ce sont des déclarations télévisées. Rien n’a été appliqué sur la réalité pour absorber le chômage, pour créer des postes d’emploi. Nous voulons des solutions concrètes», réclame un chômeur.

Un représentant de la société civile estime qu’il est primordial de diagnostiquer la situation sociale et économique de la région. «Certaines décisions ne sont que la continuité du plan de développement de l’ancien régime. Ce sont les mêmes méthodes et les mêmes consignes. Bourguiba a donné des promesses. Ben Ali a donné des promesses. Nous voulons maintenant des actions!», lance-t-il.

D’autres intervenants ont évoqué le problème de l’immigration clandestine, très connu dans les environs, spécialement à Zarzis. Le rôle des banques, selon eux, restent en deçà des aspirations de la région, n’encourageant pas à l’investissement. Un intervenant propose de créer un Fonds de solidarité nationale destiné aux jeunes. Un autre revendique la création d’un bureau régional de coopération technique.

Tentant d’apaiser la tension, M. Mâatar a affirmé que le ministère de l’Emploi est devenu «le syndicat des privés de travail». «Parmi les solutions que nous envisageons, il y a les microcrédits. Nous essayons de trouver les mécanismes adéquats pour les appliquer. Il faut savoir que les moyens sont assez limités. En ce qui concerne les 2.000 postes d’emploi publics, il faudrait tout d’abord voir si la loi sur la fonction publique permet de faire davantage de recrutements», souligne-t-il.

Des blocages…

Ridha Saïdi affirme, de son côté, que la marginalisation est l’un des maux que le gouvernement actuel tend à traiter. «Les investisseurs privés sont hésitants. L’Etat se trouve seul face à plusieurs exigences. Ces visites que nous effectuons dans les régions ont pour objectif de recenser toutes les attentes et exigences. Ce qui n’aura pas pu se faire cette année, le sera dans le budget de 2013», promet-il.

Il souligne que plusieurs défis se présentent pour l’investissement dans les régions, et particulièrement Médenine, à l’instar des lois d’investissement, le changement de la nature des terrains qui prend assez de temps, le suivi des projets. En 2011, 800 projets n’ont pas été réalisés. Par exemple, le projet de raccordement du gaz naturel n’a pas pu être poursuivi à cause de l’opposition de certains citoyens à céder leurs lots de terrains. «C’est un réel problème actuellement».

Il affirme qu’un grand groupe émirati a exprimé son intérêt à investir dans une région côtière pour la réalisation d’un complexe intégré englobant une zone industrielle, un espace commercial et un projet immobilier. «Nous les avons encouragés à choisir Médenine pour implanter ce projet et nous leur avons présenté toutes les informations nécessaires. Les négociations sont en cours», révèle-t-il.

Disparités régionales…

Mais force est de reconnaître que ces déclarations n’ont pas convaincu l’assistance. Un représentant de la délégation de Beni Khedech, qui connaît une grève générale depuis le 30 mai 2012, a déclaré que la frustration est à son comble là-bas. «Nous voulons que les ministres visitent cette région et voient la réalité des choses. Ben Khedech est une délégation marginalisée dans un gouvernorat marginalisé. Nous avons les plus hauts taux en termes de chômage, d’analphabétisme et de pauvreté. Nous sommes à la merci de Dieu».

C’est ce qu’a fait Abdelawaheb Mâatr, accompagné de Salim Ben Hamidane, qui se sont dirigés vers Beni Khedech, pour parler aux habitants de la région. Mais les journalistes présents ont failli être écartés de cette visite, faute de mobilisation des autorités locales. «Une situation sécuritaire fragile», nous dit un agent de sécurité. Mais après de longues revendications, nous avons pu atteindre Beni Khedech, à 50 kilomètres de Médenine, où avons trouvé certes une situation sécuritaire tendue mais pas alarmante, mais qui constitue aussi un exemple vivant de la disparité régionale dont souffrent plusieurs délégations en Tunisie. A suivre…