Tunisie – Médias publics : Un colloque de l’IPSI tente de mettre les points sur les i!


medias-03052012-art.jpgLe colloque organisé par l’IPSI, les 26 et 27 avril 2012, sur «Les médias
publics
arabes et transitions démocratiques» n’a pas manqué de piquant. Avec des
interventions qui valent le détour. On aura, à l’occasion, entendu de belles
formules. Comme celle-ci : Quel que soit le régime considéré, les gouvernants
ont toujours tendance à considérer les médias «publics» ou «parapublics» comme
étant «leurs» médias, leur «chose». Ou encore : vouloir céder la télévision
publique aux privés constitue un délit d’«abus de confiance». Compte rendu.

Prévu depuis décembre 2011, le colloque international sur «Les médias publics
arabes et transitions démocratiques», organisé, à Tunis, les 26 et 27 avril
2012, par l’IPSI (Institut de Presse et des Sciences de l’Information) de Tunis
et la Fondation allemande, Konrad Adenaeur Sitting, ne pouvait mieux tomber pour
apporter des éléments de réponses à nombre d’interrogations concernant le débat
qui fait jour, en Tunisie, sur les médias publics.

D’abord, un constat: «Quel que soit le régime considéré, les gouvernants ont
toujours tendance à considérer les médias “publics“ ou “parapublics“ comme étant
“leurs“ médias, leur “chose“». Maître de conférence en Sciences de l’information
et de la communication à l’Université de Reims Champagne – Ardenne (nord-est de
la France), Renaud de la Brosse sait de quoi il parle. Bien documentée, son
intervention a porté sur l’expérience de nombreux pays en matière de régulation
en faveur de l’émergence de médias de service public.

Mettre la bride sur le cou des médias publics

Pour lui, cette «justification de sujétion et/ou de tutelle par les pouvoirs
publics» provient du fait que les médias publics sont considérés, de jure ou de
facto, influents. Il y a, donc, croyance dans le fait qu’ils ont un pouvoir sur
les populations. Interrogeant, à ce propos, les expériences dans de nombreux
pays africains, l’universitaire français note que les pouvoirs publics ont
toujours voulu mettre la bride sur le cou de ces médias.

En témoigne le souci de pouvoir les «contrôler» d’une manière ou d’une autre:
les instances de régulation de la communication qui interviennent dans la
nomination des responsables des médias publics se comptent sur les doigts de la
main, ou peu s’en faut (Bénin et Ghana) sur l’ensemble des pays qui ont
constitué de son échantillon: Burkina Fasso, Burundi, Cameroun, Congo
démocratique, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie…

«Même dans des démocraties pérennes, comme la France, les présidents des
établissements publics de radio et de télévision ne sont plus nommés par une
instance de régulation, mais en Conseil des ministres», a-t-il conclu.

Toute la polémique sur l’application du décret-loi 116 (préparé sous le
gouvernement Caïd Essebsi) et relatif à «La liberté de la communication
audiovisuelle et à la création de la Haute Autorité Indépendante de la
Communication Audiovisuelle (HAICA)» serait due au fait que la désignation du
président de cette dernière, qui nomme les premiers responsables de
l’audiovisuel public, est le fait du président de la République et non pas le
chef du gouvernement. Le premier n’est pas issu du mouvement Ennahdha.

Les pouvoirs publics ont-ils raison en agissant de la sorte? Pour Abdelkrim
Hizaoui, enseignant à l’IPSI et directeur du CAPJC (Centre Africain de
Perfectionnement des Journalistes et des Communicateurs), les médias publics
n’ont pas empêché la victoire d’Ennahdha aux élections du 23 octobre 2011.

Légitimité «électorale» contre légitimité «normative»

Pour Abdelkrim Hizaoui, il s’agit là d’un vieux débat sur la toute influence des
médias. Mais également sur la légitimité des journalistes. Il explique: face à
la légitimité «électorale» d’un parti politique qui a gagné les suffrages du
peuple se dresse une légitimité «normative» du journaliste. Ce dernier joue le
rôle d’un médiateur entre le grand public et la sphère politique de laquelle il
peut donner l’image qu’il souhaite.

Cela donne-t-il le droit à un parti politique comme Ennahdha, pourtant élu et
majoritaire, de céder la télévision publique à des privés? Pour Salwa Charfi,
enseignante à l’IPSI, la réponse est non. L’universitaire parle même, en la
matière, d’un délit d’«abus de confiance». La télévision est un bien public, qui
a été financé, pendant des années, par tous les Tunisiens; il s’agit donc d’un
bien partagé qui ne peut être cédé sous quelque forme que ce soit et pour qui
que ce soit.

Dans un registre parallèle, Mouna Mtibaa, doctorante et enseignante à l’IPSI, a
montré grâce à une analyse de contenu, qui s’est étalé sur 7 jours (du 9 au 15
mars 2012), et qui a touché un corpus de 474 dépêches de l’Agence Tunis Afrique
Presse (TAP), que s’il est vrai que l’exécutif n’a plus le monopole des contenus
de l’agence d’antan, il n’en est pas moins vrai qu’il est bien traité. 17% des
dépêches traitent de l’activité du gouvernement et de la Constituante contre 4%
de celles des partis politiques.

Mais s’il est vrai aussi que les médias publics doivent être défendus bec et
ongle, ne serait-ce parce qu’ils assurent une mission de service public: ne
sont-ils pas au service de la pluralité des opinions et de la diversité des
goûts?-, il n’en est pas moins vrai que ces médias se doivent de revoir leur
politique.

C’est ce qu’a semblé dire Jamel Zran, enseignant à l’IPSI, qui assure que la
diversité gagne à être mieux mise en œuvre. Ainsi, le journal télévisé, qui est
un moment fort de l’audiovisuel public, doit-il être présenté tantôt par un
Tunisien de peau blanche, tantôt par un Tunisien de peau noire, tantôt une
journaliste aux allures d’une Européenne, mais également par une Tunisienne
portant le voile!

Donner à la réforme un contenu démocratique

«La chaîne Al Watanya 2, régionale, parle aux régions de l’intérieur, et au fin
fond de la Tunisie, avec le langage des Tunisois et avec un certain «tunisianisme»
dans le choix des thématiques» a, par ailleurs, insisté l’universitaire.

Autre son de cloche, celui relatif au financement des médias publics (faut-il,
par exemple, augmenter la part de la redevance radio-tv ou l’abandonner?) et
leurs modes de gestion qui se doivent pas être au centre des débats. La Cour des
comptes, et pas seulement elle, a attiré l’attention sur des «abus» ou des
«manquements» à une bonne gestion. Les médias publics se doivent d’être gérés
par des textes (charte éditoriale, manuel de la rédaction, cahier des normes et
des pratiques journalistiques) qui tracent la manière d’élaborer les contenus et
les contenants. Cela serait de nature à taire tous ceux qui critiquent les
rédactions. Ne se référent-ils pas à des documents clairs et précis?

Le colloque de l’IPSI aura, cela dit, affirmé une quasi-certitude: peu importe
les réformes qui seront engagées, l’essentiel est de leur donner un contenu
démocratique qui sauvegarde un secteur public vigoureux. Et qui prenne en compte
l’intérêt du citoyen qui souhaite des médias publics pluriels et de qualité.