Alice au pays des merveilles ou les professionnels du tourisme au pays d’Ennahdha !

Le premier forum d’Ennahdha a été consacré au tourisme. A cette invitation, tout
le monde est venu. Des curieux, des inquiets, des intéressés, des opportunistes,
des professionnels, des un peu moins… La salle était archicomble, les attentes
énormes et les déceptions et réconforts se lisaient en fonction de si l’on
croyait ou pas en ce qui se disait par les dirigeants du parti «Ennahdha». Après
cette réunion, si on ne sauve pas les meubles du
tourisme tunisien, Ennahdha
n’en sera pas la seule coupable. Par ce meeting, elle a mis les professionnels à
contribution et devant leurs responsabilités afin de minimiser les risques et
essayer de garantir une année de transition délicate.

Au premier rang des invités, les poids lourds du secteur qui, comme d’habitude,
ont déballé leurs problèmes et revendications. Au programme: la diversification
en laquelle ils croient si peu, l’approche régionale -tiens, ils s’en
souviennent!-et bien entendu l’incontournable endettement. Quand bien même
Ennahdha fumerait tous calumets de la paix avec eux, ni elle ni personne ne
pourra un jour prendre cette décision irrationnelle. En faire table rase est une
folie dont la Tunisie n’a tout simplement pas les moyens. Ceci dit, la
profession ne le revendique pas ou plus ouvertement… quoi que…!

Ennahdha avait-elle, à travers ce forum dédié aux «horizons du tourisme», ouvert
un cahier de doléances? Assurément non. Hamadi Jebali, secrétaire général et
probable Premier ministre, est venu confirmer qu’il avait parfaitement compris
qu’il ne pouvait se passer du tourisme. Alors que peut faire Ennahdha pour le
secteur? La question, même si elle mérite d’être posée, n’est pas forcément la
plus importante. A moins d’être suicidaire, aucun parti politique ne peut se
permettre de mettre en question l’importance du tourisme. Il y va tout
simplement de sa propre survie.

La vision «hallalisée» telle que portée par Rached Ghannouchi et orientée vers
les pays du Golfe serait en fait plus une forme de marquage de territoire
qu’autre chose! La Tunisie n’est ni assez «luxe» ni assez permissive pour être
capable, de suite, de concurrencer des capitales touristiques comme Londres,
Paris ou Le Caire. Le tourisme sera-t-il il prioritaire pour un parti qui devra
affronter l’exercice du pouvoir tout en se restructurant et préparant ses
prochaines campagnes électorales dans un contexte économico-social extrêmement
fragile?

La balle est dans le camp des pros

A quelques jours de la constitution du nouveau gouvernement suite aux élections
du 23 octobre, Ennahdha serait-elle venue à ce Forum avec de belles paroles et
pas grand-chose dans les poches? Non, elle a fait mieux. Elle est venue remettre
aux mains des professionnels leur propre secteur.

Le parti sait déjà qu’il ne pourra rien réformer cette année et préfère
“pactiser” pour gérer 2012 dans le “consensus“. C’est donc à la profession
qu’Ennahdha en offre la possibilité et responsabilité. A eux de trouver les
formules qui leur conviennent en reconsidérant leurs positions, en réadaptant
leurs visions, en assainissant le climat général avec leurs employés, en
fédérant un maximum de monde, en s’essayant à démocratie dans leur propre
secteur… Bien qu’il ait finalement peu parlé de tourisme, Hamadi Jebali a dit
l’essentiel: «Avant de demander ce qu’Ennahdha fera pour vous, remettez-vous en
question. Que n’avez vous pas fait pour en arriver là?».

La balle est maintenant dans le camp de la profession et l’Administration
recevra, selon Mohamed Belajouza, président de la Fédération tunisienne de
l’hôtellerie (FTH) aussi vite que possible une feuille de route. Il s’agit de ne
pas refaire les dérapages et erreurs de l’année 2009 et dont l’un des principaux
écueils a été le divorce consommé entre l’administration et la profession.

En effet, une évolution dans les rapports tarde à se faire. La révolution du
tourisme passera par le changement des mentalités, et ni Ennahdha ni aucun autre
parti ne pourra y changer quelque chose. Comment vendre une destination quand on
n’y croit pas soi-même? Comment donner le meilleur de soi lorsque l’on se tire
dans les pattes? Comment affronter des destinations de plus en plus performantes
quand on ne se met pas à niveau? Comment continuer à défendre ceux qui portent
le plus de tors à son propre secteur? Comment gagner quand on se fait la guerre
en interne et décrédibilise automatiquement toute initiative?…

Ceci étant dit, le parti islamiste rassure en affirmant qu’il ne changera pas
grand-chose dans le secteur, du moins pour le moment, et remet à l’ordre du jour
la stratégie 2016 du cabinet Roland Berger. Une étude réclamée par les pros du
secteur qui, même si elle donne la bonne direction, devrait être condensée par
souci d’efficacité et de pragmatisme. Il s’agit de mettre en place des mesures
de sauvetage et non de développement pour une année.

Reste qu’il s’agit aussi de rassurer des partenaires internationaux qui ne
voient pas en l’arrivée d’Ennahdha un élément réconfortant pour le développement
du tourisme. Au lourd déficit d’image de la destination, vient donc s’ajouter
une vision «étrangère» plutôt réductrice du processus démocratique tunisien et
dont la réussite de ses premières élections n’est que l’une des premières
étapes. Désormais, il s’agira de doubler les efforts et probablement les budgets
pour changer la perception d’Ennahdha en plus de celle de la destination.

Libertés privées et collectives

Pour en revenir au forum, cette demie journée de rencontres a permis à Hamadi
Jebali et son équipe de prendre note des accusations discourtoises, des
flatteries mielleuses, des félicitations mièvres et des procès d’intention les
plus farfelus ou justifiés. Ses remerciements publics à l’égard de Tijani Haddad
qui se définit comme un «militant du tourisme» tout en se défendant d’être
«nahdhoui» a jeté le trouble dans l’esprit de certains qui ont vite conclu que
Ennahdha prend les mêmes et recommence!

Par les multiples réactions de la salle, Ennahdha a aussi sondé les craintes et
les peurs d’une partie de ses concitoyens qui s’articulaient autour des
libertés, du statut de la femme, de l’ouverture de la Tunisie, des querelles
entre les différents courants et leaders islamistes… Le très probable futur
Premier ministre a fait preuve de grande humilité, finesse et patience en
écoutant pendant plusieurs heures les participants déballer toute sorte de
témoignages, exhortant le parti, frisant l’insolence, abusant des flatteries. Il
a même déclaré: «critiquez-nous!».

Mais à quoi s’est engagée Ennahdha finalement? Ne fait-elle pas preuve par les
fermes déclarations de son secrétaire général du respect des libertés
individuelles preuve d’un certain assouplissement? Depuis des semaines, ses
différents leaders affirment ne pas toucher ni à l’alcool, ni aux minijupes, ni
aux discothèques… Ce même Hamadi Jebali ne disait-il pas à la télévision il y a
quelques mois encore que jamais son parti n’autoriserait ce que Dieu a interdit?
Par ce nouveau discours et ses positions plus modérées, Ennahdha prouve qu’elle
commence déjà à exercer le pouvoir en -excusez l’expression-, mettant de l’eau
dans son vin.

Ennahdha sait que c’est en forgeant que l’on devient forgeron et devra trouver
un équilibre entre son modèle bâti sur les grands principes de l’Islam et les
besoins économiques du pays. Pour remettre en marche le secteur du tourisme, la
Turquie, leur destination de référence, n’a pas hésité à ouvrir des hôtels pour
nudistes et des casinos, en même temps que des hôtels islamiques.

Résister à la moralisation de la société, tout en restant fidèle à ses
principes, contenter sa base tout en faisant les yeux doux aux capitaux
tunisiens et étrangers, c’est une nouvelle voltige que se devra d’exécuter
Ennahdha.

En nettoyant le système de la corruption qui sévissait en Tunisie sous le règne
de Ben Ali, il y a un nouveau modèle à mettre au point. Si ce dernier
n’autorisait les licences d’alcool que pour enrichir ses proches et pénalisait
ceux qui ne faisaient pas partie de son clan mafieux, Ennahdha se devra de faire
la différence, par exemple, entre les libertés privées et le droit des
entreprises à une licence d’alcool. Un investisseur français, présent dans la
salle au forum, est resté dans le flou quant à la réponse qu’il a obtenue de la
part de Hamadi Jebali. Il ne s’agissait pas pour lui de consommation personnelle
mais d’autorisations, de facilitations et procédures administratives pour des
entreprises. Et la différence est énorme!