Rapport sur la corruption en Tunisie : A quel niveau doivent s’arrêter les procès, jugements et condamnations?

amor-11112011-art.jpgDe l’or, beaucoup, de quoi faire deux souks de bijouterie, pas moins de 1.500
pièces de joaillerie saisies, et qui pèsent lourd. L’un des bracelets (cela doit
être un Migyas) que nous avons saisis pèse près de 3,950 kg… Pire que tout, la
Commission a découvert à Sidi Dhrif 57 pièces archéologiques dont une pièce
datant de 2800 ans avant J.-C, a déclaré, sur un ton mordant et presque théâtral
Néji Baccouch, membre de la Commission sur la
corruption
et les malversations
lors de la conférence de presse organisée vendredi 11 novembre 2011 pour
annoncer les conclusions définitives auxquelles est arrivée cette commission.

Ben Ali n’a pas fait dans la dentelle, il était maître de tout et avait pouvoir
de vie ou de mort. Ce qui, d’ailleurs, nous interpelle quant au niveau des
responsabilités et comment elles doivent êtres déterminées. Car, si nous partons
du principe que ce dictateur détenait tout, décidait de tout et agissait en
seigneur et que les autres ne pouvaient qu’obéir, il va falloir que les «crimes,
infractions» passent au second, troisième et même quatrième degré.

Ceci étant, nombreux sont ceux qui ont fait du zèle et qui se placent en
deuxième, troisième et quatrième lignes. D’où une question très importante: à
quel niveau les procès, jugements et condamnations doivent s’arrêter? Qui
devrait servir d’exemple et qui devrait profiter de la clémence des «nouveaux,
anciens» décideurs, celle du peuple ou de la justice?

«Illi ma chathit hazzit kmamha» (Celle qui n’a pas dansé a, au moins, levé ses
manches) disent les anciens… Il faut aujourd’hui avoir le courage de dire
“arrêtons le massacre et avançons!“. Un grand nombre de dossiers est entre les
mains de la justice. Nos administrations, hauts cadres, institutions publiques,
secteur privé doivent retrouver leur sérénité et reprendre le contrôle de leurs
vies et surtout reprendre le pouvoir de décisions pour faire bouger les choses:
«Je suis choqué, a déclaré, un consultant aux Nations unies, aucun cadre
administratif ne veut prendre de décisions dans votre pays et on refuse même de
signer des PV, ne me dites pas qu’il me revient à moi de signer des documents
qui concernent des entreprises et des sociétés tunisiennes»

«Il y a une instance qui vient d’être créée et qui ressemble à celle de la
Commission d’investigation sur la corruption et les malversations. Il ne faut en
aucun cas faire valoir l’impunité, mais ce pays, je le dis avec beaucoup de
conviction, ne peut pas souffrir des tensions continuelles entre les individus
et les groupes. Il faut que, d’une part, chacun paye pour le délit qu’il a
commis et que, de l’autre côté, la Tunisie puisse redémarrer pour que chacun y
retrouve sa place en toute sécurité», a indiqué Pr Abdelfattah Amor, président
de la Commission.

Pas d’inquisition mais pas de réconciliation aux dépens des individus lésés ou
des intérêts de l’Etat. Intérêts qui ont été complètement assimilés à ceux de
Ben Ali et Co.

L’ATCE, une poule aux œufs d’or

L’abus de pouvoir a revêtu plusieurs formes. A commencer par la mainmise sur les
terres agricoles appartenant à l’Etat. «Normalement, on doit classer les
demandes des promoteurs intéressés selon l’importance de l’investissement, celle
du nombre d’emplois et de l’ordre de grandeur du projet. Ces demandes sont
soumises au président de la République, lequel prend seul la décision d’accorder
son assentiment ou son refus. A l’examen des propositions. Il décide selon
l’intérêt qu’il peut lui-même tirer du projet, les liens de parenté ou d’amitiés
en désignant un candidat qui n’a pas les atouts objectifs selon les critères de
la Commission de sélection», explique Néji Baccouch. Ben Ali est même intervenu
au profit d’un complexe immobilier à Sfax parce qu’appartenant à un ami à lui,
étranger et a exigé de la municipalité de Sfax d’approuver sa demande de
construire sur une hauteur de 45 m.

Pareil pour les quotas des voitures, c’est lui qui décide en premier et dernier
ressort tout comme pour la vente des produits alcooliques. Les hôtels qui
demandent des autorisations de servir des boissons alcooliques sont soumis aux
caprices du président de la République converti en distributeur d’alcool.

L’exportation du ciment dépend aussi des décisions du président homme
d’affaires. Il décide des quantités et des destinations. Pire, l’un des
beaux-frères du président avait un contrat avec une entreprise française
laquelle versait une commission à Ben Ali dans un compte bancaire à Dubaï, à
chaque fois qu’elle gagnait un marché en Tunisie.

La CNAM a été instrumentalisée pour servir à titre exclusif la belle-mère de
l’ancien président, prise en charge par son fils. Toutes les dépenses étaient
assurées par la Caisse nationale de l’assurance maladie, à Tunis et à l’étranger
y compris celles du médecin accompagnateur et des frais de transport aérien qui
peuvent atteindre les 45.000 euros par déplacement.

L’orientation universitaire n’a pas non plus échappé à l’interventionnisme
présidentiel. Des ministres, hauts responsables ou présidents d’organisations
nationales en appellent au président pour changer les orientations
universitaires de leurs proches. A titre d’exemple, une demande adressée par
Abdesslem Jrad, secrétaire général de l’UGTT à Zine El Abdidine Ben Ali pour
autoriser la réorientation de l’un de ses proches.

Le trafic dans le secteur immobilier a dépasse les limites du rationnel. Ben Ali
et ses proches ont dépouillé la zone des Berges du Lac de près de 77 hectares.
Sidi Bou Saïd, La Marsa et Carthage, Cité les Pins et Tazarka n’ont pas échappé
à la fièvre «pillarde» de l’ancien chef de l’Etat et de sa belle-famille, et ce
au dinar symbolique. A Hammam Sousse, le m2 a été vendu 10 dinars à son neveu
qui l’a ensuite revendu et y a gagné pour près de 18,6 MDT. Pareil pour la Baie
des Anges à El Kantaoui, 35 hectares ont été acquis pour la valeur de 3,5 MDT et
revendus pour la valeur de 30 MDT.

Des personnalités étrangères ont profité de la manne Ben Ali et ont acquis des
biens immobiliers en Tunisie au dinar symbolique.

L’ATCE a été l’arme de la propagande médiatique de Ben Ali à l’international.
Elle s’est servie des deniers publics pour redorer le blason du régime et celui
de son artisan et ses acolytes. Ainsi, la représentante -une pseudo-journaliste-
qui a représenté l’ATCE à Bruxelles au mois de juin 2006, a reçu près de 570.470
dinars en l’espace de 4 ans avec une prise en charge totale de toutes ses
dépenses, du loyer à l’électricité et l’eau et même l’Internet. De quoi rendre
jalouse plus d’une super-compétence tunisienne dans le domaine du lobbying. Un
autre journaliste, cette fois-ci en France, a reçu près de 860 mille dinars, un
consultant français, 988.627 mille dinars et un haut cadre à l’Office national
de l’Artisanat, plus de 3 millions de dinars.

Des millions de dinars ont été ainsi investis par l’ATCE dans des missions
ponctuelles et des contrats avec des journalistes tunisiens et étrangers dans le
but de valoriser l’image de marque d’un régime qui avait, depuis des années,
perdu sa crédibilité au niveau national et à l’international… Des millions de
dinars jetés à la mer alors que le pays était miné de l’intérieur… Des
malversations et des fraudes qui rappellent que la Tunisie perd chaque année 1,5
point de croissance à cause de la corruption.

On ne peut plus revenir sur le passé mais nous devons veiller à préserver
l’avenir. La vigilance de toutes les parties concernées par le renforcement des
bonnes pratiques et le renforcement de la transparence, est de mise. La
clarification de toutes les responsabilités, qu’elles soient institutionnelles,
administratives ou entrepreneuriale, l’est autant.

Plus de peur, plus de passivité, tout acte de corruption doit être dénoncé, d’où
qu’il vienne et quel que soit celui qui l’a commis. Il y va de notre avenir et
celui de notre pays, car avec un président qui ne s’occupait que de ses propres
affaires, il était normal que les affaires du pays soient marginalisées à tel
point que le peuple en est arrivé à boire dans des marécages…