Tunisie-livre : «‘‘Le complot’’ – Barraket Essahel » de Sami Kourda

sami-kourda-couv.jpgLe début de cet ouvrage ne peut pas ne pas nous rappeler cette première phrase du roman de Kafka intitulé Le Procès : «On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir fait de mal, il fut arrêté un matin». De la même manière avait été arrêté en mai 1991 le Commandant Sami Kourda. Un récit vraiment kafkaïen à donner la chair de poule.

I – Dans l’antichambre de la torture

Y avait-il eu vraiment en 1991 un complot contre le chef de l’Etat ou bien celui-ci, pour balayer le mouvement Ennahdha, avait-il monté tout un scénario pour venir à bout de ce parti? Que, dès la couverture, l’auteur ait guillemeté le terme complot, on comprend déjà que ce n’était rien d’autre qu’une affabulation. Oui. Mais pourquoi est-ce que l’armée était-elle dans son collimateur, lui (Ben Ali) «dont il était issu et dont il connaissait mieux que quiconque la vraie nature» ? La réponse viendra progressivement au fil de ce récit rocambolesque. Pour le moment, revenons sur l’arrestation du Commandant Sami Kourda.

«Au fond du hall à gauche, une lourde porte métallique. A peine entrouverte, telle la vanne d’un barrage qu’on lève, un torrent de hurlements et de cris sur tous les tons et sur tous les registres m’engloutissent dans la plus effarante des terreurs. C’est donc dans ce bâtiment qu’on torture!… Les fameuses geôles!… Je prends sur moi de ne rien faire paraître, mais je sens mes jambes prêtes à me lâcher».

«Il (un certain monsieur Fethi, chargé de l’interrogatoire) m’offre une chaise devant lui, une autre pour le commandant Bahri. Notre accompagnateur se place comme au garde-à-vous devant la porte qui me fait face à gauche:

– Sami, on ne va pas y aller par quatre chemins: sais-tu d’abord où tu es?

– Au ministère de l’Intérieur, fis-je avec une voix que je sentais s’étrangler de terreur, car sachant pertinemment ce que pouvait signifier dans l’imaginaire de tout Tunisien le nom de ce sinistre endroit.

– Non, Monsieur !… Ici, c’est la Sécurité de l’Etat!

(…)

– Alors, Sami, voilà comment on va procéder: tu es venu en uniforme, tu rentres ce matin même dans ton uniforme pour ton lieu de travail, avec le commandant Bahri (…) Pourvu que tu nous parles du complot contre Monsieur le président de la République!»

S’ensuivirent des questions liées à la religion, et principalement celle liée à la prière. Que le Commandant Kourda fût pratiquant ou non, il était là et plus rien ne pouvait l’en sortir. Mais il fallait d’abord tenter de lui arracher du nez des ‘‘vérités’’ montées de toutes pièces, juste des aveux conformes au plan mis en œuvre par la Sécurité de l’Etat:

«J’avais le souffle coupé, ne sachant quoi dire: au complot visant à renverser le régime s’ajoute maintenant l’affiliation au mouvement politique islamiste qui aurait orchestré le complot. Autrement dit, je devrais ‘‘avouer’’ non seulement ma participation à un complot militaire mais aussi mon ‘‘affiliation idéologique’’ et donc mon ‘‘parcours politique’’ clandestin. Donc citer des noms, des noms crédibles! Des dates conformes à celles dont ils sont censés disposer. Pour qu’on leur colle l’étiquette islamiste. Et ces questions débiles sur la prière!… Je commençais à saisir avec effroi les causes du lancement de cette purge militaire dans la foulée des arrestations massives dans les rangs des sympathisants du mouvement islamiste».

Demain, la descente aux enfers.

(*) Sud Editions, 250 pages, 15 DT

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