Qu’est-ce qui pousse les chiites tunisiens à la clandestinité?

On parle désormais de Gabès comme le haut lieu du chiisme tunisien. Du
prosélytisme iranien. Du bastion des partisans de la maison du Prophète. De la
Mecque de la dévotion aux imams. A la lignée hachémite. Mais alors pourquoi
cette semi-clandestinité? Ce souci du secret? De la dissimulation? Est-ce la
peur des
salafistes qui n’hésitent pas à les traiter de mécréants? Voire
d’hérétiques? Attendent-ils l’heure propice au dévoilement? Sont-ils encore au
premier stade du déploiement? Disposent-ils de certains relais au sein du
mouvement Ennahdha, naguère sensible aux sirènes de la République islamique
d’Iran? Peut-on s’attendre à un raz de marée mahdiste sur la terre tunisienne?
C’est peu probable. Surtout en terre malékite, nous dit-on.

D’ailleurs, le ministère de l’Intérieur a opposé une fin de non recevoir à
l’Association de la bienveillance culturelle chiite, qui continue quand même
d’avoir pignon sur rue dans la ville de Gabès. Propageant le culte alaouite.
Animant le rite d’El Achoura. Mémoire de l’épopée de Karbala depuis 1.400 ans.

Les bibliothèques d’obédience chiite fleurissent dans les différentes médinas
des villes tunisiennes. L’une d’elles, baptisée «Fatma Zahraâ», située au cœur
de la médina de Tunis, a subi récemment les attaques de certains groupes
salafistes. Ce qui a provoqué l’émoi de larges franges de l’élite religieuse
libérale du pays. Attachée à la paix et à la quiétude parmi les croyants. Quelle
que soit leur confession.

En fait, d’après certaines sources religieuses, les passionnées du martyrologue
husseinite, qui se comptaient par dizaines dans notre pays dans les années
soixante du siècle dernier, ont vu leurs rangs grossir considérablement après la
chute de la monarchie iranienne des Pahlawi en 1979 et le retour triomphal de
l’Ayatollah Khomeiny à Téhéran. La révolution de la liberté et de la dignité
vient de favoriser apparemment leur émergence solennelle sur la scène
politico-religieuse locale. En dépit de l’hostilité déclarée de cheik Rached
Ghannouchi, président du mouvement islamiste
Ennahdha. Qui manifeste de plus en
plus son irritation vis-à-vis des écoles de Najaf, de Karbala et de Qom. Et de
la nébuleuse salafiste wahhabite, dont l’un des porte-parole, cheik Béchir Ben
Hassen, considère l’éradication des chiites tunisiens comme un devoir sacré pour
tout sunnite rigoriste.

«La religion se plante au cœur des hommes par la force de la doctrine et la
persuasion, et se confirme par l’exemple de vie et non par le glaive», affirme
dans ses interventions publiques, Mohamed Tijani Smaoui, l’une des figures de
proue du chiisme tunisien, pour qui la terre du Maghreb était à ses débuts
encline à l’imamat. A la diversité des interprétations canoniques. A l’essaimage
des écoles religieuses.

Le mouvement Ennahdha, insistent les chiites tunisiens, gagnerait à présenter un
discours fédérateur, à éviter l’anathème et les diatribes déstabilisantes et à
s’éloigner de la politique des axes au Moyen-Orient et du diktat des monarchies
du Golfe, qui redoutent Téhéran, capitale de la résistance palestinienne et
libanaise et oublient la menace de l’Etat hébreu, enclave occidentale dans la
région. Depuis la promesse de Balfour.