Tunisie – Investissement : Pour un débat national sur l’utilité des mégaprojets…

megaprojet-02042012-art.jpgDans de récentes interviews à des radios locales, Riadh Bettaieb, ministre de
l’Investissement et de la Coopération internationale, a annoncé qu’un conseil
des ministres se tiendra, incessamment, pour statuer sur le sort des fameux
mégaprojets touristico-immobiliers programmés dans le Grand Tunis.

Il s’agit entre autres du Port financier, à Kalâat Landalouss, Tunis Sport City
du groupe Boukhater à Ain Zaghouan (proche banlieue nord de Tunis) et la Porte
de la Méditerranée du groupe
Sama Dubai.

Ces projets ont été lancés, du temps du président déchu, dans des conditions
«très louches». A titre indicatif, ils ont fait l’objet de conventions adoptées
au forceps par un Parlement aux ordres et moyennant de juteuses commissions
versées aux membres de la famille royale et à certains hauts cadres du pays,
dont Zaba lui-même.

Ils ont bénéficié, également, de moult avantages sans que leur rentabilité soit
justifiée pour la communauté du Grand Tunis: déclassement de centaines
d’hectares à vocation agricole et écologique (cas du Port financier et de Tunis
Sport City), bradage au millime symbolique de terrains constructibles assainis
au prix fort (endettement en devises du contribuable), s’agissant ici du cas de
la Porte de la Méditerranée.

A l’époque du président kleptocrate, ses ministres et autres sbires (médias,
cadres du Rassemblement constitutionnel démocratique…) s’ingéniaient à ressasser
que ces projets étaient la panacée “miracle“ pour booster l’activité économique,
accroître l’attractivité du pays, créer des centaines de milliers d’emplois et,
surtout, hisser la capitale au rang de mégapole capable de rivaliser avec des
métropoles méditerranéennes, telles que Marseille, Rome et Barcelone. Bref, une
autre manifestation de la folie des grandeurs de l’ancien président et de ses
collabos.

Avec l’avènement de la révolution, les langues se sont déliées et des
révélations sur la dimension mafieuse et spéculative de ces projets commencent à
voir le jour.

Le témoignage de Khayam Turki, dont la nomination au poste de ministre des
Finances dans le gouvernement de Hamadi Jebali à la suite d’une requête d’une
entreprise émiratie l’impliquant dans une affaire d’abus de pouvoir, est
édifiant à ce sujet. Dans plusieurs interviews radiophoniques, il a dénoncé «la
voracité des hommes d’affaires émiratis, lesquels exploitent leur parenté
lointaine avec des responsables politiques pour acheter, dans le monde arabe, au
dinar symbolique, les plus beaux terrains, bénéficier de juteuses incitations
fiscales, obtenir l’autorisation de vendre sur plan à des étrangers et oser même
solliciter des facilités bancaires locales, autant de conditions, a-t-il-dit,
que tout investisseur local aurait pu remplir».

Ce témoignage précieux s’applique parfaitement à deux projets, ceux de la Cité
du siècle, la Porte de la Méditerranée et Tunis Sport City.

Concernant le premier, son promoteur, Dubaï Holding, a obtenu les autorisations
en un temps record. Tout l’appareil de l’Etat s’est mobilisé à cette fin:
approbation, en juillet 2008, par le gouvernement tunisien du plan d’aménagement
de la nouvelle ville sur les Berges sud du Lac de Tunis et démarrage, deux mois
après, des ventes sur plan. La clientèle ciblée est off shore. Les étrangers
peuvent acquérir, selon la convention conclue avec ce groupe, des biens
immobiliers sans avoir à en demander l’autorisation au gouvernement tunisien.

Pis, sur un coût global de 25 milliards de dollars réalisables en 14 étapes, le
groupe Sama Dubaï s’est engagé à verser, seulement, 1,3 milliard de dollars,
l’équivalent du montant mobilisé pour réaliser la station touristique d’Hammamet
Sud. C’est pour dire que ce projet touristico-immobilier est une simple hideuse
affaire de spéculation foncière.

Heureusement, la crise de 2009 a affecté de plein fouet le groupe émirati qui a
été obligé de geler le projet.

Au Maroc et en Algérie, de projets similaires ont été tout simplement abandonnés
au grand bonheur des communautés locales. En Tunisie, au lieu de profiter de
cette opportunité de désengagement, nos responsables continuent à y croire.

Vient ensuite le deuxième mégaprojet, “Tunis Sports City”. Pour peu qu’il se
réalise, ce projet d’une grande cité sportive qui sera érigée sur ce beau bois
d’Aïn Zaghouan (255 hectares), va générer des problèmes monstres de circulation
et contribuer à l’asphyxie de cette zone.

En effet, en toute logique économique, avec le boom immobilier que connaît cette
zone et à défaut de transport en commun acceptable et de disponibilité de
terrains pour l’améliorer, ces nouvelles résidences vont générer, probablement,
de nouveaux milliers d’usagers sur l’autoroute La Marsa-Tunis.

La pression est déjà visible. Elle le sera encore plus, une fois ces nouvelles
villes-ghettos de centaines de milliers d’habitants seront édifiées.

C’est pour dire, in fine, qu’en cette période de révolution bénite et son
corollaire, la liberté d’expression dont nous jouissons, nous ne nous pouvons
pas faire l’économie d’un débat national sur l’utilité de tels mégaprojets et
sur leur impact pervers sur le cadre de vie de la communauté tunisoise.

A bon entendeur.