Tunisie- Privatisation des médias publics (1/2) : Ennahdha n’a-t-il pas joué (très tôt) son va-tout?

 

mass_media-1.jpgLe parti Ennahdha aura joué, concernant la privatisation des médias publics, annoncé tout récemment, par un de ses membres à la télévision, son va-tout. Quelle menace plus importante peut-il en effet faire jouer un autre jour? D’autant plus que les risques de confrontation sont à attendre si Ennahdah continue sur sa lancée en donnant des preuves de son intention réelle d’aller encore de l’avant sur ce terrain. Il aurait mieux fallu qu’il accepte une vérité à laquelle tout le monde adhère: jamais un pouvoir politique n’a été, dans une démocratie, en odeur de sainteté avec un média public.

Manœuvre politique, ballon d’essai ou encore décision bien réfléchie? L’annonce faite par Ameur Laârayedh, député et membre du Bureau politique du mouvement Ennahdah, lundi 16 avril 2012, lors d’une émission de débat sur la première chaîne de la télévision publique, Al Watanya 1, sur la privatisation des médias publics, est peut-être tout cela à la fois.

L’annonce n’a pas étonné certains observateurs. Recevant, lors du dîner qui l’a réuni, début avril, avec les patrons de presse, Hamadi Jebali, le chef du gouvernement provisoire, a déclaré: «Je m’interroge en quoi l’Etat devrait avoir besoin de posséder ses propres médias».

Cette annonce peut être mise sur le compte de la manœuvre politique. Ennahdah n’a cessé depuis son arrivée au pouvoir de décrier les médias publics jugés «critiques à son égard», «impartiaux» et même «prisonniers de certains courants politiques» (dixit Ameur Laârayed).

Des pétitions signées dans ce sens par des citoyens!

L’annonce de la privatisation pourrait sonner ainsi comme une menace. Ameur Lâarayedh a évoqué un sondage totalement inconnu et a soutenu qu’une bonne partie de l’opinion publique demande la privatisation des médias publics révélant disposer de pétitions signées dans ce sens par des citoyens!

«Vous voulez nous compliquer la vie, nous vous rendons la monnaie de votre pièce». C’est le message que semble renvoyer Ennahdha en direction des journalistes des médias publics, qui constituent à n’en point douter le «noyau dur» de la prétendue contestation ou encore de l’adversité à l’égard d’Ennahdha et du gouvernement qui en est issu.

Les employés des médias publics savent ce que veut dire la privatisation d’une entreprise. En lançant l’idée de la privatisation, Ennahdah envoie, sans doute, des messages clairs. Outre les questions –du reste fondamentales– relatives à l’exercice de la liberté d’expression, ce mouvement politique annonce que la gestion des ressources humaines pourra changer. Tout le monde distingue les règles de gestion d’une entreprise privée par rapport à une entreprise publique. Elles ont pour nom: chasse aux gâchis, licenciements, affectation du personnel à de nouvelles tâches, remise en cause de certains acquis, accélération du rythme de la production, adoption de nouvelles règles au niveau de la productivité…

Certains pourraient, donc, avoir peur, calmer leur ardeur et… changer peut-être de comportement! Le mouvement Ennahdha ne peut pas –du moins- le soupçonner. Mais il aura, ici et maintenant, force est de le constater, joué (très tôt) son va-tout. Quelle menace plus importante peut-il faire en effet à faire jouer un autre jour? D’autant plus que les risques de confrontation sont à attendre si Ennahdha continue sur sa lancée en donnant des preuves de son intention réelle d’aller encore de l’avant sur ce terrain? Il aurait mieux fallu qu’il accepte une vérité à laquelle tout le monde adhère: jamais un pouvoir politique n’a été, dans une démocratie, en odeur de sainteté avec un média public.

«Merci de bien vouloir le comprendre définitivement»

Les employés des médias publics sont, et de par la mission qu’ils assurent, souvent inscrite du reste dans leur cahier des charges, toujours rebelles au pouvoir en place. Le respect de la diversité et du pluralisme les obligent à tacler tous ceux qui détiennent un pouvoir et qui ont, comme le dit si bien le philosophe français Montesquieu, dans son «Esprit des lois», «tendance d’expérience à en abuser… jusqu’à ce qu’ils trouvent des limites».

Silvio Berlusconi, qui a régné en maître absolu sur l’Italie, notre voisin du Nord, pendant onze ans au total entre 1994 et 2011 (1994-1995, 2001-2006 et 2008-2011), s’est toujours confronté à la résistance de la RAI, l’établissement de radio et télévision public. Cette institution médiatique a été la seule qu’il n’a pas réussi à dompter.

Et en réponse à une critique du chef du gouvernement britannique, Mme Margareth Thatcher (de 1979 à 1990), au plus fort de la guerre des îles Malouines ou Falkland (avril-juin 1982), qui ont opposé la Grande-Bretagne à l’Argentine, quant au traitement de cette guerre par la BBC, l’audiovisuel britannique, qui n’aurait pas «pris en compte les intérêts supérieurs de la nation», le président de cette dernière institution, du reste souvent citée en exemple, a dit clairement: «Chère Madame, la BBC n’est pas au service du gouvernement, encore moins du parti conservateur (le parti dont est issue Mme Thatcher), mais au service du grand public, celui qui paye pour cela une redevance. Merci de bien vouloir le comprendre définitivement».

Le projet d’Ennahdha de privatiser les entreprises médiatiques, s’il se précise, sera, donc, difficile à mener. Pourquoi? Nous y reviendrons