Tunisie – Loi des finances complémentaire : «Dépenses sociales plus orientées conquête de l’électorat que création de richesses»

etude-economique-1.jpgUne loi de finance est supposée traduire une politique, une stratégie, une vision. Le gouvernement est en place depuis trois mois et aucune déclaration de politique générale ou de politique économique n’a été faite. Aucun diagnostic de la situation socioéconomique n’a été établi. Il est aujourd’hui urgent de traduire un programme et une stratégie gouvernementaux en actes et en chiffres financiers. Cela n’a pas été le cas à ce jour. «Le ministère des Finances a été abandonné à lui-même pour concocter une loi de finance complémentaire qui ne se base sur rien et ne ressemble à rien et les 12 chapitres sur lesquels se basent le plan d’action du gouvernement fait plus figure de vœux pieux que d’une stratégie réaliste et pragmatique», estime un expert économique et financier sur la place de Tunis.

Hassine Dimassi, ministre des Finances, avait pourtant indiqué lors d’une conférence de presse pour la présentation dudit projet que «La loi complémentaire vise à établir un équilibre dans le pays tant au niveau des secteurs financier, social que politique».

Il avait ajouté que le projet visait à répondre aux besoins des couches vulnérables et les régions. Cette loi de finances repose sur un taux de croissance de 3,5% qui n’est nullement expliqué et qui semble hors de portée. Cette loi, qui devrait répondre à une question essentielle se rapportant au comment du redressement de l’économie tunisienne en 2012, ne le fait pas.

La Loi part d’un déficit de 6,6%, ce qui risque de mener le pays, au moindre dérapage, à un déficit de 7 ou 8%, et dans ce cas les grands équilibres de l’économie tunisienne vont être mis en danger. Les conséquences pourraient être des pressions inflationnistes beaucoup plus importantes avec tout l’impact que cela peut avoir sur le pouvoir d’achat des Tunisiens ainsi que plus d’endettement pour l’Etat.

Les dépenses programmées dans la loi des finances complémentaire ne sont pas productives, elles sont beaucoup plus à caractère social orientées vers la préparation du terrain électoral. 30.000 logements sociaux sont ainsi programmés sacrant la formule «Quand le bâtiment va, tout va». Le social est important mais l’efficacité économique doit être aussi prépondérante pour pouvoir redresser l’économie tunisienne aujourd’hui en encourageant l’investissement et en créant des richesses.

Les hydrocarbures pas autant subventionnées que cela !

Pour calculer le prix des hydrocarbures, l’Etat compte le prix du baril de pétrole, ajoute les taxes et fixe le prix au litre subventionné par la suite par la Caisse de compensation. Il faut noter dans ce cadre les deux aspects -taxes et subventions-, l’un dans l’autre, la Caisse de compensation ne supporte pas grand-chose. C’est ce que faisait le régime Ben Ali pour expliquer les augmentations successives du pétrole alors qu’avant de compenser, il taxait. Plus encore, quand les prix de pétrole baissent dans le monde, il reste facturé au même prix pour le consommateur tunisien.

Pour cette année, la loi des finances a été établie sur le principe d’un baril de pétrole au prix de 110$, nous sommes aujourd’hui à plus de 124$ pour le pétrole Brent. Il est évident que cela doit être reflété au niveau de la pompe et c’est le cas puisque les prix on été augmentés de 100 millimes le litre, mais dans ce cas pourquoi la pompe ne suivrait pas les cours du pétrole dans le monde? Car le risque est que l’augmentation en elle-même se reflète sur tous les produits de consommation et nourrisse encore plus l’inflation. Les prix ne suivent pas les cours, les augmentations devraient dans ce cas être plus modestes.

Dans un pays où la relance économique n’a pas vraiment lieu à ce jour, un plus grand appauvrissement de la population face à la flambée des prix peut être risqué. Il va falloir un programme tous azimuts pour booster l’investissement, créer de l’emploi et inciter à la consommation.

La poule avant l’œuf…

Les acteurs du secteur privé s’attendent à des décisions audacieuses pour une véritable libération de l’initiative économique au niveau de l’accès aux financements et en simplifiant les procédures et les contraintes comprises dans les codes de fiscalité et de l’investissement dans un contexte qui n’est pas des plus brillants par rapport aux investissements nationaux et étrangers. D’ailleurs, la menace de levée du secret bancaire à la demande des autorités publiques dans la conjoncture actuelle risque d’accentuer la frilosité des investisseurs nationaux.

Les IDE restent modestes car leur croissance pour les deux premiers mois de l’année a été de 2% par rapport 2010. Le montant le plus important hors secteur énergétique concerne l’augmentation de capital d’Attijari Bank à hauteur de 25 MDT. Le secteur énergétique accuse, pour sa part, une régression de 5,9%. L’industrie affiche une hausse de 4,2% atteignant les 59,8 MDT; quant aux secteurs du tourisme et de l’immobilier, ils enregistrent une baisse de 94,1%.

Le plan d’action de Hamadi Jebali, chef du gouvernement, présenté à Mustapha Ben Jaafar, est bâti sur 12 chapitres dont les plus importants se rapportent à la révision de la fiscalité de l’entreprise, assurer la sécurité, réaliser la justice transitionnelle, mettre en place des mécanismes efficaces pour de meilleures pratiques et une bonne gouvernance, remédier aux déséquilibres régionaux et à la précarité et développer un climat d’affaires propice aux investissements nationaux et internationaux.

Mais aucun climat ne saurait convenir tant que les syndicats, le gouvernement et le patronat ne se sont pas entendus sur une période de grâce pour préserver les intérêts des acteurs économiques et publics.

A ce jour, des grèves menacent la bonne marche des entreprises mettant en danger les équilibres précaires des sociétés qui essayent de naviguer dans des eaux réellement troubles, et parfois nous avons même l’impression que la centrale syndicale n’a pas de prise sur ses représentations régionales ou de base. C’est d’ailleurs le cas du syndicat de l’UGTT à Sfax, un Etat dans l’Etat, prenant les entreprises en otage pour des revendications outrancières et au risque de causer plus de chômage.

Quant au projet de loi complémentaire, eh bien, c’est le monde à l’envers. Alors que la loi des finances doit traduire le plan socio-économique du gouvernement, c’est le plan d’action lui-même qui s’adapte à la loi des finances… C’est un peu l’histoire de la poule avant l’œuf… Mais qui sait? Peut-être que cela marchera par la grâce de Dieu.