Tunisie – Investissements : Riadh Bettaieb parle de la raffinerie Skhira, du phosphate, de l’Arabie Saoudite…

riadh-bettaieb-210312.jpg+5% d’investissements dans les industries manufacturières, comparé aux mois de janvier/février 2010, des IDE en augmentation de 2% au cours de la même période et des chantiers partout dans le pays.

Pour Riadh Bettaieb, ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, rien à dire, la machine de la production revient même si le contexte reste fragile. C’est aux différents acteurs socioéconomiques de redynamiser l’investissement.

Entretien.

WMC: Comment évaluez-vous l’environnement actuel en Tunisie? Est-il propice aux investissements?

Riadh Bettaieb: La stabilité sociale est nécessaire pour la relance des investissements, et nous pensons que nous sommes sur la bonne voie. Il y a moins de perturbations et nous estimons la situation en nette amélioration. Nous voulons instaurer un climat d’affaires basé sur les règles de transparence et de bonne gouvernance, et alléger les procédures administratives, ce qui est dans nos cordes. D’ores et déjà, nous avons été approchés par des Britanniques intéressés par l’agriculture et des Australiens intéressés par le phosphate.

A propos d’hydrocarbures, est-ce que la raffinerie d’El Skhira a été offerte de gré à gré à Qatar Petroleum, sans appel d’offres international préalable?

Il faut remonter 3 ans en arrière lorsque l’appel d’offres international a été lancé pour la première fois pour l’exploitation de la raffinerie de la Skhira. A cause d’erreurs de procédures, Qatar Petroleum s’est désistée. A l’époque, une short-list avait été arrêtée et la compagnie qatarie était en tête. Aujourd’hui, il y a urgence, car 70% de notre carburant est importé. Nous estimons qu’il n’y a pas lieu de tout reprendre à zéro puisque l’appel d’offres a déjà été réalisé. D’ailleurs, la compagnie britannique Petrofac y participait également.

On parle également de gisements de phosphates dans la région du Kef. Il paraît que la CPG, qui aurait investi dans des études pour la prospection de ces gisements, a été écartée au profit de firmes étrangères. Qu’en est-il au juste?

Première remarque: les mines de phosphates appartiennent à la Tunisie. Il est vrai que des études de rentabilité des mines ont été auparavant réalisées mais aucune d’entre elles n’est globale. Nous avons créé une société d’études pour évaluer le potentiel de Sra Ouertane. Elle est en train d’arrêter le plan de développement de la mine et de la valorisation du phosphate. Aujourd’hui, il y a urgence également pour exploiter les ressources que nous possédons aussi bien au Kef qu’à Tozeur. Il est inadmissible de ne pas en profiter. Les finances publiques ne nous permettent pas de procéder à leur exploitation car ce sont des projets qui coûtent dans les 3 à 4 milliards de dinars…

La CPG est riche et elle est nationale, ne doit-elle pas être prioritaire en la matière?

Nous n’avons pas encore arrêté la liste des firmes qui exploiteront ces mines. La CPG occupe une place importante sur le marché des phosphates en Tunisie, mais elle n’a pas droit de regard pour ce qui est de ces questions, c’est l’Etat qui décide et il n’y aura pas d’exclusivité. Notre approche est basée sur le PPP (Partenariat Public/Privé). Nous pourrons faire des investissements publics à travers des investisseurs privés. Nous ne pouvons pas nous endetter sans limites.

Comptez-vous coopérer avec les grands groupes tunisiens dans les domaines des hydrocarbures et des ressources minières?

Nous traiterons au cas par cas, en nous basant sur l’expérience et les moyens dont ils disposent. Si vous prenez le cas de Sra Ouertane, la densité du phosphate est de l’ordre de 14%, elle est faible. Il faut donc l’enrichir en gardant à l’esprit qu’il existe plusieurs manières de l’exploiter. Les Chinois s’y intéressent en tant que fertilisant pour les terres cultivables. Ceci dit, nous voulons bien impliquer davantage les groupes tunisiens qui ne sont malheureusement pas aussi importants que les groupes étrangers.

Avez-vous eu vent de projets d’investissements dans le secteur agricole?

Dans le cadre de nos plans de développement de ce secteur, nous avons déjà lancé une requête pour le financement d’un grand projet afin d’augmenter nos réserves en eau. En construisant des barrages et en exploitant davantage les ressources hydrauliques dont nous disposons, dont le canal à ciel ouvert qui va du Cap Bon à Sfax, nous pourrons améliorer la qualité des terres cultivables. Nous allons essayer d’acheminer les eaux du Nord vers la région de Sfax pour faire profiter les régions de l’intérieur de ces ressources et appuyer le secteur agricole.

Nous encourageons à l’international les investisseurs dans l’agriculture, surtout ceux qui recourent à des technologies avancées en matière d’exploitation. Il y a des investisseurs italiens et espagnols qui opèrent déjà en Tunisie.

Quel est concrètement le volume des investissements?

Nous avons 80% de plus d’intentions d’investissement à l’échelle nationale et surtout dans le secteur industriel. Ceci bien que nous soyons confrontés à nombre d’obstacles dont un système de financement qui n’est pas au point et des problèmes fonciers compliqués. Il y a des zones qui ont été décrétées industrielles depuis 4 ans et à ce jour, leurs situations n’ont pas été assainies entre le ministère des Domaines de l’Etat et l’AFI. Il y a des industriels qui sont entrés en phase de production sans avoir de titre de propriété, ils ne peuvent même pas contracter des prêts car ils ne peuvent offrir aux banquiers des garanties. Nous essayons de purger la situation et de développer un patrimoine industriel indépendant. Nous sommes d’ailleurs en négociation avec un groupe saoudo-turc spécialisé dans l’aménagement des zones industrielles. Il a aménagé nombre de zones industrielles en Arabie Saoudite, en Egypte (au Caire et à Alexandrie), il est prêt à faire de même en Tunisie. Il prend en charge l’agencement de la zone, la construction des bâtiments fonctionnels, les espaces de stockages et industriels et les louent aux intéressés. Nous comptons leur proposer une zone de 400 à 500 hectares pour l’édification d’une zone industrielle, nous étudions le site le plus propice à cela.

Aujourd’hui beaucoup de nos industriels souffrent des zones industrielles mal aménagées.

Pour ce qui est de la relance des investissements, j’ai récemment visité la région d’El Mghira et j’ai trouvé près de 150 chantiers et de travaux en cours, c’est vous dire l’effervescence qui y règne.

A propos de la Turquie, le problème de l’aéroport Enfidha a-t-il été résolu?

Nous avons signé un accord avec la TAV qui satisfait les différentes parties y compris les syndicats et l’Administration. Les deux aéroports, celui de Monastir et d’Enfidha pourront désormais opérer sans difficultés. La TAV est d’ailleurs intéressée par d’autres investissements en Tunisie.

Est-ce que la qualité des investissements a évolué vers plus de valeur ajoutée ou y aurait-il un changement de cap, aujourd’hui que nous nous orientons de plus en plus vers les pays du Golfe?

La diversification des marchés et des partenaires est essentielle. Oui pour garder nos partenariats stratégiques avec l’Europe mais avec de nouvelles opportunités pour notre pays. Les Etats-Unis, les pays scandinaves ainsi que la Grande Bretagne s’intéressent de plus en plus au site Tunisie. Les pays asiatiques et la Chine en tête y expriment autant d’intérêt. Il y a également un regain d’intérêt de la part des Saoudiens, et je voudrais rappeler que l’Arabie Saoudite est le pays le plus industrialisé dans les pays arabes. C’est un marché qui offre de grandes opportunités car il abrite des partenariats nombreux entre groupes américains, asiatiques et européens. C’est donc une porte sur le monde et ses investissements peuvent être bénéfiques pour la Tunisie.

Parmi les opérateurs saoudiens qui ont visité récemment notre pays figurent de grands opérateurs dans le domaine pétrochimique, et l’un d’eux a exprimé son désir d’investir en Tunisie dans ce secteur technique et à haute valeur ajoutée. Il y en a également qui veulent développer l’agro-industrie et l’agriculture. Ils investissent en Ukraine, en Amérique du Sud, en Ethiopie, au Soudan et j’en passe. Le Royaume wahhabite a mis en place des lignes de crédit pour encourager cette qualité d’investissement pour assurer entre autres sa sécurité alimentaire. Ils accompagnent leurs industriels dans ces domaines.

Il y a aussi un groupe saoudien intéressé par le dessalement des eaux de mer et des énergies renouvelables et thermiques, d’autres sont performants dans le domaine touristique et veulent développer le tourisme haut de gamme. Parmi eux, un opérateur a mis à la disposition de la Tunisie la salle d’exposition de son hôtel Holiday in à Riadh pour promouvoir les produits tunisiens à l’année.

Le groupe koweïtien Al Khourafi veut investir dans l’industrie, le tourisme, l’énergie et les centres commerciaux et de loisirs. Ces groupes peuvent enrichir le paysage tunisien des IDE. Si l’Europe est en train de réformer son cadre d’investissement pour attirer ces IDE du Golfe, pourquoi ne les encouragerions-nous pas?

A travers le Qatar, nous pouvons, dans le cadre d’une coopération triangulaire, développer l’industrie automobile. Les Malaisiens se sont proposés pour appuyer le secteur de la finance islamique dans notre pays.

Qu’en est-il des mégaprojets?

Nous avons relancé les discussions avec le Groupe «Golf Finance House» pour arrêter un plan d’action et étudier les raison du blocage du projet afin de le solutionner. Nous ne voulons pas que le projet change de vocation. C’est un site off shore dédié à la finance qui doit impérativement reprendre son envol. Le groupe Boukhatir attend que la compagnie SOTUDEV achève ses études pour qu’il démarre les travaux de lotissement et d’aménagement. Nous avons des propositions pour des projets tels des villages de santé et universités internationales. 100.000 jeunes Saoudiennes et Saoudiens partent chaque année poursuivre leurs études à l’étranger, la Tunisie pourrait être une destination intéressante pour eux. Des investisseurs signataires de conventions avec des universités de renommée internationale nous ont déjà contactés à ce sujet.

Comment attirer tous ces investisseurs si nous souffrons toujours de formalités et de procédures administratives lourdes et lentes?

La moyenne pour le financement d’un projet industriel est d’une année, c’est trop et ce n’est pas le seul exemple; le changement de la vocation de terrain peut prendre des années, il y a aussi le Code des investissements qui devrait faciliter les choses aux entrepreneurs, lequel code, à force d’exceptions, finit par leur compliquer sérieusement la tâche.

Nous sommes conscients de ce qui se passe et nous voudrions apporter des solutions rapides. Nous voudrions mettre en place une structure qui coordonne tout pour que les investisseurs étrangers aient un interlocuteur unique qui puisse avoir pouvoir de décision. Il faut que l’Administration tunisienne devienne plus souple et plus efficace. Il faut donner la possibilité aux cadres compétents de décider par eux-mêmes et d’innover. Aujourd’hui, nous n’avons même pas établi des priorités par région.

Sur un tout autre volet, nous voulons veiller à la réhabilitation des centres de formation pour qu’ils répondent aux besoins du marché en main-d’œuvre qualifiée et l’amélioration des différentes logistiques, qu’elles se rapportent aux réseaux routiers, aux télécommunications ou aux commodités d’usage. Nous devons valoriser le site Tunisie qui est accessible et compétitif.

Qu’en est-il des investissements internationaux pour soutenir la relance de l’économie tunisienne?

De point de vue investissements publics, nous travaillons avec nos partenaires traditionnels. La Banque mondiale, la BEI, la BAD et la Banque Arabe de Développement. Nous essayons de renforcer nos actions avec la BERD dont nous sommes devenus membre au mois de décembre -mais 80% des fonds que cette banque déploiera serviront au financement du secteur privé, ce qui est capital pour un pays comme la Tunisie.

La SFI, membre du groupe Banque mondiale, s’est montrée aussi prête à soutenir les privés, tout comme le groupe Banque islamique de développement (BID) est intéressée de travailler davantage en Tunisie.

Nous voudrions solliciter des fonds arabes pour des financements publics. Nous essayons de développer l’approche public/privé tout en renforçant nos partenariats avec les groupes financiers arabes et internationaux et en travaillant à développer la coopération triangulaire et impliquer les chambres mixtes, l’UTICA et les acteurs économiques pour l’adoption d’un nouveau Code des investissements.

Nous comptons d’ailleurs mettre en place un ou deux think tank avec les hommes d’affaires pour apporter des solutions concrètes à tous les problèmes en rapport avec l’investissement.