Tunisie – Médias : «Le texte de loi (sur la presse) doit constituer un standard minimal de protection».

presse-30072011-320.gifL’événement en matière de presse a été de toute évidence, ces jours-ci, la publication, par Reporters Sans Frontières (RSF), organisation non gouvernementale internationale se donnant pour objectif la défense de la liberté de la presse, d’une analyse juridique sur le nouveau code de la presse en Tunisie (Décret-loi 2011-115 du 2 novembre 2011).

Dans l’ensemble, les conclusions de cette loi dont les textes d’application ne sont pas encore publiés relancent le débat sur cette loi et renvoient, a priori, dos à dos, ses initiateurs et défenseurs, l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC) et ses experts, d’un côté, et de l’autre, ses détracteurs, les syndicats des entreprises de presse soutenus par un gouvernement nahdhaoui qui voit dans certaines dispositions une menace pour ses intérêts, particulièrement pour la liberté de prêche dont jouissent ses prédicateurs dans les mosquées.

Ainsi, si globalement les critiques du comité juridique de RSF, auteur de cette analyse, apportent de l’eau au moulin des opposants à cette loi et militent en faveur de leurs objections, elles soulignent en même temps que «ce texte de loi, même s’il demeure imparfait, doit aujourd’hui constituer un standard minimal de protection», avant d’ajouter: «Toute modification ne pourra se faire que dans un sens plus protecteur. À ce titre, l’avancée est majeure».

Dans une récente interview à Radio Express Fm, Me Prisca Orsenneau, coordinatrice du comité juridique de RSF, a eu à souligner les points positifs, les insuffisances et les difficultés que peut rencontrer l’application de cette loi.

Le positif et le négatif dans cette loi

S’agissant des progrès apportés par cette nouvelle législation, l’analyse cite sa tendance claire et nette à protéger la liberté d’expression et ses acteurs, à consacrer la transparence et le pluralisme et à protéger le secret des sources.

Quant aux insuffisances, la nouvelle loi ne prévoit pas de dispositions précises pour protéger blogueurs, journalistes enquêteurs, cybercitoyens, presse électronique (aucun régime de responsabilité spécifique à l’Internet n’y est prévu. Or, la question de la responsabilité est spécifique dans un contexte qui inclut les commentaires des lecteurs, les forums de discussions, etc.).

Le comité juridique de RSF a identifié 8 articles (sur un total de 77), qui prêtent à équivoque. Il s’agit des articles 11 (secret des sources), 20 (conditions du nombre de journalistes salariés à temps plein), 39 (droit de rectification), 52 et 53 (appel à la haine et atteinte aux religions), 62 (suivi des affaires judiciaires), 64 (mesures de saisies et de destruction), 71 (délai de jugement en chambre du conseil).

Les difficultés d’application

Ces articles présentent des difficultés particulières et risquent de compromettre l’application du texte. En gros, RSF reproche à la nouvelle loi de ne pas préciser qu’elle est «un texte spécial» ne pouvant être suppléé, en aucune manière, par des dispositions du code pénal, l’obligation selon l’article 20 d’embaucher au moins 50% de journalistes (carte de presse ou diplôme de journalisme ou équivalent) à temps plein, risque d’exclure bon nombre de médias, notamment ceux qui n’ont pas les moyens financiers d’employer les journalistes à temps plein, et qui s’appuient sur les pigistes ou des collaborateurs occasionnels, et l’imprécision, voire le flou qui entoure des termes dans les articles 52-53 sur l’incitation à la haine ou au meurtre (cas de certains prêches dans les mosquées).

«Reporters sans frontières est extrêmement prudente sur l’utilisation de ces incriminations», note l’analyse qui relève qu’«Il incombera au juge d’interpréter strictement ces dispositions. Les définitions ne sont pas précises et des garde-fous doivent être envisagés».

RSF estime, également, en ce qui concerne les dispositions qui organisent le suivi des affaires judiciaires par la presse (articles 62-64), que tout en étant convaincu que le délit de violation du secret de l’instruction est considéré comme contraire aux standards internationaux. «Il faut veiller à ce que ce dispositif visant à protéger la confidentialité des affaires judiciaires ne soit pas excessif et n’empêche pas les journalistes de couvrir ces affaires notamment lorsqu’est en jeu une question d’intérêt général, pour lequel le public aurait un intérêt à être informé ». La règle étant: «Chaque situation doit être appréciée in concreto».

Elle relève, en outre, que toute mesure de saisies et de destruction ne peut avoir qu’un caractère exceptionnel. Même en cas de condamnation, le juge doit respecter la proportionnalité de la peine.

L’autre reproche formulé au texte de loi concerne le droit de poursuite, l’article 71 prévoit qu’«en cas de poursuites, le tribunal en charge du fond, doit statuer en chambre du conseil, ce qui matériellement ne permet pas un véritable accès du public. Il s’agit, pour RSF, d’une audience plus confinée, quasiment confidentielle, alors que le principe devrait être l’audience ordinaire».

Par delà ces critiques et recommandations, RSF pense que ce texte ne pourra avoir de sens que s’il est accompagné en profondeur de réformes des systèmes administratifs et judiciaires et que si les juridictions s’attèlent, en attendant, à préserver l’esprit qui a guidé la rédaction de ce texte, à savoir le respect de la liberté d’expression. Elles devront l’appliquer en se conformant aux standards internationaux en matière de liberté d’expression, en interprétant strictement les dispositions et en excluant toutes incriminations issues d’autres dispositions législatives.