OPINION Tunisie – Gouvernement Ennahdha : La difficile rupture du cordon ombilical entre le parti et l’Etat

hamadi-jebali010212-01.jpgQue l’on soit pour ou contre un gouvernement élu, que l’on adopte ou non sa ligne idéologique, seule sa capacité à bien gouverner, ses compétences et son aptitude à rassurer autant son propre peuple que ses partenaires internationaux, peuvent convaincre les suspicieux du mal fondé de leurs appréciations ou préjugés.

Or à ce jour, nous devons malheureusement reconnaître que notre gouvernement légitime et provisoire, issu des élections de la Constituante du 23 octobre dernier, n’a rien fait pour rassurer les uns et les autres. Aucun programme, aucune feuille de route, aucune décision qui plaide en faveur de plus de visibilité, à tel point que nous finissons par croire que «fakidou Alchay’i la yoo’tih» (On ne peut donner ce que nous ne possédons pas).

Ce gouvernement serait tout simplement dans l’incapacité de gérer le pays, non par mauvaise volonté, mais peut-être par méconnaissance de la réalité du terrain tant économique que social et politique ou également et tout simplement parce qu’il n’a pas les moyens du pouvoir qu’il possède.

Etant lui-même dans la confusion la plus totale, entre présidence, parti, gouvernement, il enchaîne faux pas sur faux pas, entraînant dans son sillage le pays vers l’inconnue.

Et ce ne sont certainement pas les appels répétitifs et prétendument rassurants ici ou ailleurs de Hamadi Jebali, chef du gouvernement, qui conforteront la Tunisie ou le monde de l’avenir radieux de la «démocratie» tunisienne. «J’en appelle ici à Davos à ceux qui nous écoutent. Nous demandons un soutien car nos propres moyens ne sont pas suffisants», sollicitait M. Jebali à l’occasion d’un débat sur la gouvernance en Afrique du Nord au Forum.

Encore faut-il être parti avec une feuille de route claire, des projets concrets et des garanties sécurisantes sur un climat socioéconomique paisible et rassurant. Les complaintes interminables sur la misère des Tunisiens vivant au-dessous du seuil de la pauvreté, du lourd passé de la dictature ou des centaines de milliers de chômeurs ne convaincront certainement pas le monde d’investir dans notre pays. Ce monde d’où étaient venus les décideurs qui ont toujours traité avec Ben Ali, indifférents à la dictature ou la démocratie, tant que leurs intérêts étaient sauvegardés.

Comment peut-on être naïf au point de vendre la démocratie ou le «printemps arabe» à des personnes habituées aux sciences exactes. Traduction, j’investis 1M$ pour gagner 2M$, aussi simple que cela puisse paraitre, mais c’est la réalité.

La communauté internationale n’est pas le peuple tunisien compatissant aux souffrances de ses enfants, ce sont les intérêts qui la gèrent et en ce moment, elle ne risquerait pas de s’aventurer sur le terrain glissant tunisien, alors même que le secteur privé domestique observe une attitude attentiste espérant plus de visibilité!

Samir Dilou, porte-parole du gouvernement, n’a d’ailleurs pas manqué de dire lors d’une récente conférence de presse: «qui investirait dans un pays qui sent la fumée». M. Dilou, éteindre la fumée, c’est le rôle de qui?»

Jebali à France 24: «Les extrémismes sont partout»

Pire, à Davos, Hamadi Jebali, répondait à une consœur de France 24 qui lui demandait ce qu’il compte faire pour rassurer les investisseurs qui n’aiment pas les incertitudes: «Nous leur offrons le modèle tunisien». Le relançant, elle repose la question: de quel modèle vous parlez, il riposte «le modèle démocratique de la Tunisie», elle insiste, «les investisseurs ont besoin de sécurité et de stabilité», il rétorque, «ils ont besoin de démocratie aussi»…

Non, monsieur le chef du gouvernement provisoire, les investisseurs ont besoin de sécuriser l’avenir des capitaux qu’ils comptent mettre dans un pays et des projets qu’ils comptent y créer, la démocratie, ils en ont chez eux. D’ailleurs, nous en sommes à peine aux balbutiements, si ce n’est la liberté d’expression tancée et attaquée de toutes parts.

M. Jebali, vous qui avez toujours prétendu être le chef de gouvernement de tous les Tunisiens, comment avez-vous, face à la presse étrangère, pu défendre la violence des salafistes en disant que les extrémismes existent partout? Comment est-ce que votre loyauté envers le parti dont vous êtes issu vous a fait oublier qu’aujourd’hui, vous représentez tous les Tunisiens, de gauche, de centre et de droite, et que votre loyauté doit revenir à la mère patrie toutes obédiences confondues? Comment est-ce que, malgré l’insistance de votre intervieweur, vous n’avez donné aucune opinion claire quant à votre détermination à mettre fin aux violences en jetant la balle dans le terrain de la justice et en laissant à vos concitoyens le soin d’en référer eux-mêmes à la magistrature pour défendre leurs droits en l’absence de l’Etat?

Je doute fort que ceux qui vous ont écouté sur France24 aient été rassurés par votre discours. Car, à l’entendre, les Tunisiens eux-mêmes ne peuvent être rassurés. Votre appartenance au parti a supplanté celle des responsabilités que vous assumez en tant que chef du gouvernement, et à vous écouter parler, on voit en vous plus le secrétaire général d’Ennahdha que le chef du gouvernement.

Cette 42ème édition du forum de Davos a été marquée par une présence tunisienne hautement politique alors qu’il s’agit d’une rencontre hautement économique et financière.

Pire, Rached Ghannouchi, invité paraît-il par le comité d’organisation du forum, n’hésite pas d’émettre, à partir de Davos, des menaces à peine voilées contredisant son propre compagnon de route et chef du gouvernement, Hamadi Jebali, qui promettait la stabilité grâce au printemps arabe, et se montrant menaçant devant les patrons des multinationales et des représentants de fonds d’investissement, et en déclarant sans ambages que «s’il n’y avait pas un accompagnement financier des révolutions arabes, les mouvements islamistes risquaient de se radicaliser et verseraient par conséquent dans le terrorisme». Cela porte un seul nom: le chantage!

Face aux Tunisiens, à Davos, le Premier ministre islamiste marocain, lui, ne promet pas la démocratie mais annonce «les réformes en direction des classes défavorisées, et des garanties pour les intérêts et les investissements internationaux». C’est ce qui s’appelle partir avec une feuille de route!